Première mondiale : un cerveau du fond des âges

Pour la première fois, des scientifiques ont pu mettre au jour le cerveau fossilisé d'un poisson vieux de 300 millions d'années. Grâce à de nouvelles techniques d'imagerie, la structure interne de ce cerveau se révèle désormais au grand jour.

Par Marion Sabourdy, le 13/03/2009

Un fossile sous les rayons X

Des chercheurs français et américains viennent de découvrir le tout premier cerveau fossilisé¹. Son propriétaire est un petit poisson de 300 millions d'années aujourd'hui disparu, proche des poissons-rats et cousin des requins et raies actuels.

Le fossile contenant le cerveau

Comme tout fossile, « il ne reste plus de trace de matière organique (cellules ou tissus) du cerveau car tout a été remplacé par de la matière minérale », indique l'auteur principal de la publication, Alan Pradel, post-doctorant au Centre de recherches sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements². En revanche, « cette réplique minérale du cerveau permet de distinguer le petit cervelet, la moelle épinière ainsi que le nerf et les lobes optiques très développés. Seul l'avant du cerveau, ou télencéphale, n'a pas été conservé ».

Pour arriver à visualiser le cerveau, les chercheurs ont utilisé plusieurs techniques d'imagerie, dont l'holotomographie par rayons X du synchrotron de Grenoble. Cette technique a permis de différencier la roche qui s'est substituée au cerveau (phosphate de calcium) de celle qui remplit le reste de la boîte crânienne (calcite ou carbonate de calcium), toutes deux ayant une densité différente.

« Cette découverte est une vraie surprise car nous ne pensions pas qu'un cerveau puisse être fossilisé, s'enthousiasme Alan Pradel. On a un moment pensé à une erreur de notre part mais l'anatomie ne laisse aucun doute ». Les scientifiques ont alors modélisé les différentes parties du crâne et du cerveau.

L’holotomographie par rayons X

Le synchrotron de Grenoble

Le synchrotron de Grenoble produit un rayonnement X, très fin et puissant, utilisé pour sonder la matière grâce à différentes méthodes. L'une d'entre elles, la tomographie par absorption de rayons X, est une technique radiologique qui produit des images « en coupe » d'un objet. L'appareil analyse l'interaction d'un faisceau de rayons X avec la matière. Grâce aux données récoltées, une image numérique est reconstruite mathématiquement.

L'holotomographie (holo = entier), quant à elle, recrée l'objet, le fossile ou l'organe en trois dimensions. En se basant sur le contraste de phase, elle permet de visualiser en très haute résolution toutes les interfaces de l'objet (ici la boîte crânienne, la cavité du cerveau et le cerveau) grâce à leurs différences de densité et de composition.

Une fossilisation exceptionnelle

Une fossilisation d'origine bactérienne : voilà l'hypothèse des auteurs de la publication. Selon Alan Pradel, « à la mort du poisson, de nombreuses bactéries auraient recouvert le cerveau en une sorte de film protecteur qui aurait mobilisé tout l'oxygène présent dans la boîte crânienne, empêchant ainsi la dégradation des tissus mous. Les bactéries auraient aussi libéré du dioxyde de carbone qui, avec le phosphore présent dans l'environnement et les acides gras du cerveau, auraient acidifié l'eau, entraînant une précipitation de phosphate de calcium à cet endroit précis ». Quant au reste du poisson, seule de la calcite s'est déposée dessus.

Sibyrhynchus denisoni

Encore peu connue, cette espèce de poisson vivait il y a 300 millions d'années dans la boue des hauts-fonds et près des côtes de ce qui deviendra le Kansas et l'Oklahoma (États-Unis). Ces couches géologiques, riches en poissons fossiles, sont étudiées depuis le début du XXe siècle et datées entre 307 et 299 millions d'années (Carbonifère supérieur). Le fossile au cerveau est le seul conservé en trois dimensions parmi de nombreux spécimens aplatis par les roches. Ces conditions se sont peut-être produites pour d'autres espèces avec à la clé de nouveaux cerveaux parfaitement fossilisés. « Cela permettrait de comparer les espèces et d'étudier l'évolution du cerveau chez les poissons mais aussi chez les premiers tétrapodes », espère le chercheur qui commence déjà à scanner d'autres fossiles, à la recherche de la moindre matière grise pétrifiée.

1. Alan Pradel et al., PNAS Early Edition, 2 mars 2009.
2. Muséum national d'histoire naturelle, CNRS et Université Pierre et Marie Curie.

Marion Sabourdy le 13/03/2009