Des poissons bavards... qui en disent long sur l’évolution

Loin de ne faire que buller dans le monde du silence, certains poissons braillent, grondent et chantent à tue-tête. En étudiant l'architecture cérébrale d'animaux moins silencieux qu'il n'y paraît, une équipe américaine a montré que la capacité de vocaliser de façon innée serait héritée d'un ancêtre commun à certains poissons, oiseaux et mammifères.

Par Viviane Thivent, le 18/07/2008

Grognements universels

Il aboie quand on entre sur son territoire, grogne quand on cherche à l'intimider et émet des sons suaves quand il essaie de draguer. De qui s'agit-il ? D'un chien ? D'un jeune homme en pleine crise d'adolescence ? Ou d'un poisson crapaud ? Difficile à dire. Car en matière de communication, l'homme partage avec ses congénères vertébrés bien plus de points communs qu'il ne le croit. En marge de la langue parlée, il émet en effet toute une gamme de vocalisations innées qui vont du grognement matinal aux cris hystériques de la naissance.

Larves de poissons crapauds

Or, ces gloussements, ronronnements, pleurs et vocalisations étranges existent chez tous les vertébrés (exceptions faites des requins et des agnathes comme la lamproie). Et pour cause : ils dériveraient tous d'un système neuronal primitif, qui serait apparu très tôt dans l'histoire de l'évolution, chez l'ancêtre commun de certains poissons, oiseaux et mammifères. C'est du moins ce que suggère une étude menée par une équipe du département de neurobiologie de l'université Cornell* aux Etats-Unis.

* A. Bass et al., Science, 18 juillet 2008

Entretien avec un poisson crapaud

Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont étudié trois espèces de poissons crapauds (Opsanus beta, O. tau et Porichthys notatus). Des animaux particulièrement bavards puisque les mâles ont tendance à vocaliser à tout va, aussi bien pour protéger leur territoire que pour intimider un assaillant ou courtiser une partenaire.

Evolution du cerveau chez une larve de poisson crapaud

Et pour émettre ces sons, ils utilisent, non pas un larynx ou des cordes vocales, mais un organe qui d'ordinaire leur sert à ajuster la flottabilité : la vessie natatoire, une petite poche emplie de gaz qui peut se déformer ou se mettre à vibrer. En étudiant le développement du cerveau chez des larves de poissons crapauds, les chercheurs ont isolé une région cérébrale qui se développe dès que les muscles vocaux atteignent la vessie natatoire. Cette région, située à l'arrière du cerveau, serait donc impliquée dans la commande du langage inné.

D’une espèce à l’autre

Evolution des comportements vocaux

Or, la position de cette zone est très proche de celle qui se développe chez les oiseaux pour innerver le syrinx ou chez les grenouilles pour le larynx. De cette observation, les chercheurs ont tiré une conclusion : la capacité à vocaliser de façon innée est apparue chez l'ancêtre commun des actinoptérygiens (les poissons crapauds), des sarcoptérygiens, des amphibiens, des reptiles, des oiseaux et des mammifères.

À l'inverse de la capacité à apprendre un langage qui aurait émergé plusieurs fois dans l'histoire de l'évolution, en particulier chez les oiseaux, les cétacés ou les primates, la capacité innée de vocaliser ne serait apparue qu'une seule fois et transmise à tous les descendants. Pour l'heure, les conditions ayant mené à l'émergence de cette vocalisation innée restent néanmoins énigmatiques.

Viviane Thivent le 18/07/2008