Fonds océaniques : une famille de poissons... recomposée

On les prenait pour trois poissons différents. Si dissemblables même que les taxonomistes les avaient classés dans trois familles biologiques distinctes. À tort... Rencontre avec la plus étrange des familles des profondeurs.

Par Viviane Thivent, le 16/02/2009

La vie dans un grand fond tranquille

Une larve, un mâle et une femelle de la nouvelle famille des Cetomimidae

Les membres de certaines familles sont si mal appariés que l'on a du mal à croire qu'ils viennent de la même lignée. Qui pourrait dire ainsi, d'un simple coup d'œil, qu'un grand dadais est le fils d'une grande gueule corpulente et d'un père minuscule, dont le seul organe vraiment développé est le foie ? C'est déjà difficile pour des êtres terrestres, alors pour des poissons vivant dans les profondeurs océaniques... Il n'empêche, une équipe internationale vient de réussir cet exercice ardu en reformant une bien étrange famille abyssale (D. Johnson et al., Biology Letters, janvier 2009).

Des spécimens étranges ou du moins énigmatiques, aussi bien dans leur forme que dans leur comportement. Habitués à vivre dans des conditions extrêmes de pression, les poissons abyssaux ne supportent pas la remontée en surface. Ceci explique que les biologistes ne connaissent d'eux que leurs dépouilles. De fait, pour classifier ces individus, ils n'ont d'autres choix que de se baser sur des critères anatomiques. De quoi conduire à quelques aberrations, comme à la création de familles taxonomiques intégralement composées de femelles, de mâles ou de juvéniles.

Trois pour une

Histoire de couper court à ce foisonnement phylogénique, une équipe internationale a effectué des tests génétiques sur une trentaine de spécimens appartenant à trois familles de poissons abyssaux : les Mirapinnidae (famille composée d'immatures), les Megalomycteridae (des mâles au foie surdéveloppé) et les Cetomimidae (des femelles aux imposantes mâchoires). Tout cela pour s'apercevoir que, comme soupçonné, ces trois familles n'en sont en fait qu'une seule, celle des Cetomimidae (ce nom ayant été choisi parce que cette famille a été décrite la première).

D'après les chercheurs, l'extrême dimorphisme observé entre les mâles, les femelles et les juvéniles s'expliquerait par des habitats et habitudes alimentaires très différents. Les larves de Cetomimidae, toutes pêchées à faible profondeur, au-dessus de 200 mètres, ont ainsi une petite mâchoire incurvée, idéale pour se repaître des petits crustacés planctoniques – les copépodes – qui pullulent à ces profondeurs. Les adultes, eux, ont tous été trouvés au-dessous des 1 000 mètres... des profondeurs où les eaux sont bien moins riches en nutriments. De fait, pour survivre à ces conditions, mâles et femelles ont développé deux stratégies adaptées à leurs besoins.

Ainsi, les mâles, beaucoup plus petits que les femelles, n'ont plus d'estomac, ni d'œsophage mais présentent en revanche un foie surdéveloppé. Il semble donc que les mâles cessent de manger à l'âge adulte : une fois matures, ils vivent sur les réserves accumulées par le foie. Les femelles, quant à elles, ont encore tout leur système digestif et des mâchoires très développées, des mâchoires capables d'appréhender des proies de taille non négligeable. Elles sont également capables d'une nage très rapide (voir film ci-contre). Des caractéristiques qui laissent penser que dans cette famille des profondeurs, les femelles adultes – celles qui doivent trouver la nourriture nécessaire pour produire des œufs – sont les seules vraies prédatrices de la famille...

Viviane Thivent le 16/02/2009