Médicaments et compléments alimentaires : qui les consomme et pourquoi ?

Depuis toujours, le souci de la performance

Pression au travail : du pointage au badgeage

D'Australopithecus afarensis à Homo sapiens, les hominidés n'ont eu de cesse de développer puis de dépasser les capacités acquises par les lois héréditaires. Se dresser pour marcher debout, courir plus vite, inventer des outils, des technologies, voyager dans l'espace… L'invention du sport, environ 3 500 ans avant J.-C., sous forme de courses et de sauts, puis celle de la compétition en 776 avant J.-C. avec les Jeux Olympiques* participent de cette quête très humaine du dépassement de soi.

Aujourd'hui, la recherche de performance s'est étendue à tous les secteurs de la société et touche toutes les tranches d'âge. La performance s'est en effet imposée comme une valeur sociale positive, synonyme de réussite. Gage d'efficacité et de productivité, elle fait même son entrée en force dans le champ légal : ainsi, la mise en application au 1er janvier 2006 par l'État français de la LOLF** impose aux établissements publics un pilotage des activités fondé sur des « indicateurs de performance » et un « contrat de performance ».

* Les Jeux Olympiques se déroulent à Olympe tous les quatre ans jusqu'en 396 avant J.-C. et réapparaissent en 1896.
** LOLF : loi organique relative aux lois de finances.

Sport de haut niveau : la performance à son paroxysme

La consommation de substances à des fins de performance et le dopage sportif présentent des similitudes. Les deux cas relèvent en effet de conduites dopantes, c'est-à-dire de la « consommation d'un produit pour affronter ou pour surmonter un obstacle réel ou ressenti par l'usager ou par son entourage dans un but de performance *. Dans le monde de la compétition sportive, le besoin de se dépasser, de reculer les limites du possible et la volonté de vaincre font partie des postulats de base.

Plus vite, plus haut, plus fort !

Le dopage** s'inscrit dans cette logique depuis plus d'un siècle : la strychnine (souvent mélangée à de l'alcool et de la cocaïne) fait son entrée chez les marathoniens dès les Jeux Olympiques de 1904. Aux substances traditionnelles comme les anabolisants, les corticoïdes et les amphétamines, sont venus s'ajouter, depuis le milieu des années 80, des produits issus du génie génétique et des biotechnologies, comme la fameuse EPO (érythropoïétine).

* Source : Dr Patrick Laure, coordinateur de l'ouvrage « Dopage et société », Éd. Ellipses, 2000. ** Le dopage est, selon la loi française, l'usage dans le cadre sportif de moyens « de nature à modifier artificiellement les capacités », dont la liste est établie à partir du Code mondial antidopage.

L’obsession de la réussite

Face au stress généré par les études…

Terminer un travail urgent, réussir un examen, un entretien d'embauche, s'exprimer en public… pour faire face à certaines situations ou pressions de la vie quotidienne, n'importe quel individu en bonne santé peut, à un moment donné, souhaiter se surpasser. Il peut alors avoir recours à des produits qui vont l'aider à « booster » sa mémoire, vaincre le trac, lutter contre le stress, la fatigue, bref, qui vont lui permettre rapidement d'aller plus loin dans ses capacités physiques et intellectuelles. Ce serait le prix à payer, le passage obligé pour s'intégrer « dans une société marquée par l'obsession de la réussite et le culte de la performance qui exige de chacun prise de risque et maîtrise de soi »*.

Dans ce contexte de confrontation entre l'individu et la norme sociale, il peut paraître légitime de vouloir « assurer ». Et, de fait, la consommation de ces pilules représente – sous réserve de leur efficacité et de leur non-toxicité – une réponse immédiate, quasi symptomatique, une béquille chimique pour affronter le réel.

* Source : Alain Ehrenberg, sociologue, directeur du Centre de recherche « psychotropes, santé mentale, société » (CESAMES), auteur des ouvrages « Le culte de la performance » et « La fatigue d'être soi » (Éd. Odile Jacob).

Une banalisation de la consommation

Le bar à pharmacie

Du fait des normes sociales en vigueur aujourd'hui, le mode de vie de chacun est rythmé par l'enchaînement d'activités de plus en plus exigeantes. Rythme difficile à tenir pour certains et qui peut amener à la prise excessive d'alcool*, de tabac, de café, voire de drogues illicites ; ou encore conduire à la consommation de compléments alimentaires ou de médicaments dont on vante les vertus dopantes mais dont l'efficacité n'est pas toujours évidente à évaluer.

En France, 1 garçon de 18 ans sur 5 et 1 fille sur 3 a déjà pris un produit pour améliorer ses résultats scolaires. Il s'agit le plus souvent de vitamines, sels minéraux ou oligo-éléments. La consommation de médicaments psychotropes (antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques…) augmente également dans cette population : l'expérimentation de tels produits concernait 1 jeune de 17 ans sur 4 en 2003, contre 1 sur 5 en 2000**. Chez les adultes, une étude menée en milieu professionnel auprès d'environ 2 000 travailleurs français montre qu'1 personne sur 5 a recours à un produit dopant pour être en forme au travail et 1 sur 6 pour se détendre après le travail***.

* Selon l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, près de 10 % des salariés sont concernés par une consommation problématique d'alcool. ** Enquête Escapad réalisée par l'OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) auprès de 17 000 jeunes âgés de 17-19 ans lors de la journée d'appel et de préparation à la défense. *** « Conduite dopante en milieu professionnel : étude auprès d'un échantillon de 2 106 travailleurs de la région toulousaine », Lapeyre-Mestre et al, Thérapie 59, 6, p.1-9, 2004.

Au commencement était le bonheur… et les antidépresseurs

Usage de produits psychoactifs en fonction du statut professionnel

Selon l'Assurance Maladie, la question de la bonne utilisation des antidépresseurs se pose aujourd'hui. En effet, parmi les Français consommateurs d'antidépresseurs (sur un an, 9,7 % de la population a reçu une prescription, soit près de 6 millions de personnes), au moins un sur cinq (environ 1,2 million de personnes) en prendraient sans que leur état le justifie*. Un phénomène essentiellement dû à l'arrivée depuis une quinzaine d'années des antidépresseurs de la famille du Prozac (les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, IRS).

Supposés avoir moins d'effets secondaires que les molécules de la génération précédente, ces médicaments seraient de plus en plus souvent prescrits, principalement par des médecins généralistes**, pour soulager des personnes déprimées, plutôt que dépressives, et désireuses de retrouver leur place dans une société performante peu encline aux états d'âme. Or, les études*** sur cette classe de médicaments, baptisés un peu vite « pilules du bonheur », ne font pas état de résultats probants dans cette indication hautement existentialiste.

* Revue médicale de l'Assurance Maladie, 34, 2, p. 75-83, 2003. ** Les médecins généralistes sont à l'origine d'au moins 70% des ordonnances d'antidépresseurs. *** Archives de la Food and Drug Administration (FDA) présentées dans l'ouvrage de Guy Hugnet « Antidépresseurs, la grande intoxication », Ed. Le cherche midi, 2004.

Plus d’un Français sur dix consomme des compléments alimentaires

La cible très privilégiée des seniors

Selon une étude du Crédoc rendue publique en octobre 2005* 11,2% des adultes sont consommateurs de compléments alimentaires (16,1% des femmes et 5,6% des hommes) :

  • 19% en consomment de façon permanente
  • 28,1% sous forme de cures d'au moins trois semaines
  • 29,4% sous forme de cures d'une à deux semaines
  • 23,5% de façon irrégulière


Il s'agit le plus souvent de magnésium (51% des cas), vitamine C (45,1%), multivitamines (30,7%), calcium (28,1%), oligo-éléments (20,9%). Les effets recherchés : « Une meilleure santé, la lutte contre la fatigue, les maladies ou le stress ».

* Dénommée « CCAF 2004 » (Comportements et Consommations alimentaires des Français), l'enquête du Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) a été réalisée entre l'automne 2002 et l'été 2003 auprès de 1 042 ménages représentatifs des foyers français.

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