Chercheurs et médias : de la divergence des pratiques au choc des éthiques

Par Françoise Tristani-Potteaux, responsable de communication au CNRS et enseignante à l'IFP

Par Françoise Tristani-Potteaux, le 17/07/2003

Dans un sens, ils se ressemblent. Le chercheur et le journaliste ne sont-ils pas tous deux voués à la recherche de la vérité, au dépassement des apparences ? En réalité, leurs pratiques et leurs enjeux sont loin d'être identiques. Le chercheur évolue dans le temps, le journaliste vit dans l'urgence : le premier procède par découvertes successives et non immédiatement applicables, le second demande des scoops ; le scientifique travaille en équipe, se fond souvent derrière celle-ci, alors que le journaliste recherche des vedettes ; le chercheur produit du savoir mais, ce faisant, produit aussi du doute, ce qui est une calamité pour la presse, qui déteste les incertitudes et sait que son lectorat les lui pardonne mal.

Parfois, bien sûr, leurs intérêts s'harmonisent : on découvre et on annonce une galaxie, le gène d'une maladie rare, un vaccin. De plus, la science avançant par controverses, elle fournit parfois à la presse de très alléchantes polémiques… Et puis ils ont besoin les uns des autres. Le journaliste a besoin du chercheur pour comprendre, pour valider, pour témoigner sur un plateau de télévision ou dans une émission de radio ; le chercheur, lui, a besoin du journaliste pour augmenter son capital de crédibilité, voire ses crédits, selon les cycles d'accumulation décrits par Pierre Bourdieu et Bruno Latour. Mais dans le couple à la fois complice et fragile que forment le journaliste en quête de scoop et le chercheur en quête de gloire, des crises et des dysfonctionnements ne manquent pas de se produire. À leur source, des éthiques profondément divergentes.

Pour le chercheur, surtout dans les sujets sensibles comme le nucléaire, la santé ou l'environnement, une question demeure, lancinante : peut-il réaliser tout ce qui est scientifiquement réalisable ? Et qui doit décider des limites ? Les enquêtes le montrent clairement : pour contrôler le progrès, respecter les règles éthiques et alerter sur les risques, l'opinion fait confiance aux chercheurs et n'accorde aucun crédit aux politiques.

L'éthique du journaliste n'est pas la même. Elle repose sur une sorte de devoir de révélation et s'exerce dans un contexte de compétition et de logique économique. Pour captiver les publics, il faut prendre à la science ce qu'elle a de "vendeur" : l'insolite, le rêve, la magie, les personnages hors du commun, rarement la science en train de se faire dans la discrétion des laboratoires.

Ces divergences, que les comités d'éthique – en particulier le Comité consultatif national d'éthique en France – ont pointées sans pouvoir les résoudre, génèrent des situations de crise qui ne sont bénéfiques ni à la presse, ni à la science, ni à la culture du public et encore moins aux vocations des jeunes.

Il serait simpliste de tomber dans l'analyse manichéenne du bon chercheur opposé au rusé reporter. Le champ médiatique et le champ scientifique obéissent à des logiques internes qui garderont leur spécificité. Mais une meilleure interpénétration des deux milieux devrait être favorisée et préparée de façon précoce. Ainsi le rapprochement entre les organismes de recherche et les écoles de journalisme constitue-t-il un objectif prioritaire.

Françoise Tristani-Potteaux le 17/07/2003