Derniers instants d’une étoile peu ordinaire

Grâce à un astronome amateur, les scientifiques viennent peut-être de découvrir pour la première fois les signes annonciateurs d'une supernova.

Par Olivier Boulanger, le 18/06/2007

Un premier flash avant un grand boum

À l'heure des télescopes spatiaux, des sondes planétaires et des observatoires géants, difficile de croire que les astronomes amateurs puissent encore contribuer à la recherche scientifique. Et pourtant… L'explosion atypique d'une étoile située à plus de 80 millions d'années-lumière de la Terre qui vient de faire l'objet d'une étude internationale* serait sans doute passée inaperçue si un amateur japonais n'avait pas remarqué cet objet il y a plus de deux ans à travers son télescope de 60 cm.

Un flash... puis un grand boum.

Le 14 octobre 2004, Koichi Itagaki observe en effet dans la galaxie UGC4904 de la constellation du Lynx un objet dont la brillance ne cesse de croitre. Tout semble indiquer qu'il s'agit d'une supernova : un phénomène lumineux associé à l'explosion d'une étoile en fin de vie dont les astrophysiciens sont très friands. Mais au bout de quelques jours seulement, l'éclat de l'objet diminue brusquement, trop rapidement pour qu'il puisse s'agir d'une supernova. Bien qu'alertée, la communauté scientifique ne prête alors pas attention à cet événement, finalement pas si exceptionnel, et qui peut correspondre à différents phénomènes plus ou moins connus.

Mais Koichi Itagaki ne baisse pas les bras. Régulièrement, l'astronome amateur photographie la région du ciel où le phénomène est apparu la première fois. Et sa patience est récompensée : le 9 octobre 2006, à 18h03 (TU), un phénomène dix fois plus lumineux apparait exactement au même endroit. Cette fois-ci, il n'y a pas de doute, il s'agit bien d'une étoile en train d'exploser.

Les supernovae : des explosions qui ne préviennent pas...

Dès lors, les chercheurs considèrent l'événement avec un peu plus d'intérêt. Quelques dizaines voire quelques centaines de supernovae sont visibles chaque année, mais très peu d'entre elles sont suffisamment lumineuses pour pouvoir être étudiées. Or, malgré son éloignement, cette nouvelle supernova – baptisée SN2006jc – est aussi brillante que la galaxie qui l'abrite.

Très vite, sous la direction d'Andrea Pastorello du centre d'Astrophysique de l'université de Belfast, un consortium scientifique international se met en place. En Europe, mais aussi en Chine et au Japon, huit télescopes professionnels suivent le phénomène durant près 60 jours.

* "A giant outburst two years before the core-collapse of a massive star", Nature , vol. 447, n°. 7146 (14 juin 2007)

Une supernova d'un type très rare

L'étude consiste avant tout à étudier le spectre de cet objet au cours du temps. La spectrométrie permet en effet de révéler les éléments chimiques présents lors du phénomène. C'est d'ailleurs selon ces critères que sont classés historiquement les deux grands types de supernovae. Les premières, celles de type I, ne laissent apparaitre aucune trace d'hydrogène ou d'hélium, deux éléments pourtant majoritairement présents dans l'univers. Elles ont vraisemblablement pour origine une naine blanche qui, après avoir absorbé la matière d'une étoile voisine, explose subitement. Dans les supernovae de type II, au contraire, l'hydrogène et l'hélium sont bien présents. Elles correspondent à l'effondrement d'une étoile massive (au moins huit fois la masse du Soleil) qui éjecte brutalement ses couches externes.

Un spectre surprenant

Mais dans quelle catégorie placer SN2006jc ? Lorsqu'il prend connaissance des premiers spectres, Jean-Marc Bonnet-Bidaud, du service d'astrophysique du CEA, est très surpris : « J'étais au télescope de l'observatoire de Haute-Provence pour un autre programme lorsque j'ai été alerté et j'ai alors observé la supernova dans le cadre de la collaboration française. Jamais je n'avais vu un spectre pareil. Il était impossible d'identifier les éléments chimiques habituels. On a finalement réalisé qu'on avait sous les yeux des raies d'oxygène, magnésium, calcium, très larges à cause des grandes vitesses produites par l'explosion. » Si le spectre témoigne de la violence de l'explosion, il ne laisse apparaître aucune trace d'hydrogène ou d'hélium. SN2006jc pourrait donc appartenir à la classe I.

Michel Dennefeld
(Institut d'astrophysique de Paris)

Cependant, au bout de dix jours, quelques traces d'hélium font leur apparition. Mais à la différence des autres éléments, il s'agit de raies fines, vraisemblablement associées à un phénomène moins violent que l'explosion elle-même. À vrai dire, les chercheurs connaissent deux autres supernovae aux caractéristiques similaires. SN2006jc est ainsi classée dans une catégorie très rare mais déjà existante : la classe Ib.

Esquisse d’un scénario

Difficile d'esquisser un scénario lorsqu'on ne connait rien sur l'étoile à l'origine de l'explosion. De quoi regretter le manque d'intérêt porté au premier flash observé par Koichi Itagaki en 2004… Néanmoins, les chercheurs avancent une hypothèse.

Il est possible que l'étoile observée par l'amateur japonais était une LBV (pour Luminous Blue Variable), une étoile bleue massive de 60 à 100 fois la masse du Soleil. Ces LBV, dont on dénombre aujourd'hui une trentaine d'exemplaires, sont connues pour éjecter leur couche externe constituée d'hydrogène et d'hélium, phénomène durant lequel se produit un « flash lumineux transitoire ». Peut-être Koichi Itagaki a-t-il observé en octobre 2004 l'ultime flash d'une LBV.

En 2006, le cœur qui subsistait de cette étoile (15 à 25 masses solaires), constitué principalement d'oxygène et de carbone, explose. C'est le début de la supernova dont le souffle rattrape au bout d'une dizaine de jours les restes de l'enveloppe éjectée en 2004, ce qui expliquerait les traces d'hélium mesurée dans le spectre. « C'est un scénario possible, note Michel Dennefeld de l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP), mais il nous reste encore beaucoup d'inconnues. En particulier, on ne connait pas a priori la vitesse d'éjection des enveloppes. La modélisation permettra sans doute de vérifier si cette hypothèse est réaliste. »

Mais d'autres scénarios sont envisageables. Le premier flash pourrait n'avoir été qu'une convulsion du cœur même de d'étoile, bien qu'un tel phénomène n'ait jamais été observé auparavant. Autre possibilité, qu'il y ait eu en réalité deux étoiles, l'une étant à l'origine du premier flash, l'autre de la supernova. De prochaines observations réalisées avec le télescope spatial Hubble permettront peut-être de détecter cette hypothétique étoile restante.

Un signe annonciateur de supernova ?

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Reste à savoir si – dans le cas de l'hypothèse LBV – le flash observé en 2004 était annonciateur de l'explosion survenue deux ans plus tard. Si tel était le cas, ce serait une vraie aubaine pours les chercheurs. En effet, les scientifiques ne connaissent à ce jour aucun signe précurseur de ces explosions. Résultat : à l'exception de la supernova observée en 1987 dans le Grand Nuage de Magellan (SN 1987A), on ne connait rien des étoiles qui ont explosé.

« Ce que nous devons maintenant mettre sur pied, c'est une surveillance régulière et aussi continue que possible des quelques étoiles bleues massives connues pour ne pas rater un prochain phénomène, fait remarquer Michel Dennefeld. Cela nécessite une mobilisation de nombreux instruments - même modestes - dans le monde entier. Autant dire qu'une collaboration avec les amateurs, même si elle n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre, est tout à fait envisageable. »

Olivier Boulanger le 18/06/2007