Explosion de Columbia : les premiers éléments d'enquête

Le 1er février 2003, dix-sept ans presque jour pour jour après l'explosion de Challenger, la navette spatiale Columbia s'est désintégrée au-dessus du Texas lors de sa rentrée dans l'atmosphère. L'enquête suit son cours. (d'après AFP)

Par AFP, le 03/02/2003

L'accident

L'équipage du vol STS-107

CAP CANAVERAL, AFP - La navette spatiale Columbia s'est désintégrée le 1er février vers 09h00 (14h00 TU) au-dessus du Texas, entraînant la mort des sept astronautes à bord, un quart d'heure environ avant son atterrissage prévu au terme d'une mission scientifique (STS-107) de seize jours. Columbia devait se poser sur la piste d'atterrissage du Centre Spatial Kennedy, près de Cap Canaveral (Floride) à 09h16.

L'équipage de la navette placé sous le commandement de Rick Husband comprenait le co-pilote William McCool, le commandant de la charge utile Michael Anderson et les spécialistes de mission David Brown, Kalpana Chawla et Laurel Clark, tous Américains, à l'exception du spécialiste de charge utile Ilan Ramon, de nationalité israélienne.

Le fil de la catastrophe

07h00 (12h00 TU) : la navette Columbia est sur orbite à 280 km d'altitude. L'équipage attend le feu vert du centre de contrôle de Houston pour la rentrée dans l'atmosphère. Derniers préparatifs.

07h49 : accord de Houston pour la réorientation de la navette en prévision de la descente.

08h09 : Columbia reçoit le feu vert pour quitter l'orbite.

08h15 : Columbia au-dessus de l'océan Indien. La navette commence sa descente vers la Terre, queue la première, inversée sur le dos.

08h23 : les ordinateurs de guidage inertiel manœuvrent la navette pour la remettre sur le ventre.

08h32 : les deux derniers groupes auxiliaires de puissance sont actionnés pour fournir la pression des systèmes hydrauliques qui serviront à commander les gouvernes et ailerons de la navette, ainsi que la sortie du train d'atterrissage.

08h42 : la navette se trouve au-dessus de l'océan Pacifique à 144 km d'altitude et descend vers la Terre à 27 000 km/h (Mach 25).

08h44 : phase dite d'“interface d'entrée“ : la navette, le nez cabré à 40 degrés, rencontre les premières couches de la haute atmosphère.

08h49 : Columbia commence une série de virages en enfilement gauche droite destinés à lui faire perdre de la vitesse. Le premier virage est sur la droite.

08h52 : Columbia franchit la côte californienne. Houston enregistre un léger écart de température dans le compartiment du train d'atterrissage gauche. Trois capteurs des circuits hydrauliques de freinage indiquent une hausse de température de 8 à 15°C.

08h53 : hausse de température signalée par un quatrième capteur dans l'aile gauche.

08h54 : hausse de température de 15 degrés en cinq minutes dans le fuselage au-dessus de l'aile gauche.

08h55 : la navette se trouve au-dessus du sud du Nevada.

08h56 : Columbia survole le nord de l'Arizona.

08h57 : au-dessus du Nouveau-Mexique, la navette, toujours en pilotage automatique, entame un virage sur la gauche pour réduire encore sa vitesse. Rupture des transmissions vers Houston des mesures de température dans l'aile gauche.

08h58 : Columbia part en roulis sur la gauche, sous l'effet d'une résistance aérodynamique côté gauche, d'origine inexpliquée. Le “stabilisateur automatique de roulis“ tente de compenser.

08h59 : l'ordinateur de bord tente de compenser encore en activant deux mini-fusées de contrôle directionnel. A 61 km d'altitude, Columbia file à plus de 21 000 km/h et pénètre au-dessus du Texas. Dernier échange radio : “Columbia, ici Houston. Nous avons reçu vos derniers messages sur la pression des pneus. Nous n'avons pas capté le dernier (message)... “. Réponse du commandant de bord : “Bien reçu, mm...“.

09h00 : Houston perd le contact radio et le suivi radar. La navette se désintègre dans le ciel, selon des témoins au Texas.

09h16 : heure prévue pour l’atterrissage au centre Kennedy.

Un incident au décollage

Au moment du signalement des premières anomalies, Columbia se trouvait à une soixantaine de kilomètres d'altitude, volait à une vitesse de 21 252 km/h et était en train d'effectuer un virage, avec un angle d'inclinaison de 57 degrés. Très vite, l'enquête sur les causes possibles de cette deuxième catastrophe d'une navette américaine, dix-sept ans presque jour pour jour après celle de Challenger, le 28 janvier 1986, s'est concentrée sur de possibles dégâts causés aux tuiles du bouclier thermique du vaisseau lors du décollage, le 16 janvier. Mais dès le 5 février, la Nasa a écarté la première hypothèse comme seule explication de la catastrophe.

81,7 secondes après le décollage...

“A ce stade, nous ne jugeons pas possible qu'un débris ayant percuté l'aile gauche au décollage soit la cause principale de la perte de Columbia et de son équipage, a déclaré Ron Dittemore, responsable du programme des navettes à la Nasa, “Il doit y avoir une autre raison. Nous focalisons maintenant notre attention sur ce que nous n'avons pas vu.“

M. Dittemore a rappelé que de nombreuses navettes étaient rentrées sur Terre sans problème avec des tuiles endommagées ou manquantes. “Chaque fois que nous faisons voler une navette, nous subissons des dégâts sur les tuiles et le dessous du vaisseau. Nous enregistrons en moyenne autour de 100 impacts par vol, dont 25 à 35 impacts d'une taille supérieure à 2,5 cm“, a-t-il précisé.

Quatre-vingts secondes après le décollage, une pièce de mousse isolante très dense s'est détachée du réservoir externe central, situé sous le ventre de Columbia. Ce débris - qui pourrait aussi être de la glace - est venu frapper les tuiles du bouclier thermique sous l'aile gauche, avant de se disloquer sous le choc. Selon les estimations, cette pièce faisait 50 cm de long sur 40 cm et 15 cm d'épaisseur et sa masse pouvait être de 1,2 kg environ.

Dès qu'ils s'en sont aperçus en visionnant les images du décollage, les responsables du vol ont tenu plusieurs réunions pour déterminer la nature des possibles dégâts causés. Ils sont arrivés à la conclusion qu'en raison du faible angle d'incidence du débris, l'impact n'avait pas endommagé la navette au point de représenter un risque lors de sa rentrée dans l'atmosphère.

Un échauffement inhabituel

La seconde pièce du puzzle, c'est le léger suréchauffement constaté sur le flanc gauche de la navette, quelques minutes avant sa désintégration. Les données télémétriques montrent des augmentations de températures à l'intérieur du compartiment du train d'atterrissage gauche et d'autres sur le fuselage, au-dessus de l'aile gauche. Ces augmentations, de 8 à 15 degrés Celsius, enregistrées à 08h54, cinq minutes avant la perte de tout contact radio avec l'équipage, sont en soi relativement faibles, si l'on considère que la température extérieure sur le bord avant de l'aile est de 1 650 °C.

Elles pourraient cependant indiquer qu'une des 24 000 tuiles s'est arrachée sous l'effet de la friction avec l'air. Par effet “domino“, des tuiles voisines ont pu être arrachées et, ensuite, la structure une fois sans protection, les températures extérieures entraîneraient alors une surchauffe du métal et sa fonte. Sous l'effet des forces et de la fournaise, la navette se disloquerait.

Si c'était bien un problème au niveau de l'enveloppe protectrice de la navette, selon la Nasa, l'équipage était condamné. Deux des astronautes de Columbia étaient entraînés pour sortir de la navette et disposaient d'une combinaison spatiale pour éventuellement faire des réparations, mais selon George Diller, porte-parole de l'Agence, une telle sortie n'aurait été envisagée qu'en cas de problème dans la fermeture de la soute du véhicule orbital. “Ils risquaient de causer davantage de dommages aux tuiles“ de protection thermique, et de toutes façons ils ne disposaient d'aucune tuile de rechange, a-t-il souligné en ajoutant qu'aucun autre scénario (amarrage d'urgence à la Station Spatiale Internationale/ISS, envoi d'une navette de secours...) n'était envisageable pour des raisons techniques.

Autres hypothèses

Défaillance des surfaces de contrôle
Un des élevons (il y en a quatre) ne répond plus, soit en raison d'une brisure causée par l'impact avec le débris de mousse lors du décollage, soit d'une défaillance du circuit de commande hydraulique. Situées sur le bord de fuite des ailes, ces volets permettent à la navette, lors de son entrée dans l'atmosphère, d'effectuer une série de grands virages gauche-droite (à 60 degrés d'inclinaison) pour dissiper une partie de son énergie cinétique.

Orientation idéale de la navette lors de sa rentrée dans l'atmosphère

Mauvaise orientation conduisant à une vitesse trop élevée
La navette doit être parfaitement orientée lors de sa rentrée dans l'atmosphère : ailes à plat, nez cabré à 40 degrés. Cet angle d'attaque, commandé par l'ordinateur de pilotage automatique, est crucial. Au-delà, la navette “rebondit“ sur la couche d'atmosphère, telle une pierre ricochant sur un plan d'eau. En deçà, elle risque de prendre trop de vitesse et de surchauffer. Dans les deux cas, à la vitesse de Mach 25 (27 000 km/h), la moindre erreur serait fatale.

Usure du métal
La carlingue en aluminium et graphite-époxy se brise, une rupture causée par le vieillissement et l'énorme stress auquel la navette est soumise lors de sa rentrée dans l'atmosphère. Ce phénomène, appelé “fatigue du métal“, a été constaté dans les avions civils vieillissants. Or la Nasa avait suspendu à l'été dernier pendant quatre mois tout vol de navette spatiale, après la découverte de microfissures dans les conduites d'alimentation des moteurs.

Court-circuit
Un arc électrique lié à un câble dénudé peut causer un court-circuit et provoquer un incendie à bord.

Collision avec une météorite
Hypothèse moins probable mais qui n'est pas à écarter.

Des ennuis bien avant l'explosion

Image radar du crash

En outre, les ennuis de Columbia semblent avoir débuté bien avant sa désintégration au-dessus du Texas, comme le suggèrent des images d'un vidéaste amateur et la découverte en Californie et en Arizona de possibles débris de la navette spatiale, provenant peut-être d'une aile de Columbia.

“Nous ne savons toujours pas ce que sont ces pièces. Si c'est bien une aile, cette pièce serait cruciale pour l'enquête“, a affirmé le sous-administrateur adjoint de la Nasa, Michael Kostelnik.

Image amateur de la chute de Columbia

“Les premières pièces qui se sont séparées de la navette vont être les plus importantes pour déterminer l'origine de la catastrophe.“

Une pluie de débris s'était abattue sur le Texas et dans l'ouest de la Louisiane, où ont été retrouvés de grosses pièces, en particulier le nez du vaisseau et les moteurs. Mais une vidéo amateur montre clairement que Columbia avait commencé à perdre une ou plusieurs pièces au-dessus de l'Arizona, quelques minutes avant sa désintégration complète au-dessus du Texas.

À propos de Columbia

Columbia au décollage

Columbia était la plus ancienne de la flotte des navettes de la Nasa. Elle a réalisé son premier vol en orbite autour de la Terre en 1981 et, au moment de sa dislocation, elle s'apprêtait à terminer son 28ème vol. Depuis le début du programme des navettes, quatre “sœurs“ ont rejoint Columbia au sein de la flotte de la Nasa : Challenger en 1982, Discovery (1983), Atlantis (1985) et Endeavour en 1991 pour remplacer Challenger.

Depuis son premier vol, la navette spatiale a subi un grand nombre de transformation pour améliorer sa sécurité, sa puissance et ses capacités. L'explosion de Challenger avait déjà obligé les responsables de la Nasa à réaliser quelque deux cents améliorations sur les autres navettes avant la reprise des vols en 1988.

Coupes budgétaires

La catastrophe fait resurgir les nombreuses mises en garde ces derniers mois quant aux conséquences possibles des coupes budgétaires sur la sécurité des vols spatiaux habités de la Nasa. Les premiers avertissements sont venus au printemps dernier de plusieurs membres d'une commission formée par l'Agence elle-même pour examiner, entre autres, des problèmes potentiels de sécurité. Ce groupe d'experts et de consultants écrivait ainsi, dans un rapport en mars 2002, que les efforts accomplis pour la sécurité des navettes “s'étaient affaiblis“.

De son côté, le Bureau du Budget du Congrès (CBO) a récemment publié un rapport tirant des conclusions similaires. Le CBO notait que la NASA, avec les importantes réductions d'effectifs du programme de la navette spatiale, passé de 3.000 en 1995 à 1.800 en 1999, faisait face à de graves difficultés pour recruter des ingénieurs de haut niveau, malgré de récents efforts de l'agence.

Si la réduction du personnel des navettes n'est pas surveillée cela risquerait d'éroder les capacités de la Nasa à assurer la sécurité des programmes de vols“ dont la fréquence augmente avec la construction de l’ISS.

Dans son projet budgétaire 2004, soumis le 4 février au Congrès (rédigé avant l'accident de Columbia), la Maison Blanche propose une progression de 3,3 % à 15,5 milliards de dollars de l'enveloppe de la NASA. Mais cette rallonge est destinée à des vols robotisés, pas aux navettes.

Ecartant les critiques contre ces coupes, la Nasa affirme que cette réorganisation n'a pas compromis la sécurité. “Les navettes sont maintenues en parfaite condition“, a assuré devant la presse Ron Dittemore. Le Sénat américain organisera des auditions sur la catastrophe Columbia avec l'administrateur de la Nasa Sean O'Keefe la semaine prochaine.

AFP le 03/02/2003