Sida : l'histoire d'une découverte

La découverte du virus du sida ne s'est pas faite sans controverse. Retour sur l'histoire de l'identification du VIH avec le Professeur Gilles Pialoux, l'un des infectiologues les plus proches de l'équipe de l'Institut Pasteur.

Par Viviane Thivent, le 07/10/2008

Le mal des années 1980

Le 5 juin 1981, l'agence épidémiologique d'Atlanta relève cinq cas de pneumonie rarissime à Los Angeles, entre octobre 1980 et mai 1981. Elle note que ces patients sont tous homosexuels et présentent un système immunitaire défaillant.

Comment a-t-on découvert les premiers cas de sida ?

A l'époque, on en déduit que ce mal inconnu se transmet par voie sexuelle. Une hypothèse qui gagne en crédibilité avec la découverte de cas similaires au sein de la communauté gay, aux Etats-Unis mais aussi dans le reste du monde. Toutefois, en 1982, on recense des personnes contaminées à la fois chez des toxicomanes et chez des hémophiles ayant reçu des transfusions sanguines. La contamination se ferait donc aussi par voie sanguine. La maladie est baptisée Syndrome d'immunodéficience acquise. L'acronyme AIDS est né.

L’histoire d’une découverte...

L'équipe complète de l'Unité d'Oncologie virale telle qu'elle était constituée en 1985.

Une équipe inconnue de l'Institut Pasteur, dans laquelle travaillent Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi, se penche alors sur ce qu'en France, on commence à appeler sida. Ils sont rapidement contactés par un clinicien, Willy Rozenbaum, chef de clinique assistant à l'hôpital Claude-Bernard de Paris, qui depuis 1981 soigne un steward homosexuel, M. Bru, atteint de cette maladie étrange. En 1983, lorsque le patient décède, Willy Rozenbaum prélève les ganglions lymphatiques pour les faire analyser par l'équipe de Pasteur. D'après les maigres données disponibles sur le sida, ces structures ont en effet tendance à gonfler dans les premiers stades du développement de la maladie.

Comment le virus a-t-il été découvert par l'équipe de Pasteur ?

Les chercheurs français mettent alors en culture ces cellules, parmi lesquelles les lymphocytes T, les cellules pivot de l'immunité. Et au bout de deux semaines, ils observent, autour de ces cellules immunitaires, une activité enzymatique importante, celle de la reverse transcriptase. C'est le signe qu'une prolifération rétrovirale est en marche. Ils isolent alors le virus libéré et le baptisent LAV pour Lymphadenopathy Associated Virus. Le 20 mai 1983, ils publient leurs résultats dans Science (F. Barré-Sinoussi et al., Science, 220, 868).

… puis d’une polémique

Robert Gallo

L'équipe de Pasteur profite de sa découverte pour envoyer des échantillons de son isolat aux Etats-Unis, plus précisément à l'équipe de Robert Gallo du National Cancer Institute. L'idée semble à l'époque pertinente puisqu'en 1980, ce chercheur américain a isolé le premier rétrovirus humain, le HTLV (I puis II). Résultat : un an après la publication française, le secrétaire d'Etat américain de la santé annonce la découverte par Robert Gallo du virus du sida, rebaptisé pour l'occasion HTLV-III. D'après le chercheur américain, le virus « français » ne serait pas nouveau : il serait un simple représentant de la famille de rétrovirus qu'il a lui-même découvert quelques années auparavant. Il profite même du coup médiatique pour annoncer la commercialisation d'un test de dépistage.

Comment est apparu la controverse ?

Pour les chercheurs français, qui s'apprêtaient eux aussi à breveter leur test de dépistage, c'est l'incompréhension et le début d'une bataille juridique féroce. En 1985, les génomes du LAV et du HTLV-III sont séquencés, confirmant que ces deux appellations désignent un seul et même virus. « Une seule et unique souche, celle prélevée dans les ganglions de M. Bru », précise Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon. Du coup, en 1986, la communauté scientifique décide de renommer le virus VIH pour Virus de l'immunodéficience humaine. Cette année-là, l'équipe de Pasteur isole un deuxième virus, le VIH-2. En 1987, les instances franco-américaines tranchent pour un accord à l'amiable, avec un partage équitable des royalties perçues suite à la vente des tests de dépistage. La remise de ce prix Nobel clôt définitivement la polémique en attribuant, très officiellement, la paternité de la découverte du virus du sida à l'équipe française.

Pourquoi un prix Nobel en 2008 ?

Pourquoi un prix Nobel pour la découverte du virus du sida ?

« De mon point de vue, le comité Nobel a souhaité envoyer un message fort, certainement pour lutter contre le désengagement des instances intergouvernementales face au fléau», estime Gilles Pialoux. En effet, 25 ans après la découverte du VIH, le sida n'est plus au centre des préoccupations. « Pour la première fois depuis des décennies, il n'a même pas été évoqué lors du G8 qui s'est tenu cet été à Hokkaido. » Et pourtant, concernant le sida, il y a plus de questions en suspens que de réponses. Pourra-t-on un jour guérir cette maladie ? La soigner ? Quand et où ce virus est-il apparu ? « Les questions se posent aujourd'hui autant sur la prospective que sur la rétrospective. » Concernant la contamination chez l'homme, un travail publié la semaine dernière dans la revue Nature* rapporte la découverte du VIH dans des tissus humains vieux de 100 ans. La contamination de l'homme par le virus pourrait ainsi être beaucoup plus ancienne que prévue.

* M. Worobey et al, Nature, 455, 2008

Viviane Thivent le 07/10/2008