25 ans après sa découverte : le VIH résiste

25 ans après la découverte du virus du sida, des spécialistes du monde entier se sont réunis à l'Institut Pasteur en mai 2008. Si la plupart des chercheurs ont regretté la lenteur des progrès, certains ont présenté de nouvelles pistes de recherches. Le point avec Françoise Barré-Sinoussi, Jean-François Delfraissy et Gary Nabel.

Par Florence Heimburger, le 27/05/2008

Plus de 30 millions de personnes infectées

Colloque sur les 25 ans du VIH à l'Institut Pasteur, Paris, 19-21 mai 2008

Le 20 mai 1983, le Pr Luc Montagnier et son équipe de l'Institut Pasteur annonçaient dans Science* la découverte du virus du sida. Un quart de siècle plus tard, le VIH continue de tuer. L'épidémie a causé la mort de plus de 28 millions de personnes à travers le monde, et 33,2 millions de personnes sont aujourd'hui infectées par le VIH, dont 130 000 en France. « J'aurais souhaité fêter avec vous la fin du sida, plutôt que le 25e anniversaire de la découverte du virus », a déclaré le Pr Montagnier en introduction au colloque de l'Institut Pasteur de Paris. Il a regretté devant la presse « que les choses n'aillent pas plus vite » et espéré la découverte, à moyen terme, d'un vaccin thérapeutique, « et peut-être un jour, préventif ».

* F. Barré-Sinoussi et al., Science, 220, 868 (1983)

VIH : quelques dates clés

Malades porteurs du VIH en 2007 : 33,2 millions
  • 2008 : arrivée de la trithérapie en un seul cachet.
  • 2007 : arrêt, en septembre, de l'essai vaccinal « STEP ». Deux nouveaux types de médicaments : les inhibiteurs de CCR5 et les anti-intégrases.
  • 2004 : début de l'essai vaccinal « STEP » du laboratoire Merck.
  • 2003 : mise sur le marché par les laboratoires Roche du T-20 ou Fuzéon, inhibiteur de fusion du virus avec la cellule.
  • 1996 : arrivée des trithérapies, qui associent trois antirétroviraux.
  • 1995 : découverte des antiprotéases, capables de bloquer l'activité de la protéase, une enzyme du VIH. Les Nations unies lancent l'Onusida, dirigé par Peter Piot.
  • 1994 : l'AZT diminue de 2/3 le risque de transmission du virus de la mère à l'enfant.
  • 1992 : bithérapie, combinaison de deux inhibiteurs de la transcriptase inverse.
  • 1987 : autorisation de mise sur le marché de l'AZT. Premiers essais d'un vaccin anti-VIH.
  • 1986 : découverte du VIH-2. L'OMS lance un programme contre le sida. Mise en évidence de l'activité antirétrovirale de l'AZT (azidothymidine), inhibiteur de la transcriptase inverse, enzyme essentielle au virus.
  • 1984 : Le Pr Gallo et son équipe du National Cancer Institute de Bethesda parviennent à isoler le VIH.
  • 1983 : le Français Luc Montagnier et son équipe de l'Institut Pasteur identifie le VIH-1. Premiers cas recensés de transmission hétérosexuelle. Premiers cas identifiés en Afrique.
  • 1981 : les premiers cas d'une déficience immunitaire inhabituelle sont repérés chez des hommes homosexuels aux États-Unis.

Pourquoi la recherche piétine-t-elle ?

« Le virus du sida est une cible mouvante génétiquement et biochimiquement », explique Gary Nabel, directeur du Centre de recherche sur les vaccins, NIH.

Si vingt-cinq ans après son identification, le VIH n'a toujours pas été éradiqué, ce n'est pas faute de recherches ou de budgets. « Près d'un milliard de dollars sont consacrés annuellement dans le monde à la recherche sur le sida », a rappelé le docteur Bruce Walker de la faculté de médecine de Harvard.

Si la recherche marque le pas, cela est plutôt dû à la surprenante complexité du virus. « C'est une cible mouvante génétiquement, car le virus mute sans cesse », souligne Gary Nabel, directeur du Centre de recherche sur les vaccins du National Institute of Health (NIH) aux États-Unis. « C'est aussi une cible mouvante biochimiquement, car le virus développe des mécanismes pour échapper au système immunitaire. »

Pourquoi la recherche piétine-t-elle ? Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS.

Pour le scientifique, « il faut revenir à la science, à la recherche fondamentale ». Concernant le développement d'un vaccin, la politique actuelle consiste davantage à mener rapidement le candidat-vaccin à un essai de phase 3, où il sera testé à grande échelle.

D'autres spécialistes confirment le besoin de mener des programmes de recherche fondamentale, comme Jean-François Delfraissy, directeur de l'Agence nationale de la recherche sur le sida et les hépatites (ANRS) : « Nous avons tous besoin de reposer des questions en terme de recherche fondamentale pour essayer de trouver quel est le réservoir du virus, pourquoi la réponse immunitaire est inadaptée à ce virus, pourquoi des mutations apparaissent très fréquemment… »

Échec de l’essai vaccinal « STEP »

Pour l'heure, aucune piste vaccinale n'a abouti. En septembre 2007, l'arrêt de l'essai « STEP » du laboratoire Merck a sérieusement mis à mal la stratégie mondiale de recherche de vaccin anti-VIH. Le candidat-vaccin (V520) utilisait, comme vecteur, un adénovirus de type 5 (virus du rhume) inactivé, et trois gènes du virus du sida pour provoquer une reconnaissance du VIH par le système immunitaire. Trois ans après les premiers essais chez l'homme, le vaccin s'avère non seulement inefficace, mais il augmente aussi le risque d'infection chez les personnes exposées préalablement à l'adénovirus.

Qu’est-ce que l’essai « STEP » ?

L'étude STEP était un projet conjoint des laboratoires Merck & Co. Inc., du National Institute of Allergy and Infectious Disease (NIAID) et du réseau HVTN (HIV Vaccine Trials Network).

Initié fin 2004, l'essai portait sur un candidat-vaccin qui avait pour but de prévenir l'infection à VIH et de réduire la charge virale chez ceux qui avaient contracté l'infection. Il contenait trois gènes du VIH et une version atténuée d'un adénovirus comme vecteur.

Testé sur les animaux, le vaccin avait prouvé qu'il pouvait provoquer des niveaux significatifs de réponses immunitaires à médiation cellulaire propres au VIH, et que son utilisation n'était pas dangereuse.

Il a ensuite été testé sur trois mille personnes à risque élevé de VIH, vivant en Amérique, en Afrique ou en Australie. Les scientifiques ont administré aux participants de façon aléatoire soit un placebo, soit le vaccin en trois doses sur six mois. Quelques mois plus tard, les résultats furent peu convaincants : outre le fait qu'il ne prévenait pas l'infection, le vaccin augmentait même le risque d'infection chez les personnes ayant une immunité élevée contre l'adénovirus utilisé.

C'est pourquoi, suite aux recommandations du comité de pharmacovigilance et de surveillance (CPS) indépendant de l'étude, les essais ont été interrompus, en septembre 2007.

De nouvelles pistes pour un vaccin

Cependant, les recherches dans ce domaine se poursuivent. Depuis quelques années, l'Institut Pasteur travaille sur la mise au point d'un vaccin VIH-rougeole. Il s'agit d'un vaccin « recombinant », dans lequel les chercheurs ont introduit deux à trois gènes du VIH dans le génome du virus atténué de la rougeole. Le vaccin de la rougeole confère une très bonne immunité, protectrice à vie, après une seule injection.

En quoi consiste le vaccin VIH-rougeole ? Françoise Barré-Sinoussi (Institut Pasteur)

« Peut-être qu'avec un candidat-vaccin "VIH-rougeole", on aura une très bonne réponse pour protéger les enfants contre la rougeole et le VIH », explique Françoise Barré-Sinoussi. Au vu des résultats obtenus chez l'animal, l'Institut Pasteur devrait lancer, en 2009, les premiers essais cliniques chez l'homme afin d'évaluer la tolérance et la sûreté du produit, ainsi que sa capacité à induire des réponses immunes chez des adultes ayant une préimmunité ancienne contre la rougeole.

Autre enjeu  : la mise au point d'un vaccin thérapeutique. A l'Institut Pasteur des scientifiques travaillent sur un candidat-vaccin capable de restaurer les défenses immunitaires des personnes infectées. Il a été testé chez des souris dont le système immunitaire a été partiellement "humanisé" : l'étude publiée  le 20 mars 2007 dans la revue Molecular Therapy montre que ce candidat-vaccin induit  une forte mobilisation des lymphocytes T cytotoxiques, qui détruisent les cellules infectées par le VIH. Il permet aussi d'éviter que le virus échappe au système immunitaire et agit sur le long terme. Les résultats préliminaires obtenus chez le macaque sont eux aussi "encourageants" selon l'Institut. C'est pourquoi, un essai de vaccination chez des patients séropositifs devrait être lancé prochainement.

Les budgets consacrés à la recherche d’un vaccin contre le sida en France et aux États-Unis

Jean-François Delfraissy rappelle que « la recherche d'un vaccin est très coûteuse ».

En France, le budget annuel de la recherche vaccinale est, selon lui, de 5 millions d'euros (NDLR : près de 8 millions de dollars), contre 600 millions de dollars aux États-Unis.

L’étude des « contrôleurs VIH »

En quoi les contrôleurs VIH peuvent-ils servir de modèles de recherche ? Explications de Françoise Barré-Sinoussi

Les contrôleurs VIH – encore appelés « contrôleurs d'élite » ou en anglais HIC (pour HIV Controllers) – sont des personnes qui ne développent pas la maladie malgré plus de dix ans de séropositivité et en l'absence de traitement. Ils représentent donc de bons modèles de recherche. Des chercheurs de l'Institut Pasteur ont montré que, chez ces sujets « HIC », la réponse des lymphocytes TCD8 était extrêmement efficace. Ces derniers sont en effet capables de détruire les lymphocytes TCD4 infectés par le virus du sida. L'intérêt est maintenant de « savoir pourquoi et comment cette réponse se développe », souligne Françoise Barré-Sinoussi, directrice de l'Unité « Régulations des infections rétrovirales » à l'Institut Pasteur.

La meilleure arme : la prévention ?

Le virus du sida

Les spécialistes ont aussi rappelé que, malgré les antirétroviraux qui rallongent et améliorent la vie des malades, le virus du sida tue toujours. De plus, ces médicaments provoquent souvent des effets indésirables comme des troubles digestifs, des éruptions cutanées, des problèmes neurologiques, hépatiques… Par ailleurs, leurs « effets secondaires à long terme demeurent peu connus », rappelle Jean-François Delfraissy, en mentionnant de possibles effets délétères sur le myocarde, et un risque accru de cancer du poumon.

En attendant la mise au point de vaccins et autres immunothérapies, la lutte contre l'épidémie passe donc principalement par la prévention, pour éviter de nouvelles infections. « Il y a une recrudescence de nouveaux cas d'infection, explique Françoise Barré-Sinoussi. Ça montre combien il faut continuer à mobiliser les gens autour de cette infection et des modes de prévention. » Parmi eux, les microbicides sont à l'étude. Cette nouvelle technique en développement pourrait offrir aux femmes une autre option pour se protéger contre le VIH que celle du préservatif, pas toujours accepté par le partenaire. Mais, pour l'instant, la recherche dans ce domaine piétine là aussi.

Microbicides : où en sommes-nous ?

« Que pensez-vous des microbicides ? », Anthony Fauci, NIAID (National Institute of Allergy and Infectious Diseases)

Les microbicides sont des produits mis au point à l'intention des femmes afin de réduire la transmission du VIH au cours des rapports sexuels. Ils peuvent se présenter sous la forme d'un gel, d'une crème, d'un film, d'une éponge, ou encore être incorporés dans un anneau vaginal. Ils ont pour but d'empêcher le virus du sida d'entrer dans les cellules de la paroi du vagin ou du rectum.

Dans les pays où le taux d'infection par le VIH est très élevé et où les hommes acceptent rarement l'utilisation des préservatifs, les microbicides sont une bonne alternative pour protéger les femmes. C'est pourquoi l'OMS ou l'ONUSIDA attendent beaucoup de ces produits. Plusieurs sont actuellement à l'essai à grande échelle, principalement en Afrique. Mais certains essais ont dû être abandonnés à cause du nombre plus élevé d'infections à VIH recensées dans le groupe utilisant un microbicide que dans le groupe placebo.

Florence Heimburger le 27/05/2008