Un rapport controversé : ''Les causes du cancer en France''

Un rapport sur les causes du cancer en France rendu public courant septembre à l'Académie de Médecine propose une synthèse des nombreuses études épidémiologiques dans ce domaine. Si cette étude permet de combattre certaines idées reçues, d'aucuns s'insurgent : « partiel et partial » ce rapport négligerait les facteurs environnementaux.

Par Olivier Boulanger, le 11/10/2007

Parti pris méthodologique

Dessin de Renard

Si la prévention du cancer repose immanquablement sur l'identification de ses causes, les très nombreuses études publiées chaque année en France ou dans le monde ne permettent pas forcément d'y voir très clair. Certaines sont discutables d'un point de vue méthodologique, d'autres sont contradictoires.

Afin de faire le point, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), les Académies nationales des Sciences et de Médecine, et la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer ont rendu public un rapport compilant les études épidémiologiques menées en France au cours des dernières décennies.

Philippe Autier, co-auteur du rapport sur les causes du cancer en France

Un ambitieux travail de synthèse dont Philippe Autier, biostatisticien au CIRC et coauteur de ce rapport, justifie l'importance : « Il y a eu très peu d'études de ce type dans le passé, explique-t-il. La première – celle publiée en 1981 par les Américains Doll et Petoqui – a longtemps fait référence mais elle remonte à une époque où les études épidémiologiques étaient peu nombreuses et les substances carcinogènes beaucoup moins bien connues qu'aujourd'hui. Deux autres synthèses ont été menées depuis mais elles sont soit incomplètes, soit trop générales. Il nous manquait donc une étude un peu plus raffinée sur un pays modèle. Et la France se prêtait bien à cet exercice. »

Derrière ce travail de synthèse visiblement nécessaire, il s'agissait également de classer certaines idées reçues qui continuent de circuler à propos de produits soi-disant cancérogènes. Philippe Autier évoque par exemple le cas de certains colorants alimentaires ou plus récemment de déodorants…

Des causes « avérées » : tabac, alcoolisme...

Quelles ont été les surprises de cette étude ? Philippe Autier (CIRC)

Parmi les causes de cancer « avérées » – c'est-à-dire celles dont les études scientifiques sont sans équivoque – le tabac arrive en tête. Il représente à ce jour près d'un tiers de la mortalité par cancer chez l'homme et 10% chez la femme. L'alcool est annoncé comme responsable de 9% des décès par cancer chez l'homme et de 3% chez la femme. L'excès de poids, le manque d'exercice physique sont également incriminés (2% des décès par cancer chez l'homme ; 5,5% chez la femme). Les expositions professionnelles sont quant à elles responsables de 3,7% des cancers chez l'homme et de 0,5% chez la femme. La responsabilité des traitements hormonaux de la ménopause est également prise en compte : ceux-ci sont à l'origine d'environ 2% des décès par cancer chez la femme ; un chiffre qui, selon le rapport, doit inciter à limiter la durée de ces traitements. Enfin, l'exposition prolongée aux rayons solaires cause environ 1% des cancers dans les deux sexes.

Mortalité en baisse, incidence en hausse

Le rapport montre que si, entre 1980 et 2000, la mortalité liée au cancer a globalement diminué, l'incidence de la maladie n'a cessé d'augmenté : de 23% chez les hommes et de 20% chez les femmes. Plusieurs éléments sont avancés pour expliquer ce paradoxe. Les diagnostics de plus en plus fins et précoces permettent d'isoler de petites lésions qui passaient inaperçues il y a encore quelques années. Par ailleurs, la population ne cesse de vieillir. Or, on sait que la fréquence des cancers croît rapidement avec l'âge. Parallèlement, l'amélioration des traitements fait que nombre de ces cancers peuvent aujourd'hui être jugulés ou ralentis dans leur développement.

Des causes « hypothétiques » ou « inconnues »

Qu’entend-on par « cause avérée » ? Philippe Autier (CIRC)

Il existe cependant des domaines pour lesquels le rapport reste très prudent, voire même ne se prononce pas. Il y a par exemple le cas de l'alimentation. Si l'on considère généralement que celle-ci a une influence majeure sur le risque de cancer, « l'effet des facteurs nutritionnels spécifiques tels que la teneur en fibre des aliments ou la quantité de fruits et légumes ingérés, n'a pas été confirmée par les dernières enquêtes épidémiologiques. » Faute d'études jugées suffisamment solides par les auteurs, beaucoup de cancers n'ont ainsi qu'une origine hypothétique.

Plus troublant encore, près des deux tiers des cancers n'ont, selon le rapport, aucune cause identifiée. « Les études de qualité sont trop rares, regrette Philippe Autier. Beaucoup de travaux menés il y a quelques années n'ont pu être retenus dans notre étude faute de répondre aux critères de qualité actuels. C'est d'ailleurs l'une des conclusions de ce rapport : il reste à mettre en œuvre dans beaucoup de domaines des études épidémiologiques de longue haleine, de bonne qualité, mobilisant beaucoup de ressources, afin de pouvoir établir clairement les liens de cause à effet et pouvoir les évaluer quantitativement. »

La pollution : moins de 1% des cancers ?

Les conclusions de ce rapport ne font cependant pas l'unanimité. Elles présentent en effet la pollution de l'air, de l'eau, du sol ou de l'alimentation comme responsables de seulement 0,5% à 0,85% des cancers. Paolo Boffetta, en charge des études sur les causes environnementales au CIRC, s'explique sur ces chiffres. « Nous n'avons retenu que les causes avérées, rappelle-t-il. Or, dans ce domaine, nous estimons que les études sont insuffisantes voire contradictoires et qu'elles ne permettent pas d'établir en toute rigueur un lien absolu entre pollution et cancer. Mais cela doit plutôt nous inciter à poursuivre des études dans ce domaine. »

François Veillerette, président du MDRGF

Pour François Veillerette, président du MDRGF*, le parti de ne retenir que les causes strictement avérées et de « rejeter tout le reste dans un immense panier » est un choix politique dénué de toute démarche de précaution : « Par rapport au tabac ou à l'alcool, il sera toujours plus difficile de prouver de manière absolue que certains cancers sont issus de causes environnementales. Faut-il pour autant attendre de nouvelles études avant d'agir ? Certes, des recherches doivent continuer dans ce domaine, mais ce rapport fait l'impasse sur de nombreux travaux qui établissent déjà clairement le lien entre cancer et pollution. »

* Mouvement pour les droits et le respect des générations futures

Un rapport qui néglige les études toxicologiques

Dominique Belpomme, président de l'ARTAC

Pour Dominique Belpomme, oncologue (spécialiste des tumeurs cancéreuses) et président de l'ARTAC*, ce rapport est tout simplement « partiel et partial » : « Cette étude ne retient que les études épidémiologiques et exclut de fait les études toxicologiques qui sont pourtant nombreuses dans ce domaine. » 

Au CIRC, Paolo Boffetta justifie ce parti pris : « Les études toxicologiques sont importantes, insiste-t-il, mais pour pouvoir agir contre le cancer, l'aspect humain nous paraît primordial. Il existe d'ailleurs dans l'histoire de la cancérologie des cas où des mesures réalisées à la suite d'études toxicologiques n'ont pas eu les effets escomptés.

Paolo Boffetta, épidémiologiste au CIRC

Le béta-carotène avait été identifié en laboratoire comme un facteur de réduction du cancer. Mais testé sur des patients, c'est l'effet inverse qui a été observé. On a compris plus tard que cette substance délivrée en trop grande quantité était cancérogène. C'est pour cela qu'il faut être très vigilant. Les études toxicologiques peuvent être utiles pour des politiques de prévention générale, mais elles ne permettent pas d'avancer des chiffres sur le nombre de décès qui pourraient être évités en agissant sur telle ou telle substance. »

Reste que pour Dominique Belpomme, ce rapport est bien loin de refléter la réalité et ne fait que pointer les limites des méthodes épidémiologiques. « Le plus inquiétant, ajoute-t-il, c'est qu'il risque maintenant de faire autorité devant un tribunal. Si un jour des malades veulent faire valoir devant la justice que leur cancer est lié à une pollution environnementale, la partie adverse se servira immanquablement de ce document pour démontrer le contraire. »

* Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse

Olivier Boulanger le 11/10/2007