Taïkonaute : le géant chinois s'éveille

Quatorze révolutions autour de la planète... Avec son premier taïkonaute dans l'espace, la Chine fait son entrée sur la scène internationale des vols habités. Et s'affirme comme la puissance montante de l'Asie.

Par Frédéric Guérin, le 27/11/2003

Un événement mondial

La Capsule Shenzhou V, après son retour sur Terre.

Ministres, chefs de gouvernements, secrétaire général des Nations Unies et dirigeants d’agences spatiales : chacun y est allé de son couplet de félicitations à Yang Liwei, qui venait de s’acquitter de son exploit, le premier vol dans l’espace d’un cosmonaute ressortissant de Chine (appelé dans ce cas taïkonaute). Un acte à comparer aux incursions pionnières de Youri Gagarine et Alan Shepard en 1961. C’était la guerre froide, la course effrénée à l’espace et la conquête de l’orbite constituait un enjeu de compétition majeur entre les États-Unis et l’Union Soviétique.

Quarante-deux ans plus tard, la Chine fait son entrée sur la scène internationale des vols habités. Du 15 octobre 2003, à 3h00 heure française, au lendemain à 0h23, le (désormais) colonel Yang Liwei s’est acquitté d’une mission de prestige qui a propulsé son pays dans le club très fermé des nations qui disposent d’un accès au cosmos...

L’Europe dépassée !

En 1992, les Européens avaient renoncé à leur mini-navette Hermès faute de motivation suffisante et de budget.

Depuis, les spationautes aux couleurs du Vieux Continent en sont réduits à se faire inviter sur la navette américaine ou le vaisseau russe Soyouz afin d’atteindre la station spatiale internationale (ISS). Ils ne disposent pas d’engin capable de les emporter puis de revenir librement sur Terre.

La Chine, très courtisée

Yang Liwei à la télévision... mais pas en direct.

« La mission de Shenzhou V est un pas en avant pour toute l'humanité », a déclaré Kofi Annan le secrétaire général de l’ONU. « La Chine réalise un acte symbolique fort », a estimé Claudie Haigneré, ex-spationaute et ministre française déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Buzz Aldrin, astronaute d’Apollo qui a posé le pied sur la Lune, ainsi que les patrons des agences spatiales américaine (Nasa) et européenne (ESA) ont aussi tenu à s’associer au concert de louanges qui a salué le succès chinois. 

À l’heure où le vaisseau voguait dans l’espace, toutes ces personnalités avaient en tête les conséquences possibles sur l’équilibre technologique du monde... La preuve ? Un mois avant l’envol de Shenzhou, l’Europe s’empressait d’associer l’université de Pékin à son projet de constellation de 30 satellites de navigation Galileo pour 2008.

Un prestige national

Un héros national est né.

L’événement, le premier vol d’un « taïkonaute », se solde par un plein succès. Il couronne quarante-cinq ans d’efforts depuis que Mao Zedong avait approuvé un embryon de programme spatial en 1958.

Depuis, sous l’impulsion visionnaire de Tsien Hsue-shen (Qian Xuesen), les Chinois ont accumulé, dans le plus grand secret, le savoir-faire nécessaire à la réalisation de leurs aspirations. Il y a eu des heurts, la disparition du maréchal Lin Biao en 1971 et un coup d’arrêt brutal lors de la libéralisation impulsée par Deng Xiaoping dans les années 80. Mais en septembre 1992, le projet 921 basé sur la construction d’une capsule inspirée du Soyouz russe a été officiellement approuvé.

Une nouvelle puissance technologique

Aujourd’hui, la fierté nationale de la République populaire présidée par Hu Jintao et dirigée par Wen Jiabao éclate au zénith. Il s’agissait de montrer au monde – en particulier aux États-Unis – la puissance de ce pays de 1,3 milliard d’habitants qui consacre 2,28 milliards de dollars à son plan spatial et dont l’économie s’accroît de 8 % par an. Objectif atteint : avec la réussite de son premier vol habité, la Chine montre qu'une nouvelle puissance technologique et commerciale émerge en Orient.

La Chine ne cache pas non plus son désir d'explorer la Lune.

Dans son offensive de promotion, Pékin prévoit de poursuivre les vols habités. Le prochain, Shenzhou VI, pourrait intervenir en 2004 ou 2005. Les taïkonautes s’entraîneront à vivre à bord du vaisseau Shenzhou et ils réaliseront des sorties en scaphandre dans le vide du cosmos. Ensuite, les ingénieurs tenteront de réaliser une opération d’amarrage ou de jonction entre deux vaisseaux en orbite : prélude à la construction d’une véritable station spatiale chinoise, prévue à l’horizon 2008-2010.

Cette étape ultérieure majeure suppose la mise au point d’un nouveau type de lanceur, plus puissant : le Longue Marche 5, d’une capacité attendue de 25 à 30 tonnes en orbite basse - mieux que ce que fait la plus performante des fusées européennes Ariane 5. Ce véhicule devrait être rendu disponible à partir de 2008.

Les plans évoqués de manière quasi-officielle prévoient même des missions habitées de survol de la Lune.

La donne économique bousculée

Philippe Coué, expert de l'astronautique chinoise.

Il y a dix ans, la Chine faisait sourire en laissant filtrer des informations de propagande sur ses activités spatiales. Aujourd’hui, l’initiative chinoise relance la compétition internationale.

Selon Philippe Coué, spécialiste de l'astronautique chinoise, « si Pékin décide de poursuivre ses déclarations d'intentions et ses directives d'envoi d'astronautes vers la Lune, il ne fait aucun doute que certaines puissances spatiales réagiraient de manière radicale. On pourrait de nouveau assister à une compétition comme dans les années 60».

Demain, le marché des lanceurs de satellites commerciaux sera-t-il envahi par des fusées à bas prix venues de Chine, d’Inde ou du Japon ? Les ingénieurs chinois ont montré leurs ambitions au salon international des télécommunications mi-octobre à Genève (Suisse). Alors que les industriels européens peinent à récupérer de la crise, les dragons de Shanghai, Taiwan, Hong-Kong et Guangdong déploient leurs charmes. Sur la lancée de Yang Liwei, la Chine s’éveille.

Frédéric Guérin le 27/11/2003