Ariane-5 : l'échec de trop ?

Mauvais départ pour la nouvelle Ariane 5 « 10 tonnes ». Après 7 min 35 s de vol, la fusée a dû être détruite avec ses satellites en raison de sa trajectoire « erratique ». Un échec cuisant pour Arianespace qui doit désormais faire face à une concurrence de plus en plus conséquente.

Par Olivier Boulanger, le 09/01/2003

Un décollage sans faille...

Ariane 5 au décollage...

En ce 11 décembre 2002, au centre spatial de Kourou, l’incident qui a immobilisé l’Ariane-5 ''10 tonnes'' au sol deux semaines plus tôt n’est plus qu’un lointain souvenir : le problème de communication entre un ordinateur au sol et un élément de la fusée a été réparé et plus rien ne semble s’opposer au décollage du nouveau lanceur d’Arianespace.

À 19h21 (heure locale), le compte à rebours s’achève et la fusée prend son envol dans le ciel de Guyane, emportant avec elle ses deux satellites de télécommunication, Hot Bird 7 (de la société Eutelsat) et Stentor (un instrument expérimental du CNES).

Un tir exemplaire. Tout au moins durant la première minute...

... mais une trajectoire erratique

Vulcain 2, le nouveau moteur d'Ariane 5

96 secondes après le décollage, les choses se gâtent. En pleine phase d’accélération, le circuit de refroidissement du nouveau moteur Vulcain 2 connaît une première défaillance, même si la poussée reste constante. 82 secondes plus tard, la fusée se met à tanguer, décrivant, selon l’expression des responsables d’Arianespace, une « trajectoire erratique ».

Ariane-5 est désormais incontrôlable. Conformément à la procédure de sécurité, la décision est prise de procéder à la destruction du lanceur et de son chargement. Après 7 min 35 s de vol, la fusée explose à 69 km d'altitude au-dessus de l’Océan Atlantique, à 800 km des côtes guyanaises.

Premières conclusions

Au centre spatial, c'est la consternation. Jean-Yves Le Gall, directeur général d’Arianespace, confie :
« C’est un sérieux revers. Nous faisons un métier difficile. Des moments comme celui-là nous le rappellent cruellement. »

Reste à comprendre ce qui s’est passé. Selon les premiers éléments recueillis durant le vol, l’étage supérieur de la fusée ainsi que les accélérateurs auxiliaires à poudre ne semblent pas incriminés. En revanche, le moteur Vulcain-2, un temps mis hors de cause, pourrait être à l’origine de cet échec.

La sonde Rosetta doit être lancée à partir d'une Ariane 5 dès le 12 janvier.

Une commission d’enquête a très vite été constituée pour définir avec plus de certitude les « causes de l’anomalie observée » et « les mesures à prendre pour corriger les défauts observés ». Les conclusions de cette étude doivent être livrées dès le 6 janvier.

En effet, dans la semaine qui suit, la sonde Rosetta qui a rendez-vous avec la comète 46 P/Wirtanen doit quitter notre planète à bord d’une Ariane-5 de première génération. Il importe donc de déterminer si ce lanceur peut être aussi sujet à une défaillance.

Un échec mal venu

L'Atlas-5 de Lockheed Martin

Quelle qu’en soit la cause, cet échec intervient à un très mauvais moment. Depuis deux ans, les grands opérateurs de télécommunication spatiale, principaux clients d’Arianespace, ont décidé de faire une pause.

Parallèlement, la concurrence n’a jamais été aussi rude. Entre les États-unis, la Russie ou même le Japon, l’Europe doit se démarquer. La nouvelle Ariane-5 « 10 tonnes » constitue d’ailleurs une réponse aux deux nouveaux lanceurs américains Atlas-5 et Delta-4.

Nul doute que l’épisode du 11 décembre risque de compromettre un peu plus les contrats à venir. Arianespace n’en est cependant pas à son premier échec et a toujours su se relever...

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Les conclusions de la commision d'enquête

Les modifications apportées aux tubes de refroidissement du divergent du moteur Vulcain-2 de la fusée Ariane-5 ECA, par rapport à la première version de ce moteur, sont à l'origine du récent échec du lancement inaugural de cette version du lanceur européen, a expliqué le 7 janvier le président de la commission d'enquête, Wolfgang Koschel.

“Le problème“, a déclaré le Pr Koschel, de la DLR (Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt), en présentant les conclusions de la commission, “est qu'aucun banc d'essai n'existe au monde pour tester un moteur de cette classe (100 tonnes) au sol, dans les conditions du vide.“ Ainsi, une fois soumises aux contraintes spatiales, les parois de ces tubes, chargées d'assurer le refroidissement du divergent qui éjecte des gaz portés à une température de plus de 3.000 °C, n'ont pas résisté aux contraintes du milieu spatial.

Résultat : après un début de vol normal jusqu'à la séparation des étages d'accélération latéraux à poudre (EAP), à 137 secondes du décollage, une baisse de pression est constatée dans ce dispositif, “caractéristique d'une fuite“, a souligné le président de la commission. Vers 170 secondes, le divergent réchauffé se déforme, la poussée devient “fortement dissymétrique“ et rend le lanceur incontrôlable.

En revanche, sur le moteur Vulcain-1, le divergent n'a montré aucune faiblesse en douze vols effectués sur des Ariane-5 Génériques. La commission a donc proposé de “prendre en compte l'expérience obtenue“.

En ce qui concerne les tubes incriminés, les modifications ont été décidées essentiellement pour abaisser les coûts et la durée de fabrication (cinq semaines contre treize), par la réduction du nombre de ces tubes (456 sur Vulcain-1 et 288 sur Vulcain-2) et de leurs soudures. Mais, a insisté Wolfgang Koschel, l'échec survenu le 11 décembre n'est pas dû à un défaut de fabrication de ces “veines“ d'un demi-centimètre de diamètre environ, aux parois d'un demi-millimètre d'épaisseur. La solution, a-t-il suggéré, pourrait résider dans l'augmentation du débit du liquide de refroidissement.

Olivier Boulanger le 09/01/2003