Après le OUI de Moscou : Kyoto, c'est vraiment parti ?

Sept ans après sa signature, le protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre est enfin entré en vigueur grâce au ralliement de la Russie. Les pays qui se sont engagés à maîtriser leurs émissions devront le faire avant 2012. En Europe, le marché des quotas d’émission de CO2 s'est officiellement ouvert le 1er janvier 2005.

Par Marc Bertola, le 23/02/2005

Le protocole n’est plus virtuel

Le 16 février 2005, le protocole de Kyoto est enfin entré en vigueur. Ce texte, élaboré en 1997, stipule que la quarantaine de pays industrialisés signataires doivent réduire de 5% en moyenne leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2012, par rapport aux niveaux de 1990.

Ces gaz sont considérés comme les principaux responsables du réchauffement de la planète.

Pour prendre effet, le protocole devait être signé par au moins 55 pays représentant plus de 55% des émissions de CO2 (le principal gaz à effet de serre). C’est chose faite depuis le 18 novembre, date à laquelle la Russie (17,4% des émissions) a remis son document de ratification à l’ONU, après plusieurs années d’atermoiements.

Désormais, 141 pays représentant 61,6% des émissions mondiales sont signataires du protocole. « Une avancée historique » selon le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan.

Une obligation légale

Principale conséquence de l’entrée en vigueur du protocole : les pays industrialisés qui se sont engagés à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre ont maintenant l’obligation légale de le faire. Les contraintes diffèrent selon les pays : le Japon s’est engagé à réduire ses émissions de 6%, la Russie à les stabiliser, l’Union européenne à les réduire de 8%. En novembre 2001, à Marrakech, un système a été adopté afin de contraindre les signataires à respecter leurs engagements. Si les émissions d’un pays dépassent le seuil fixé sur une période, le dépassement doit être rattrapé pendant la période suivante avec une majoration de 30%. Aucune pénalité financière n’a en revanche été prévue.

Deuxième effet de la signature russe : certains « mécanismes de flexibilité » prévus par le protocole de Kyoto deviennent opérationnels. Ces mécanismes ont pour but d’aider les pays signataires à atteindre leurs objectifs à moindre coût. C’est le cas du « mécanisme de développement propre », qui permet aux pays industrialisés d’obtenir des crédits d'émissions de gaz à effet de serre s'ils financent, dans un pays en voie de développement, des projets permettant de réduire les émissions (par exemple des centrales solaires ou des éoliennes) ou des plantations végétales contribuant à absorber le CO2 (les « puits de carbone »). Autre mécanisme : la « Mise en œuvre conjointe », qui repose sur le même principe, mais entre pays développés.

Le grand marché du CO2

Le protocole de Kyoto prévoit également que les pays signataires peuvent échanger entre eux des montants d’émissions de CO2. Un pays qui a fait mieux que son objectif peut ainsi revendre à un autre les tonnes de CO2 qui lui restent. Dans chaque pays, le gouvernement peut distribuer une partie des droits d’émissions aux entreprises, qui les échangent ensuite entre elles. Une véritable « Bourse au CO2 » va donc naître, comparable aux marchés des matières premières. Il existe déjà un marché de ce type aux Etats-Unis pour les émissions de SO2 (Dioxyde de Soufre).

Au niveau mondial, ce marché ne fonctionnera qu’à partir de janvier 2008. En revanche, dans l’Union européenne, il s'est officiellement ouvert le 1er janvier 2005. Cette ouverture a été décidée dès octobre 2003 (Directive 2003/87/CE), sans attendre l’entrée en vigueur du protocole. Le principe : chaque Etat membre dispose d’une quantité de quotas d’émissions (pour la France, le chiffre est de 150 millions de tonnes), qu’il répartit entre les principales installations qui émettent des gaz à effet de serre (usines, centrales énergétiques). Ce « Plan National d’Allocation des Quotas » doit être approuvé par la Commission européenne. Au total, 12.000 installations sont concernées en Europe pour la période 2005/2007 (représentant près de la moitié des émissions totales), dont 1.126 en France. Chaque installation dispose d’une quantité de quotas pour un an. Si ses émissions dépassent cette quantité, elle peut acheter des quotas à une autre entreprise européenne... sinon, elle doit payer une pénalité (40 euros par tonne en trop).

Concrètement, les quotas peuvent se négocier de trois façons : en direct (d’entreprise à entreprise), par l’intermédiaire d’un courtier spécialisé, ou sur un marché organisé. Prix de la tonne de CO2 : autour de 8 euros.

Les limites du protocole

L’entrée en vigueur du protocole de Kyoto est une étape importante, mais elle ne permettra pas à elle seule d’empêcher l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Les rejets de CO2 dans l’atmosphère devraient augmenter de 39% en 2010 par rapport à 1990 en raison de la croissance des pays émergents (notamment la Chine), estime l’Agence Internationale de l’Energie dans son rapport 2004. Les rejets des pays en voie de développement dépasseront ceux des pays industrialisés vers 2020, selon l’AIE. Or les pays en développement ne sont pas liés par des objectifs de réduction d’émissions. Ainsi, la Chine et l’Inde refusent de limiter leur consommation de charbon, dont ils disposent en abondance, bien qu'il s'agisse d’une énergie fortement émettrice de CO2.

Autre limite du protocole : les Etats-Unis, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, refusent de le ratifier, de même que l’Australie. Les Etats-Unis représentent plus d’un tiers des émissions du monde industrialisé.

Le « plan climat » français

Emissions de gaz à effet de serre par secteurs en France en 2002

En France, le gouvernement s’est fixé un objectif à long terme : la division par quatre de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Pour y parvenir, un « plan climat » a été présenté fin juillet 2004. Le projet comporte une soixantaine de mesures pour tenter d’économiser 54 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an à l’horizon 2010. Parmi elles, cinq « actions phares » visent particulièrement l’habitat et les transports :

  • Un système de crédit impôt, pour inciter les particuliers à s’équiper en énergie propre,
  • La généralisation de l’étiquette énergie, pour sensibiliser le consommateur sur la qualité énergétique des produits qu’il achète,
  • La multiplication par cinq de l’utilisation des biocarburants d’ici 2010,
  • Un dispositif de « bonus-malus CO2 », qui pénaliserait l’achat des véhicules les plus polluants,
  • Une réglementation européenne sur le contrôle des climatiseurs.

Ce plan est néanmoins critiqué par les associations de défense de l’environnement, pour qui ces mesures ne vont pas assez loin. L’une des mesures-clés, celle du bonus-malus, est retardée : sa mise en place est désormais soumise à une concertation nationale et européenne.

Le temps presse

La Terre se réchauffe. La température moyenne à la surface de la planète a augmenté d’environ 0,6°C pendant les 100 dernières années, selon le Groupement intergouvernemental pour l’évolution du climat (GIEC), un organisme qui réunit près de 4 000 chercheurs dans le monde. La décennie 90 est la plus chaude jamais mesurée (1998 détenant le record). En mai 2003, la température moyenne à la surface du globe a été la deuxième plus forte enregistrée depuis 1880. Selon le GIEC, la situation ne devrait pas s’améliorer dans les prochaines décennies : l’augmentation des températures entre 1990 et 2100 serait comprise entre 1,4 et 5,8 °C.

Une étude sur le climat en Arctique, publiée en novembre 2004, prédit un avenir plus sombre encore, avec une réchauffement compris entre 4 et 7 degrés d’ici 2100. Les travaux menés pendant quatre ans par près de 300 chercheurs membres de l’ACIA (organisme d’évaluation du changement climatique en Arctique) montrent que la région située autour du Pôle Nord se réchauffe à grande vitesse, entraînant une fonte des glaces éternelles et une élévation mondiale du niveau de l’eau. « A long terme, le Groenland contient assez d’eau pour élever le niveau de la mer de 7 mètres », prévient l’ACIA.

Marc Bertola le 23/02/2005