Navette spatiale : reprise des vols au printemps ?

Huit mois après l'explosion de Columbia, la Nasa annonce sa volonté de refaire voler la navette dès le printemps prochain. Un objectif que l'agence ne pourra vraisemblablement atteindre sans revoir sa culture d'entreprise, critiquée plus que jamais par une commission indépendante.

Par Olivier Boulanger, le 26/09/2003

Quatorze mois d'interruption

La navette Atlantis devrait rejoindre l'ISS le 11 mars 2004, moyennant quelques modifications.

La navette spatiale est technologiquement dépassée. Elle est lourde et coûteuse. Mais la navette va revoler. Dès le printemps 2004, vient d’annoncer la Nasa. Soit un peu plus d’un an après l’explosion de Columbia.

On pourrait s’étonner d’un tel empressement. En 1986, après l’accident de Challenger, la requalification des navettes avait nécessité 36 mois d’immobilisation. Mais le contexte actuel est bien différent. Depuis le 1er février 2003, la Station Spatiale Internationale (ISS) n’est accessible que grâce aux lanceurs russes : une situation qui, pour les Etats-Unis, n’est pas tolérable.

La navette Atlantis devrait ainsi rejoindre l’ISS le 11 mars 2004. « Il ne s’agit cependant que d’une date de travail, s’empresse de préciser Doc Mirelson, le porte parole de la Nasa. Nous ne disons pas que nous devons ou que nous allons lancer à cette date. »

Car, avant d’envoyer la navette en orbite, la Nasa doit pouvoir garantir la sûreté de l’appareil et la sécurité de ses passagers. Dans un document de 156 pages présenté au début du mois de septembre, l’agence spatiale décrit ainsi les modifications qu’elle compte apporter à la navette et aux procédures de lancement.

Les améliorations prévues par la Nasa

Les moyens de surveillance vont être multipliés.

La Nasa va d’abord s’attaquer aux causes directes de l’accident de Columbia en supprimant l’isolant autour du bi-pied qui fixe l’avant de la navette au réservoir central. À sa place seront installées des résistances électriques chauffantes jouant le même rôle que l’isolant, c'est-à-dire éviter la formation de glace susceptible d’endommager la navette au décollage.

La navette sera renforcée et pourra encaisser des impacts mineurs sans dommage.

Une série de caméras sur la navette et au sol va être installée afin de détecter les dommages subis au lancement. Les « équipements nationaux appropriés » (les satellites espions !) pourront également être utilisés pour vérifier l’intégrité de la navette.

Enfin, les astronautes auront la capacité de réparer un dommage causé au bouclier thermque grâce à « la mise au point de matériaux et de procédure de réparations en vol ».

La Nasa estime ne pas être prête à chiffrer les surcoûts occasionnés par cette série de modifications.

La thèse confirmée

Pour l'enquête de la CAIB, les débris de Columbia ont été rassemblés dans un immense hall.

La Nasa veut-elle faire bonne impression ? Toujours est-il que le document présenté reprend une grande partie des 29 recommandations figurant dans le rapport remis deux semaines plus tôt (le 26 août) au Congrès par la Commission d’enquête indépendante sur l’accident de Columbia (CAIB) : un document de 248 pages décrivant l’accident, analysant ses causes directes et profondes, et n’hésitant pas à mettre en cause directement la Nasa.

Selon les enquêteurs de la CAIB, les premières suppositions concernant l’origine de l’accident étaient fondées : l’accident de la navette Columbia, survenu le 1er février 2003 alors qu’elle rentrait dans l’atmosphère à l’issue d’une mission de seize jours est dû à une brèche dans son bouclier thermique causé par un morceau d’isolant au lancement.

81,7 secondes après le décollage...

Le 16 janvier 2003, 81,7 secondes après le décollage de Columbia, les caméras au sol ont pu observer un morceau de mousse isolante se détacher du réservoir principal et frapper à grande vitesse le bord d’attaque de l’aile gauche. Sous le violent impact, quelques tuiles isolantes ont alors été endommagées.

Le 1er février, pendant la rentrée dans l’atmosphère, cette brèche a permis à l’air à très haute température (le plasma) de pénétrer à travers l’isolation du bord d’attaque et de faire fondre progressivement la structure d’aluminium de l’aile gauche. Un processus aboutissant à la cassure de l’aile puis à la destruction complète de la navette et à la perte de ses sept occupants.

La CAIB accuse

Le ton du rapport de la CAIB sonne cependant comme un réquisitoire.

Les membres de la CAIB lors d'une conférence de presse en avril dernier.

Car au-delà des causes physiques, les enquêteurs se sont intéressés aux causes profondes de l’accident. Et selon eux, « les pratiques de gestion régissant le programme de la navette spatiale sont autant responsables que l’isolant qui a frappé l’aile gauche ».

Les auteurs du rapport rappellent ainsi que les responsables de la mission Columbia ont « manqué huit occasions de détecter un problème sur la navette spatiale à la suite de l’incident subi au décollage ».

La CAIB cite notamment les messages répétés des techniciens mentionnant le risque de dommage au bouclier thermique causé par le choc de l’isolant, restés sans réponse des responsables du vol.

Ils évoquent également la proposition du Pentagone d’utiliser ses satellites espions pour inspecter la navette en orbite, une offre repoussée par la Nasa.

L’équipage du vol STS-107 aurait-il pu être sauvé ?

L'équipage du vol STS-107

Plusieurs ingénieurs avaient repéré l’impact de la mousse lors du décollage mais les responsables du vol n’ont pas tenu compte de leurs avertissements. Si tel avait été le cas, les astronautes à bord de Columbia auraient-ils pu revenir sur Terre sains et saufs ?

Grâce au dispositif EDO (Extended Duration Orbiter), ils avaient à leur bord suffisamment d’eau, de nourriture et d’air pour subsister en orbite durant près de trente jours. Une réparation de fortune, impliquant une sortie dans l’espace, aurait été improbable et très risquée. Impossible également de rejoindre l’ISS en raison d’orbites incompatibles entre Columbia et la station spatiale.

Selon la CAIB, il restait pourtant un espoir : en accélérant la préparation de la navette Atlantis, celle-ci aurait pu rejoindre Columbia dès le 15 mars et sauver son équipage.

Une « culture » à revoir

Des compressions de budgets (en dix ans, budgets et effectifs ont été réduits de 40%), des pressions sur le calendrier, des changements de priorité incessants… Ne manquant pas d’arguments, la CAIB démontre que l’agence spatiale n’a pas su retenir les expériences de l’explosion de Challenger en 1986. D’une culture ultra-sécuritaire, la Nasa semble souffrir aujourd’hui d’un excès de confiance basé sur ses succès passés.

Un exemple : si les responsables du vol STS-107 n’ont pas tenu compte des avertissements des ingénieurs, c’est vraisemblablement parce que, depuis 1981, la détérioration du bouclier thermique s’est produite à 13 reprises sans que la navette ne connaisse de dommage lors de sa rentrée dans l’atmosphère.

Profil bas à la Nasa

Sean O'Keefe, l'actuel administrateur de la Nasa

Jamais, sans doute, la Nasa n’avait été autant critiquée. Et à l’agence spatiale, on affiche aujourd’hui un profil bas. Aucune des analyses de la CAIB n’a été contestée. « Quelque part, en quelque manière, nous nous sommes plantés et nous devons accepter les constatations et les recommandations de la commission », reconnaît l’administrateur de la Nasa Sean O’Keefe.

L’agence s’est engagée ouvertement à « changer sa culture d’entreprise », quitte à prendre « des mesures correctives agressives ». « Le ménage a été fait, assure Sean O’Keefe. Certaines personnes ont quitté l’agence et c’est aussi bien qu’elles ne soient plus là. »

Plus sobrement, l’annonce du prochain vol et des améliorations à effectuer – fortement inspirées des recommandations de la CAIB – confirme la bonne volonté de l’Agence spatiale à tirer les leçons du drame.

Olivier Boulanger le 26/09/2003