Une danse d’étoiles confirme la relativité générale d’Einstein

En observant le « pas de deux » effectué dans l'espace par deux corps ultradenses - deux étoiles à neutrons - une équipe internationale montre une fois de plus l'extrême justesse de la théorie de la relativité générale. Ce faisant, elle envoie valser dans les nimbes de l'oubli une poignée de théories alternatives à celle d'Einstein.

Par Viviane Thivent, le 09/07/2008

La bonne étoile d’Einstein

La bonne étoile d'Albert Einstein ne brille pas, elle clignote : à l'instar d'un phare, elle tourne sur elle-même en émettant des ondes radio, X ou gamma dans une seule direction. Avec son diamètre d'environ 20 kilomètres, elle est minuscule, mais néanmoins très dense puisque sa masse excède celle du Soleil. La bonne étoile d'Einstein est une étoile à neutrons, un objet dont l'observation a confirmé, déjà à deux reprises dans l'histoire de la physique, les prédictions de sa relativité générale.

Qu’est-ce qu’une étoile à neutrons ?

A la fin de sa vie, une étoile massive -  c'est-à-dire 10 fois plus massive que le Soleil - explose en supernova et donne naissance, soit à un trou noir, soit à une étoile à neutrons. Dans ce second cas, le noyau de fer de l'étoile est comprimé à un degré tel que la matière n'est plus constituée d'atomes comme sur Terre, mais d'une soupe compacte d'électrons, de protons et de neutrons. Dans de telles conditions, les éléments, qui d'ordinaire composent la matière, peuvent se rencontrer librement. Et lorsqu'un électron et un proton entrent en contact, ils se combinent et forment un neutron, en émettant un neutrino, une particule non soumise à la gravitation et qui, de fait, s'échappe dans l'espace. Ainsi, au fil du temps, la proportion de neutrons présents dans l'étoile croît, passant de 60% à plus de 90%... d'où le nom de ces étoiles.

Première danse

La première fois, c'était il y a plus de trente ans, en 1974. A l'époque, les physiciens américains Russell Hulse et Joseph Taylor découvrent un système binaire, le premier du genre, constitué de deux étoiles à neutrons tournant l'une autour de l'autre. Une découverte importante.

Les courbures de l'espace-temps engendrées par la Terre

Et pour cause : contrairement à ce qu'avait affirmé Isaac Newton à la fin du XVIIe siècle, pour Einstein la gravitation* n'est pas une force : elle est une conséquence de la courbure de l'espace-temps, une courbure elle-même engendrée par la présence de matière dans l'espace. Aussi, de son point de vue, plus un objet est massif, plus il aura tendance à déformer l'espace-temps. Une étoile à neutrons étant particulièrement massive et compacte, elle devrait conduire à de grandes déformations à sa proximité et, de fait, rendre visible certains effets de la relativité générale... Et ce qui est vrai pour une étoile de ce type l'est a fortiori pour un système comportant deux étoiles à neutrons.

La courbe obtenue par Hulse et Taylor

Or, en 1916, Albert Einstein avait affirmé que, si sa théorie était correcte et que l'interaction gravitationnelle existait bel et bien, alors celle-ci ne pouvait pas être instantanée. Du temps était nécessaire pour que l'information se propage dans l'espace. De fait, il devait exister des ondes gravitationnelles, autrement dit l'équivalent pour la gravitation des ondes électromagnétiques (lumière, radio) transportées par les photons.

Si la mise en évidence directe de ces ondes gravitationnelles reste - aujourd'hui encore - à faire, en 1974, Hulse et Taylor ont l'idée d'utiliser le système binaire qu'ils venaient de découvrir pour tenter de démontrer, fusse indirectement, l'existence de ces ondes gravitationnelles.

Après avoir mesuré, des mois durant, la vitesse de rotation des deux étoiles de ce système binaire, les physiciens se sont alors aperçus qu'il perdait de l'énergie. Une évolution qui correspond, trait pour trait, à celle prédite par le modèle d'Einstein. Un bon point pour la théorie d'Einstein et un prix Nobel de physique pour Hulse et Taylor en 1993.

* La gravitation est un phénomène physique qui provoque l'attraction réciproque des corps massifs.

Dernière danse

Reste qu'aussi remarquable soit la théorie d'Einstein, elle est, par essence, imparfaite. Ne serait-ce que parce qu'elle repose sur une série de présupposés, de postulats, invérifiables - ou du moins, invérifiés. A défaut de mieux, Einstein s'était évertué à ne choisir que les plus simples des postulats… Les plus simples mais pas les seuls envisageables. Voilà pourquoi, depuis des décennies, de nombreuses théories alternatives, plus ou moins éloignées des calculs d'Einstein, basées sur des postulats plus ou moins différents de ceux d'Einstein, ont vu le jour. Un arbre évolutif un brin chaotique dans lequel une équipe internationale a décidé de tailler.

Comment ? Une fois encore, en observant la valse de deux étoiles à neutrons. Des étoiles (nommées PSR J0737-3029A/B) qui, contrairement au système de Hulse et Taylor, sont toutes deux visibles depuis la Terre. Pendant quatre ans, les chercheurs ont mesuré les modifications du signal qui surviennent quand une étoile éclipse l'autre dans le système.

 

En comparant le signal émis par ce système double et les signaux prédits par les différentes théories en vigueur, l'équipe de René Breton a montré que les équations d'Einstein expliquaient mieux que les autres le comportement du système*. Elles prévoient, par exemple, que tous les ans, l'axe de rotation de l'une des deux étoiles change de 5,07 degrés par rapport à l'axe générale du système binaire. Dans les faits et les mesures, ce paramètre change de 4,77 plus ou moins 0,66° par an. Les équations d'Eintein miment donc parfaitement la réalité. A croire que le vieux savant n'en finira jamais de tirer une langue malicieuse à ses successeurs.

* R. Breton et al, Science, 4 juillet 2008

Viviane Thivent le 09/07/2008