Guerre des nerfs contre les tumeurs

Au sein de certaines tumeurs se développent des fibres nerveuses qui pourraient participer à l’initiation et à la progression de la maladie à un stade très précoce. Si cette piste était confirmée, elle pourrait permettre de mieux prédire le devenir du processus de développement tumoral.

Par Julie Lacaze, le 19/07/2013

Les tumeurs, lorsqu'elles sont localisées, développent des stratégies pour se disséminer dans l’organisme tout entier. Elles détournent notamment à leur avantage le microenvironnement des tissus sains. On sait ainsi depuis les années 1970 qu’elles utilisent les vaisseaux sanguins pour se nourrir et migrer d’un tissu à l’autre : c’est la néo-angiogenèse. On sait également, depuis 1989, que les cellules tumorales prostatiques migrent le long des nerfs qui entourent les tumeurs selon un processus dit d'invasion péri-neurale. Autrement dit, que les cellules tumorales interagissent avec le système nerveux autonome dans un probable but de dissémination. Mais ce phénomène était jusqu’à présent bien mal connu. Une étude publiée le 12 juillet dernier dans la revue Science apporte de nouveaux éléments de compréhension sur l'implication du système nerveux autonome ainsi que quelques pistes de traitement du cancer masculin le plus répandu, l’adénocarcinome de la prostate.

Ce que disent les nerfs

L’étude s'est intéressée à 43 patients souffrant d’un adénocarcinome de la prostate. L'analyse révèle une infiltration de fines fibres nerveuses à l’intérieur de la tumeur, et pas seulement autour comme on le pensait auparavant. La présence de ce réseau nerveux est associée à un mauvais pronostic vital. Autrement dit, la quantité de nerfs présente à l’intérieur de la tumeur est un indicateur de son agressivité. 

Un deuxième volet de cette étude a permis de constater – chez la souris cette fois – que les nerfs des systèmes nerveux autonome, sympathique et parasympathique, de la glande prostatique jouent respectivement un rôle important dans l'initiation de la tumeur, à un stade précoce de la maladie, et plus tard dans la migration des cellules cancéreuses. En effet, après inhibition des récepteurs de ces nerfs (appelés cholinergiques et adrénergiques), les chercheurs ont observé que le développement initial et la progression de la tumeur des souris étaient enrayés.

Objectif : bloquer la neurogenèse

Les résultats concernent le cancer de la prostate, mais les mécanismes à l’œuvre sont probablement identiques s'agissant d’autres cancers. Il y a donc un très fort enjeu thérapeutique, puisqu’il s’agit à la fois d'estimer l’agressivité du cancer et d'inhiber la formation d'une tumeur ou de prévenir sa récidive en sélectionnant des médicaments qui inhibent les récepteurs du système nerveux autonome impliqués dans les processus tumoral et métastasique (cholinergiques et adrénergiques). Or ce type de molécule existe déjà : ce sont les bêtabloquants, déjà utilisés dans le traitement des maladies cardiovasculaires. Mais ils ne sont pas assez spécifiques pour bloquer les deux récepteurs bêta 3 et bêta 2 impliqués dans le développement du cancer de la prostate.

Dr Claire Magnon de l'institut Einstein à New York

Comment inhiber l'activité des fibres nerveuses intra-tumorales sans entraîner de répercussion délétère sur l’ensemble de l’organisme ? Pour le Dr Claire Magnon, de l’institut Albert Einstein de New-York, il faudrait développer des molécules propres aux récepteurs exprimés autour de la tumeur et en faire leurs uniques cibles thérapeutiques. Et pourquoi pas, prévenir la récidive tumorale et la propagation des métastases très en amont de l’évolution de la maladie.

Julie Lacaze le 19/07/2013