Le spectacle au service de la science ou l’affaire du mammouth congelé

Avec Yves Coppens, paléontologue.

le 30/07/2003

Au printemps 1997, lors d'une campagne de chasse dans la presqu'île de Taymir à l'extrême nord de la Sibérie, une famille de nomades dolgans, les Jarkov, découvre une paire de défenses de mammouth surgissant de la surface gelée du sol. Bernard Buigues, directeur de l'association française Cercles Polaires Expéditions, est aussitôt averti et décide de maintenir le mammouth Jarkov dans ce bloc de sédiments qui le conserve depuis près de vingt mille ans. En septembre 1999, après plusieurs mois de préparation technique, débutent les travaux de dégagement du bloc de sédiments à l'intérieur duquel se trouve le mammouth Jarkov. Le 17 octobre 1999, un bloc de 23 tonnes d'où dépassent deux belles défenses, plantées là artificiellement, est hélitreuillé depuis son site d'extraction jusqu'au site de Kathanga où il est installé dans une cave aux parois de glace. Ce spectacle grandiose très médiatisé soulèvera bien des questions.

Le 17 octobre 1999, le bloc de 23 tonnes d'où dépassent deux belles défenses est prêt à être hélitreuillé.

« Par cette découverte, Bernard Buigues souhaitait obtenir des crédits afin de poursuivre l'opération. C'est pour cela qu'il a eu l'idée de planter les défenses dans le bloc de glace, pour le côté spectaculaire donné ainsi à la scène, nous explique Yves coppens, directeur scientifique de l'opération. En fait, à l'endroit où elles avaient été mises, les défenses se trouvaient à la hauteur de la poitrine ! Mais, en l'air, deux belles défenses en spirale soulevées par l'hélicoptère avaient un impact visuel beaucoup important qu'un simple petit « paquet cadeau » qui, malgré ces 23 tonnes, aurait eu l'air un peu ridicule lors de l'hélitreuillage.

C'était tout à fait artificiel ; je n'aurais pas eu cette idée, mais c'est vrai que cela a facilité les choses par la suite. J'ai pu mener les expériences sans souci financier. Les scientifiques sont venus travailler sur le bloc qui séjournait dans une cave aux parois de glace. Ainsi, il n'y a pas eu rupture de la chaîne du froid. Nous avons fait venir les pianistes au piano au lieu de déplacer le piano comme cela avait toujours été fait jusque-là. Des spécialistes des dents sont venus faire des petits carottages dans les défenses et les molaires. Des amateurs d'ADN ont fait des prélèvements dans les ossements et les dents. Tout ce monde a énormément travaillé au point qu'il y a eu beaucoup de résultats.

Le fait de ne pas rompre la chaîne du froid a apporté des éléments nouveaux, comme l'étude du sédiment congelé. Celui-ci a bien conservé les insectes, les chenilles, les éléments végétaux. Son étude a permis de découvrir que le mammouth évoluait dans un paysage de taïga à petits mélèzes alors que, jusqu'à présent, on pensait que c'était une toundra faite uniquement de mousse et de lichen. On a aussi appris que, durant les quatre dernières années de son existence, le mammouth Jarkov était descendu à deux reprises dans des régions un peu plus couvertes, plus forestières, et qu'il était remonté dans le Grand Nord, aux abords de l'océan Arctique, rencontrant aussi bien en descendant qu'en montant un paysage peu enneigé, ce qui veut dire que depuis sa mort, c'est-à-dire depuis vingt mille ans, il y a eu un accroissement du froid. On a trouvé d'immenses plaques de poils sur le cadavre : un sur-poil long sous la forme de crin roux et un sous-poil beaucoup plus fin, beaucoup plus clair et plus dense en même temps. Selon les recherches menées en laboratoire, la belle couleur auburn de la toison du mammouth était sa toison d'origine. En science, il y a toujours des découvertes surprenantes quand on s'attelle à un problème quel qu'il soit. Le terrain est toujours très fécond. Et, en l'occurrence, cette recherche nous a déjà apporté beaucoup de choses. »

le 30/07/2003