Antares : chasse aux neutrinos ouverte en Méditerranée

Après sept ans d'efforts, la construction du télescope sous-marin Antares dédié à la détection de neutrinos vient de s'achever à la Seyne-sur-Mer (Var). En scrutant les fonds marins à la recherche de ces particules cosmiques, Antares devrait nous en apprendre un peu plus sur certains des secrets les mieux gardés de l'Univers.

Par Vahé Ter Minassian, le 26/06/2008

Le premier télescope à neutrinos européen

C'est parti pour « Antares » ! Annoncé conjointement par le CNRS, le CEA et l'Ifremer dans un communiqué de presse le 25 juin 2008, le télescope européen sous-marin dédié à la chasse aux «neutrinos cosmiques » est fini d'être installé. Fin mai, une équipe spécialisée avait procédé à l'ultime opération visant à rendre l'instrument de dix hectares pleinement opérationnel : le câblage par 2400 mètres de fond des deux dernières des douze lignes de détecteurs dont il est constitué. Réalisée sans anicroche, la mission avait nécessité la mobilisation du submersible « Victor » de l'Ifremer. Et son transport sur le site situé à dix milles nautiques de l'île de Porquerolles en Méditerranée…

Avec la fin de ces travaux, l'Europe entre de façon spectaculaire dans l'ère de l'astronomie des neutrinos. Très abondantes dans l'Univers, ces particules bombardent la Terre, en permanence. Bien que leurs origines varient, des expériences conduites au laboratoire montrent que les plus véloces d'entre elles sont produites par des protons accélérés probablement lors de cataclysmes mettant en œuvre de fantastiques énergies : super trous noirs au centre des galaxies, micro-quasars (étoiles doubles dont l'une est un trou noir) ou restes d'explosion d'étoiles en supernovæ. Autre origine possible : la « matière noire », cette substance invisible qui représenterait jusqu'à 85 % de toute la matière existante et dont la nature échappe encore aux physiciens.

L’astronomie des neutrinos

L’astronomie des neutrinos, à quoi ça sert ?

Si ces entités intéressent aujourd'hui les astronomes, c'est qu'elles sont bien souvent les seuls témoignages nous parvenant de phénomènes difficilement repérables à l'aide des télescopes classiques. Et ce, en raison d'un curieux don leur permettant de traverser la matière de part en part sans être stoppées. Comme cette propriété fait que ces particules voyagent en ligne droite à partir de l'endroit où elles ont été générées, le but des chercheurs depuis les années 70 est d'établir la direction dans laquelle se déplacent les neutrinos les plus énergétiques afin de remonter aux sources pour les étudier.

Le projet Ice-Cube

Deux instruments ont tenté par le passé de réussir cet exploit en détectant non pas directement les neutrinos mais des particules issues de leurs rencontres avec des atomes de matière : les muons. Grâce à des rangées de photomultiplicateurs alignés les uns à côtés des autres dans les eaux gelées du Lac Baïkal et dans la calotte Antarctique, les responsables des programmes Baïkal et Amanda ont ainsi longtemps espéré repérer l'infime trace lumineuse laissée dans la glace par le passage des muons. En vain. Car si ces dispositifs ont bien réussi à identifier des muons, ils n'ont pu en établir l'origine cosmique. L'équipe d'Amanda a récemment expliqué cet échec par la faible surface occupée par son système : 0.1 km². Aussi travaille-t-elle actuellement à une seconde version élargie : ICE-CUBE, un gigantesque détecteur de 1 kilomètre cube qui sera opérationnel à partir de 2009 dans les glaces du pôle Sud.

Les atouts d’Antares

Déjà des résultats pour Antares ?

Antares réussira-t-il là où les autres ont échoué ? S'il fonctionne sur le même principe que ses concurrents, le premier télescope à neutrinos construit en Europe dispose en tout cas d'un pouvoir de résolution bien supérieur à tout ce qui a été fait jusqu'ici. Ses 900 photomultiplicateurs répartis sur ses douze lignes longues de 400 mètres chacune ont, en effet, l'avantage de traquer, par 2400 mètres de fond, le signal lumineux des muons dans un milieu aux propriétés optiques meilleures que celles de la glace : l'eau. « De plus, à la différence d'Amanda, le projet le plus avancé, Antares est dirigé vers la Voie lactée, une région de la galaxie où les sources de neutrinos devraient être nombreuses », explique Vincent Bertin, chargé de recherche au Centre de Physique des Particules de Marseille (CPPM, IN2P3-Université de la Méditerranée), qui se dit confiant au vu des premières données recueillies par l'appareil avant même la fin de sa construction. Plusieurs centaines de neutrinos ont déjà été détectés et sont en cours d'analyse pour savoir s'ils sont d'origine atmosphérique ou cosmique.

Quels sont les futurs instruments ?

Cela suffit-il cependant à garantir le succès ? Le programme Antares doté de 20 millions d'euros sur sept ans, impliquant six pays aux côtés de la France représentée par le CPPM, le CEA et l'IFREMER n'est, de toute façon, qu'une première étape. Depuis 2006 en effet, tout ce que le vieux continent compte de spécialistes du domaine est réuni au sein d'un réseau européen, KM3Net, visant déjà à préparer la suite. L'objectif ? Procéder aux premières études techniques en vue de la construction au fond de la Méditerranée... d'un détecteur de neutrinos cosmiques encore plus grand, de taille kilométrique cette fois !

Vahé Ter Minassian le 26/06/2008