Espace : un Chinois en orbite

La Chine vient de mener à bien son premier vol spatial habité. Un exploit qui renforce sa puissance sur la scène internationale et aiguise son appétit de conquérant de l’espace.

Par AFP, le 17/10/2003

Quatorze révolutions autour de la Terre

La Capsule Shenzhou V, après son retour sur Terre.

Emporté par une fusée Longue-Marche-2F, le vaisseau spatial Shenzhou-V, avec à son bord un spationaute, le lieutenant-colonel Yang Liwei, a décollé, le 15 octobre, à 09h00 (01h00 TU), d'un pas de tir situé en Mongolie Intérieure, dans le désert de Gobi, à plus de 1 000 kilomètres à l'ouest de Pékin.

Shenzhou-V a été placé sur orbite dix minutes plus tard. Après avoir effectué quatorze révolutions autour de la Terre, Shenzhou-V et son passager ont atterri, le 16 octobre, à 06h23 (le 15 à 22h23 TU), en Mongolie Intérieure, à 350 km au nord-ouest de Pékin, près de la ville de Siziwang.

« Ce premier vol spatial habité chinois est réussi », ont affirmé les responsables du Centre Aérospatial de Contrôle, à Pékin. Yang Liwei, qui a passé un peu plus de vingt et une heures dans l'espace, « se porte bien », a indiqué l'agence Chine Nouvelle.

Cette réussite fait de la Chine, qui a pour cela reçu des félicitations du monde entier, le troisième pays à avoir effectué un vol spatial habité, après l'Union Soviétique et les États-Unis, qui avaient tous les deux envoyé un homme dans l'espace en 1961.

Un évènement national

Onze ans après le lancement du programme Shenzhou, ce vol, a déclaré le président Hu, est « un moment de gloire pour la patrie ».

Yang Liwei à la télévision... mais pas en direct.

Dès son retour, Yang Liwei s'est brièvement entretenu, par téléphone, avec le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, qui l'a félicité. À la télévision, le spationaute a semblé en forme : sorti de la capsule sans assistance, il a été accueilli par des femmes mongoles qui lui ont passé une écharpe blanche autour du cou, selon la tradition. Il a été immédiatement installé sur une chaise et a brièvement salué de la main la foule de journalistes chinois venue assister à son retour sur Terre.

Peu après l'atterrissage, le ministre des Sciences et des Techniques, Xu Guanghua, a estimé que la réussite de Shenzhou-V était « aussi importante » que l'explosion de sa première bombe atomique il y a 39 ans, jour pour jour. Pour autant, et bien que la Chine ne nie pas les implications militaires de sa conquête, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhang Qiyue, s'est voulu rassurante et a affirmé que la Chine n'avait que des intentions « pacifiques » dans l'espace.

Il est clair pour les observateurs que le pays le plus peuplé du monde va utiliser cet événement, applaudi dans le monde entier, pour renforcer son prestige et son assise sur la scène internationale. Le président Hu Jintao peut se rendre la tête haute au sommet du Forum de Coopération Economique en Asie-Pacifique (APEC) en Thaïlande, la semaine prochaine, où il sera la vedette aux côtés de George Bush et Vladimir Poutine.

De nouvelles missions déjà annoncées

Au plan technique, les responsables du programme Shenzhou n'ont pas perdu de temps, en annonçant aussitôt après le retour de Yang Liwei un prochain vol habité avant la fin de 2005. Des experts étrangers n'excluent pas le séjour dans l'espace d'un ou de plusieurs Chinois dans les six mois.

La Chine ne cache pas non plus son désir d'explorer la Lune.

« Après le succès de Shenzhou-V, nous allons faire le point et je pense que, d'ici un à deux ans, nous pourrons lancer Shenzhou-VI », a déclaré Xie Mingbao, un des porte-parole du programme spatial chinois.

À plus long terme, la Chine semble décidée à acquérir sa propre station orbitale. « La mission réussie de Shenzhou-V n'est qu'une première étape, a en effet souligné Zhang Qingwei, deuxième responsable du projet au sein de l'armée. Nous devons maintenant mettre au point les techniques d'amarrage d'un vaisseau avec un module orbital. Ensuite, nous nous concentrerons sur de nouveaux lanceurs. » Qi Faren, l'un des principaux concepteurs des Shenzhou, a évoqué la « construction » d'une station orbitale et dit espérer qu’« un jour, les Chinois ordinaires puissent voyager dans l'espace avec leurs propres véhicules ».

L’odyssée spatiale chinoise

L'odyssée spatiale chinoise

Quarante-cinq ans après ses débuts, le programme spatial chinois a atteint l'objectif qui lui avait été fixé en 1992 : envoyer un homme dans l'espace.

En voici les principales étapes.

Une situation paradoxale

Le fait que les Chinois soient aujourd'hui, avec les Russes, les seuls à pouvoir amener des humains en orbite terrestre, les Américains étant condamnés à rester au sol pendant encore un an au moins, suite à la catastrophe de la navette Columbia, constitue une situation paradoxale qu'on aurait difficilement imaginée il y a peu.

La fusée Longue Marche CZ-2F lors de son décollage, le 15 octobre 2003.

Même si la désintégration de Columbia, lors de sa rentrée dans l'atmosphère, ne signifie évidemment pas que les Américains ont perdu définitivement leur capacité d'accéder à l'espace, la situation actuelle constitue un hommage inespéré à la technique spatiale russe.

Issue de plans élaborés par l'équipe de Sergueï Korolev dès la fin des années 1950 et soumis depuis à une évolution prudente, objet de critiques sinon de moqueries pour son caractère « vétuste », c'est en effet la panoplie spatiale de l'ex-URSS qui sauve aujourd'hui la Station Spatiale Internationale (ISS). À l'heure actuelle, pour « monter » sur la Station, il faut impérativement prendre place dans un vaisseau de transport d'équipage Soyouz. Même chose pour l'envoi de matériel, vivres et combustibles, que seuls les vaisseaux de transport de fret Progress peuvent assurer.

La technique spatiale chinoise vient ajouter un nouvel élément en sa faveur : ses racines sont à rechercher dans l'aide apportée autrefois par l'URSS à la Chine en matière de missiles, interrompue par la Révolution culturelle des années 1970. Le spationaute chinois, qui s'est par ailleurs partiellement entraîné à la Cité des Etoiles, se trouve dans un « Vaisseau divin » à l'architecture grandement inspirée de celle des Soyouz. Il porte cependant une innovation notable sous forme de module orbital supplémentaire destiné aux expériences scientifiques et apte à se séparer du reste du complexe pour un vol autonome.

Une mission avant tout politique

Malgré les perfectionnements apportés par les Chinois, Yang Liwei n'a refait globalement que le vol du premier homme dans l'espace, Youri Gagarine, par lequel Moscou avait jeté, en 1961, le gant aux Américains. La mission est avant tout politique et fait effectivement penser aux premiers vols spatiaux menés à bien en pleine guerre froide, dans laquelle, indépendamment des progrès technologiques qu'ils avaient stimulés, ils jouaient d'abord le rôle d'outils de propagande.

Un héros national est né.

Le débarquement des Américains sur la Lune, en 1969, n'échappait pas à la règle. Les Russes ayant déclaré forfait entre-temps, les missions Apollo, au grand désarroi des scientifiques, furent abandonnées avant terme, en 1972.

Le contexte politique a cependant bien changé et, pour les Chinois, il ne s'agit plus d'humilier quiconque. « Le régime chinois, résumait, juste avant le départ de Yang Liwei, un expert du Centre National d'Études Spatiales (CNES, France), veut démontrer à sa population qu'il est capable de réaliser des exploits du plus haut niveau et, à l'extérieur, qu'il fait partie des très grands. Pékin veut surtout laisser entendre qu'il est en droit de participer à l'ISS ». Au plan technique, ils le mériteraient certainement, mais la situation reste bloquée par les États-Unis, qui invoquent encore des problèmes de transferts de techniques « sensibles ».

AFP le 17/10/2003