Projet de loi : qui a encore peur du loup ?

Alors qu’il est protégé, le loup est chassé quasiment partout. En France, une commission d’enquête parlementaire a rendu un rapport qui divise le monde rural et les associations de défense du loup. En attendant l'adoption d'une nouvelle loi...

Par Vincent Colas, le 01/07/2003

« Priorité à l’homme »

Dans son introduction, le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur le loup, Daniel Spagnou, annonce d’emblée la couleur. Le loup n’est pas le bienvenu quand sa présence est incompatible avec celle de l’homme. Notamment dans les zones de haute montagne où l’on pratique l’élevage de brebis.

Le rapport ouvre donc la possibilité d’éliminer des loups là où leur présence est « incompatible » avec l’élevage. Les maires et les bergers titulaires d’un permis de chasse pourraient ainsi organiser un tir sélectif d’un loup ou d’un lynx dangereux pour les troupeaux hors des zones de protection intégrale.

Les principales mesures préconisées par le rapport d’enquête

Régulation du loup

  • Déterminer trois zones en fonction de la « compatibilité entre l’élevage et la présence du loup » : « des territoires où la protection serait intégrale, des territoires où le loup pourrait être capturé sous certaines conditions et des territoires où sa présence ne devrait pas être tolérée. »
  • Nouveau pouvoir attribué aux maires : ils peuvent organiser un « tir sélectif », d’un loup ou d’un lynx dangereux pour les troupeaux, hors des zones de protection intégrale. Même possibilité pour les bergers titulaires d’un permis de chasse.
  • Interdiction des battues administratives ou de toute autre mesure d’élimination qui ne serait pas sélective.
  • Déclenchement d’une action dès la première attaque meurtrière.
  • Le gouvernement doit prévenir « sans délai » les maires de l’arrivée du loup dans leur commune.
  • Renégociation au niveau européen des possibilités de se protéger de l’extension prévisible des loups.

Défense du pastoralisme

  • Prise en charge par la « solidarité nationale » de la « totalité des surcoûts imposés aux éleveurs par la présence des grands prédateurs ».
  • Amélioration de la formation des bergers et des techniques de protection des troupeaux. Création d’emplois aidés de bergers et d’aides-bergers.
  • Pérennisation des aides du programme européen LIFE.
  • Création d’un fonds départemental d’indemnisation des éleveurs.
  • Etudes en vue de créer une indemnité compensatrice de prédation et de mettre en place un système d’assurance publique pour indemniser les dégâts, y compris commis par des chiens.

Amélioration du fonctionnement de l’Etat

  • « Rompre avec la maintien d’une certaine forme de cogestion du ministère de l’Ecologie par les associations de défense de l’environnement. »

Le rapport complet est mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.

Des troupeaux à défendre

Le loup tue pour se nourrir. Exemple des dégâts qu'il peut causer : le 20 juillet 2002, attaqué par deux loups, un troupeau de brebis prend la fuite et tombe au fond d’un ravin dans la commune du Moulinet (Alpes-Maritimes). Bilan : 407 brebis mortes, six animaux mordus et un à moitié dévoré. Des attaques qui vont croissantes (874 brebis indemnisées en 1997, 1228 en 1998, 1927 en 1999, 1483 en 2000, 1830 en 2001) depuis la réapparition du loup en 1992 dans le Parc du Mercantour.

En France sur 1.560.000 ovins, 930.000 paissent sur les hauts pâturages et près de 500 000 vivent dans les six départements à loups.

En 2002, selon un total provisoire (certaines attaques font encore l’objet d’enquête), 2 304 brebis ont été tuées par des loups. Un chiffre à rapporter aux près de 200.000 ovins (sur 1.560.000) qui meurent chaque année accidentellement.

Réintroduction naturelle ou artificielle ?

Sur la question de la réintroduction naturelle ou artificielle du loup dans le parc du Mercantour, le rapport ne tranche pas : « La vérité se situe probablement entre les deux : au vu des connaissances scientifiques actuellement disponibles, un retour naturel du loup d’Italie est tout à fait possible […]. De même, il est probable que des lâchers clandestins de loups ont eu lieu, mais encore une fois, sans qu’il soit possible de le prouver. »

Ce dont on est sûr, c’est que deux loups sont aperçus dans le parc du Mercantour le 5 novembre 1992. Une information qui n’est rendue publique que six mois plus tard dans le numéro d’avril 1993 du magazine « Terre Sauvage ». Officiellement, ce temps a été utilisé pour vérifier qu’il s’agissait bien de loups et non de chiens divagants. Selon le rapport, « les responsables administratifs de l’environnement ont choisi le secret face au retour annoncé du prédateur » car « tant la direction de la nature et des paysages que le parc [du Mercantour] étaient parfaitement au courant non seulement du retour imminent du prédateur sur le territoire national mais aussi de ses conséquences néfastes sur le pastoralisme ovin. »

Une épée de Damocles

Au-delà des chiffres, pour les bergers, la situation est souvent ressentie comme insupportable. Que faire s’ils entendent du bruit la nuit ? Faut-il rentrer les brebis ? Acheter des chiens ? Sans compter le surplus de travail et le stress générés par une telle situation.

Les associations avancent que des pays comme l’Italie ou l’Espagne n’ont pas ce genre de problème, malgré des populations de loups bien plus importantes qu’en France. Certes les attaques sont moins fréquentes mais c’est parce que ces pays ont privilégié la filière « lait », contrairement à la France qui favorise la filière « viande ». Ainsi en Italie et en Espagne, les troupeaux sont rentrés tous les soirs pour être traits. Alors que dans les Alpes-Maritimes, les animaux peuvent passer onze mois dehors, ce qui augmente le risque d’être attaqué par un loup.

Pour se faire entendre les bergers européens ont créé l’association européenne des éleveurs victimes des prédateurs. Preuve, selon eux, que le loup est aussi source de problèmes chez nos voisins européens.

À suivre…

Pour l’instant les ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture examinent les propositions formulées par le rapport et réfléchissent à d’éventuelles adaptations de la législation existante. Entre une profession qui a perdu la moitié de ses exploitations en 20 ans - même si le loup n'y est pas pour grand chose... - et des associations qui ont recueilli plus de 15 000 signatures pour la sauvegarde du loup, le gouvernement va devoir choisir.

Vincent Colas le 01/07/2003