Cassini-Huygens en orbite : Saturne bientôt dévoilée ?

Le 1er juillet 2004, après avoir parcouru quelque 3,5 milliards de kilomètres, la sonde internationale Cassini-Huygens s'est placée en orbite autour de Saturne pour une mission de quatre ans.

Par Olivier Boulanger, le 01/07/2004

Au plus près des anneaux...

Il est exactement 2H35 (GMT), le 1er juillet 2004, lorsque la sonde américano-européenne Cassini-Huygens lancée à près de 170 000 km/h allume son moteur principal. Objectif de la manoeuvre : réduire sa vitesse et se laisser capturer par le champ gravitationnel de Saturne afin de se placer en orbite autour de la planète géante.

Après 96 minutes de mise à feu, les responsables de la mission sont enfin fixés : c'est un succès ! Cette « manœuvre d'insertion » n'était pourtant pas sans risque, toute erreur pouvant projeter définitivement la sonde dans l'espace ou, au contraire, la précipiter contre la planète ou ses anneaux.

André Brahic, ''en direct'' du centre de contrôle de Pasadena (Californie) lors de la réception des premières images...

Durant l'opération, Cassini-Huygens est passée entre les anneaux F et G. À aucun autre moment de sa mission la sonde ne passera aussi près des anneaux. Aussi les scientifiques ont-ils insisté auprès des ingénieurs pour que quelques images soient prises durant la manoeuvre. Requête accordée, mais pour des raisons techniques, ils n'ont pas eu la possibilité d'orienter la caméra. Les premières images reçues sont très surprenantes : certains anneaux sont torsadés, d'autres ondulés... on ne s'explique pas encore toutes ces structures !

La manoeuvre d'insertion

La fin d'un long périple

Avec cette mise en orbite, Cassini-Huygens achève un long voyage. Pour atteindre Saturne, la sonde vient en effet de parcourir durant sept ans quelque 3,5 milliards de kilomètres à travers le système solaire. Sept années durant lesquelles la sonde a pu survoler Vénus à deux reprises (en 1998 et 1999), puis la Terre (en 1999) et enfin Jupiter (fin 2000). Certes, ce n'est pas le chemin le plus court. Mais c'est le plus économique ! En jouant ainsi avec la gravité des différentes planètes, la sonde a pu préserver le précieux carburant* dont elle aura besoin durant les quatre années de sa mission : l'étude de la planète géante et de son principal satellite, Titan. * cette méthode permet d'économiser 75 tonnes de carburant (la sonde n'en emporte d'ailleurs que 3,14 tonnes)

La mission en quelques dates

Le chemin des écoliers...

  • 15 octobre 1997 : lancement à partir d'une fusée bi-étage Titan IV Centaur de la Nasa
  • Avril 1998 : premier survol de Vénus
  • Juin 1999 : deuxième survol de Vénus
  • Août 1999 : survol de la Terre
  • 30 décembre 2000 : survol de Jupiter
  • 11 juin 2004 : survol de Phoebé
  • 1er juillet 2004 : mise en orbite autour de Saturne
  • 25 décembre 2004 : séparation du module Huygens
  • 14 janvier 2005 : Huygens est lâché dans l'atmosphère de Titan
  • Jusqu'en 2008 : Cassini va effectuer quelque 76 orbites autour de Saturne.

La dernière des grandes missions ?

Déjà trois vaisseaux automatiques, tous américains, ont frôlé Saturne : Pioneer 11 en 1979, Voyager 1 et 2, en 1980 et 1981. Cassini-Huygens n'est donc pas la première sonde à approcher Saturne. Elle est en revanche la première mission entièrement dévolue à la planète géante. Et quelle mission ! Pour Olando Figuera, responsable de l'exploration à la Nasa, il ne s'agit ni plus ni moins de « la mission la plus sophistiquée jamais lancée », loin de la tendance actuelle qui pousse les agences à concevoir des missions légères, peu coûteuses et aux ambitions scientifiques mesurées. Aucune autre mission d'une telle envergure n'est d'ailleurs programmée. Le coût de la mission Cassini-Huygens avoisine ainsi les 3,3 milliards de dollars, une somme partagée entre les agences spatiales américaine (Nasa) et européenne (Esa) à hauteur de 2,6 milliards pour les Américains et 660 millions pour les Européens. À titre de comparaison, les deux robots martiens de la mission Mars Exploration Rovers ont coûté un peu moins d'un milliard de dollars.

Objectif Science

Un laboratoire riche de 18 instruments scientifiques.

À la différence de nombreuses missions conçues pour tester de nouvelles technologies (Mars Pathfinder, Smart-1…), l'objectif de Cassini-Huygens est avant tout scientifique. 134 chercheurs américains et 120 européens mèneront ainsi de nombreuses expériences grâce aux 350 kg de matériels scientifiques (caméras, radar, spectromètres, magnétomètre…) embarqués à bord de la sonde. Pourquoi un tel arsenal ? Tout simplement parce que les trois dernières sondes qui ont survolé Saturne ont finalement apporté plus de questions que de réponses : comment fonctionne l'atmosphère et la magnétosphère de Saturne, comment les anneaux peuvent-il être aussi stables, et que cache Titan derrière son atmosphère opaque ? Autant de questions auxquelles Cassini pourra peut-être répondre durant les quatre années de sa mission.

Géante gazeuse

Saturne par Cassini-Huygens

Cent fois plus massive que la Terre, et à peu près dix fois plus large, Saturne est la deuxième plus grosse planète du système solaire après Jupiter. Paradoxalement, c'est aussi la moins dense. Saturne est en effet une géante gazeuse, une « boule de gaz » constituée essentiellement d'hydrogène (96%) et d'hélium (3,4%). La structure interne de la planète demeure néanmoins mal connue et il reviendra à Cassini d'en apprendre un peu plus sur le sujet. En l'occurrence, les accélérations subies par la sonde devraient permettrent aux scientifiques de reconstituer la distribution de densité à l'intérieur de la planète.

La structure interne supposée de Saturne

La structure interne supposée de Saturne

De mystérieux anneaux

Des arcs...

Saturne est la seule planète à posséder des anneaux visibles (les autres géantes gazeuses en possèdent également mais beaucoup plus ténus). D'une épaisseur de 100 m, on sait aujourd’hui qu’ils sont constitués d’un ensemble de roches et de glaces dont la taille varie de quelques microns à quelques dizaines de mètres. Reste qu’aucune sonde n’a encore pu les photographier. Aussi, beaucoup espèrent que Cassini pourra réaliser quelques clichés durant sa mise en orbite.

et des taches !

Ces anneaux suscitent nombre de questions. En particulier, les modèles prédisent qu'ils ne peuvent pas survivre plus de quelques centaines d'années ! Constituent-ils une structure stable ou en perpétuel renouvellement ? Et que sont ces taches et ces arcs qui apparaissent parfois à la surface de ces anneaux ?

Mais si les anneaux intéressent autant les scientifiques, c'est qu'ils représentent, à une échelle réduite, un système planétaire en cours de formation : Saturne jouant le rôle du Soleil, et les anneaux celui de la ceinture d'astéroïdes à l'origine des planètes.

31 satellites

Saturne possède 31 satellites, tous plus énigmatiques les uns que les autres.
Phoebé

Magnifiquement photographié durant l'approche finale de Cassini, Phoebé est un petit satellite de 220 km de diamètre constitué de roches et de glaces, et vraisemblablement issu de la ceinture de Kuiper, une région située au-delà de Neptune connue pour donner naissance à de nombreuses comètes.

Japet

Japet mesure 1440 km de diamètre. Photographié par les sondes Voyager, il laisse apparaître deux faces complètement différentes : une claire, sans doute recouverte de glace ; une foncée riche en éléments organiques. Difficile de comprendre comment un tel objet a pu se former.

Mimas

 

Mimas mesure 400 km de diamètre. Avec son énorme cratère baptisé Herschel, il évoque « l'étoile noire » de la série Star Wars. En théorie, le planétoïde n'aurait pas pu résister à un tel impact.

Titan, une « Terre » primitive ?

Titan, photographié par Voyager 2 en 1981

Reste le plus grand et le plus mystérieux des satellites de Saturne : Titan... Cassini passera 45 fois au voisinage de Titan, jusqu'à une distance de 950 km. Mais l'un des points culminants de la mission sera sans conteste le largage dans son atmosphère, du module européen Huygens, le 14 janvier 2005.

Avec un diamètre de 5150 km, Titan est le plus gros satellite de Saturne, et le second plus gros satellite de tout le système solaire après Ganymède (une lune de Jupiter). Sa taille est telle qu'elle dépasse celle de Mercure. Titan est également le seul corps du système solaire à disposer – avec la Terre – d'une atmosphère riche en azote.

Titan vu au VLT (Very Large Telescope)

L'ennui est que cette atmosphère opaque interdit toute observation de la surface du satellite. L'épais manteau nuageux reste malgré tout transparent à certaines longueurs d'onde. Plusieurs observations réalisées dans l'infrarouge depuis la Terre ou à partir du télescope spatial Hubble ont ainsi permis d'observer des « taches » à la surface du satellite. Correspondent-elles à des lacs ? Des montagnes ? Il semble encore un peu tôt pour répondre à cette interrogation.

Mais si Titan intéresse autant les scientifiques, c'est essentiellement parce que le satellite présente des caractéristiques proches de celles de la Terre juste avant l'apparition de la vie. On sait en effet que Titan est riche en hydrocarbures (éthane, méthane...) et autres molécules carbonées complexes (en particulier de l'acide cyanhydrique). Il n'est pas impossible que Titan soit le siège d'une chimie prébiotique...

Durant la descente...

C'est dire si le largage de Huygens est attendu. Le 14 janvier 2005, la sonde plongera ainsi dans les brumes de Titan. Durant les deux heures et demi de descente, accroché à un parachute, elle réalisera quelques images et étudiera les propriétés de l'atmosphère du satellite. Nul ne sait si Huygens atterrira sur une surface solide ou liquide. La sonde a donc été conçue pour se poser sur tout type de terrain.

Quoiqu'il en soit, en raison de la température extrêmement basse qui règne sur le planétoïde (-175°C), Huygens s'éteindra quelques minutes après son atterrissage. Au moins espère-t-on qu'elle pourra réaliser quelques analyses de terrain avant.

Olivier Boulanger le 01/07/2004