Sedna : la dixième planète de notre système solaire ?

Sedna, qui vient tout juste d'être découverte aux confins du système solaire, ne semble guère différente de Pluton. C'est un corps sphérique, massif, orbitant autour du Soleil et possédant peut-être même un satellite. Mais Sedna est-elle pour autant une planète ?

Par Olivier Boulanger, le 14/04/2004

Un point lumineux parmi tant d'autres

Un point se déplaçant sur la voûte céleste... c'est Sedna.

Voilà plus de deux ans que Michael E. Brown et son équipe du California Institute of Technology (Pasadena) scrutent le ciel à la recherche de tout corps céleste évoluant aux confins de notre système solaire. Leurs efforts ont été récompensés : le 14 novembre 2003*, grâce au télescope Samuel Oschin du mont Palomar (Californie), les chercheurs débusquent un petit point faiblement lumineux se déplaçant très lentement dans la constellation de la Baleine...

Étudié sous toutes ses coutures par différents instruments terrestres et spatiaux (en particulier le télescope spatial infrarouge Spitzer), l'objet, baptisé officiellement 2003 VB12, semble cumuler tous les records.

Avec un diamètre compris entre 1300 et 1700 km, c’est le plus gros corps céleste découvert dans le système solaire depuis Pluton en 1930 (2300 km de diamètre). C’est aussi le plus lointain jamais observé puisqu’il évolue actuellement à une distance de 90 UA**.

Comment peut-on recueillir autant d informations sur un objet aussi lointain ? Et comment expliquer que Sedna soit aussi rouge ?

En raison de cet éloignement, c’est également le plus froid : sa température n’excède vraisemblablement pas -240°C ! Une raison pour laquelle ses découvreurs l’ont surnommé Sedna, en hommage à une déesse Inuit vivant dans les profondeurs glacées de l’océan.

De la faible lueur qui nous parvient, les chercheurs ont pu déterminer que Sedna est vraisemblablement sphérique, que sa couleur est rouge, « beaucoup plus que Mars », qu’elle se compose essentiellement de roches, de glaces d’eau et de méthane. Enfin, Sedna semble tourner sur elle-même en un peu plus de 20 jours.

Y a-t-il un satellite autour de Sedna ?

Sedna, par Hubble...

En étudiant les variations lumineuses de Sedna, Mike Brown et son équipe ont pu déterminer qu'elle tourne sur elle-même en un peu plus de 20 jours. Une période anormalement longue pour un objet de cette taille, qui laisse penser que Sedna possède un satellite freinant sa rotation.

Impossible de distinguer un tel satellite depuis la Terre en raison de la turbulence atmosphérique. Aussi, les chercheurs comptaient beaucoup sur la puissance du télescope spatial Hubble pour vérifier cette hypothèse. Mais à leur grande surprise, aucun satellite n’a pu être décelé sur les images réalisées le 16 mars 2004 par le télescope spatial et publiées le 14 avril.

Pour l’instant, Mike Brown avoue n’avoir aucune explication pour justifier une période de révolution aussi lente et compte bien sur le remplaçant de Hubble, le télescope spatial James Webb – beaucoup plus puissant –, pour élucider cette affaire. Un peu de patience néanmoins : ce nouvel instrument ne verra pas le jour avant la fin de la décennie…

* cette découverte a été présentée le 16 mars 2004
** UA : unité astronomique (la distance moyenne Terre-Soleil, soit 150 millions de kilomètres)

Problème sémantique

Sedna, comparée à la Terre, la Lune, Pluton et Quaoar (un objet découvert en 2002).

Sedna tourne autour du soleil (en 10 500 ans !) ; sa taille est relativement importante ; sa composition n’est guère différente de celle de Pluton… aurions-nous donc affaire à la dixième planète du système solaire ? Encore faudrait-il pouvoir définir précisément ce qu’est une planète !

« La notion de planète est plutôt floue, reconnaît Alain Doressoundiram, astrophysicien à l’observatoire de Paris. Ce n’est pas une question de taille puisque certains astéroïdes dépassent les 1000 km sans pour autant être considérés comme des planètes. Ce n’est pas non plus une question d’atmosphère, puisque plusieurs satellites de Jupiter en disposent… Autant dire qu’à l’heure actuelle, la définition exacte d’une planète n’existe pas. »

Un système solaire de plus en plus complexe

Il y a encore quelques décennies, cette ambiguïté n’existait pas : à l'exception des astéroïdes et des comètes, tout corps orbitant autour du Soleil était considéré comme planète. Ainsi, en 1930, lors de la découverte de Pluton, personne n'a remis en cause le statut de cette nouvelle planète, seul objet alors connu au-delà de Neptune.

Le nuage de Oort

Mais Pluton était-elle vraiment seule ? Au début des années 50, plusieurs astronomes ont émis l'idée que des amas d’objets devaient exister aux confins du système solaire.

En étudiant certaines comètes et en cherchant à déterminer leur origine, l’astronome Hollandais Jan Hendrik Oort supposait ainsi en 1950 qu’il devait exister un « nuage », une sorte de cocon sphérique situé à environ 50 000 UA du soleil, abritant des milliards de petits corps glacés.

La ceinture de Kuiper

Quelques années plus tard, Gerard Kuiper, un autre astronome hollandais, estimait que de petits objets (repoussés pour la plupart par les planètes géantes) devaient former une ceinture au-delà de Neptune, à une distance comprise entre 30 UA et 50 UA du soleil. Depuis 1992, 800 de ces objets ont pu être découverts. Et il a bien fallu se résoudre à considérer Pluton comme l'un de ces « transneptuniens » (objets situés au-delà de l’orbite de Neptune), le plus gros.

Dès lors, comment qualifier Pluton ? « C’est un choix purement arbitraire, reconnaît Alain Doressoundiram. Mais si l’on doit considérer Pluton, ou même Sedna, comme des planètes, alors notre système solaire en compte des centaines ! » On leur préfèrera donc le qualificatif de planètes mineures ou encore de planétoïdes. Néanmoins, pour des raisons historiques, Pluton ne perdra vraisemblablement jamais son statut.

« Planète » : un essai de définition par Michael E. Brown, le découvreur de Sedna

« Nous définissons comme planète n'importe quel corps du système solaire plus massif que la masse de tous les autres corps ayant une orbite semblable.

Par exemple, beaucoup d'astéroïdes croisent l'orbite de la Terre. Mais la terre est plus massive que l’ensemble de ces astéroïdes. La Terre est donc une planète.

Cérès, le plus grand des astéroïdes, n'est pas plus massif que l’ensemble des astéroïdes. Par conséquent, ce n’est pas une planète.

Que dire de Pluton ? Pluton appartient clairement à la ceinture de Kuiper. Il n’est pas plus massif que l’ensemble des objets de la ceinture de Kuiper. Ainsi - comme Cérès - Pluton n'est pas une planète, mais le plus grand objet de sa classe.
»

http://www.gps.caltech.edu/~mbrown/sedna/

Oort ou Kuiper ?

Sedna est donc un planétoïde, « le plus gros transneptunien après Pluton » selon ses découvreurs. Reste un problème à résoudre : à quel « réservoir » Sedna appartient-elle ? Oort ou Kuiper ?

Son éloignement au soleil (qui peut atteindre 800 UA) et la forme particulièrement elliptique de son orbite pourraient laisser penser que Sedna appartient au nuage de Oort. Le planétoïde est néanmoins trop massif et encore trop proche du soleil pour appartenir à cette catégorie. À moins que le nuage de Oort soit plus proche qu’on ne l’imaginait…

Kuiper, donc ? Bien qu’évoluant sur un plan proche de celui des planètes (« l’écliptique ») et ayant une morphologie comparable à celle des objets connus de la ceinture de Kuiper, Sedna semble cette fois-ci trop éloignée et son orbite beaucoup trop elliptique…

« On ne s’attend pas à trouver un objet aussi gros sur une telle orbite, résume ainsi Alain Doressoundiram. Tout porte à croire que Sedna ne s’est pas formée là où elle se trouve actuellement. Nos hypothèses nous laissent penser que Sedna appartenait à l’origine à la ceinture de Kuiper et qu’elle en a été éjectée. »

Comment ? « Probablement à cause du passage d’une étoile à moins de 800 UA du soleil qui a chahuté la ceinture de Kuiper», explique le chercheur. C’est d’ailleurs selon ce même principe qu'on explique la venue de certaines comètes en provenance du nuage de Oort.

Mais pour confirmer cette hypothèse, il faudra trouver et étudier toujours plus d’objets transneptuniens. Rassurez-vous, la moisson ne semble pas prête de s’arrêter : déjà, un nouvel objet (2004 DW) vient d’être découvert qui pourrait être encore plus massif que Sedna. Son orbite semble cependant beaucoup plus classique…

Olivier Boulanger le 14/04/2004