Des « optimisateurs » au dopage sportif : quel marché, quels garde-fous ?

Le marché florissant des compléments alimentaires

Le marché des compléments alimentaires

Selon les fabricants de compléments alimentaires, le marché français devrait poursuivre son envolée au cours des prochaines années pour atteindre 2 à 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. La comparaison avec les États-Unis, pays précurseur, est extrêmement difficile, la définition des compléments alimentaires made in USA étant moins restrictive qu'en France (par exemple, la DHEA est considérée comme un complément alimentaire outre-Atlantique). 

Dans les rayons des pharmacies, parapharmacies, magasins spécialisés, quels produits trouve-t-on pour améliorer nos performances, ou tout simplement pour les conserver ? Quelle est leur réelle efficacité ? Des compléments alimentaires aux substituts hormonaux, du « mieux-vivre » au « mieux-vieillir », le marché des « optimisateurs » est en pleine expansion. Même si la pilule de jouvence reste un mythe.

DHEA : des débouchés, même sans indications…

Il y a seulement quelques années, certains scientifiques relayés par les médias lui prêtaient toutes les vertus (sur la libido, la qualité de la peau et des muqueuses, la mémoire, le bien-être en général).

DHEA

La DHEA (déhydroépiandrostérone), hormone naturellement produite par notre organisme, était présentée comme la future pilule de jouvence. Mais aucun des bienfaits supposés n'a pu être démontré de manière fiable par des essais cliniques.

Donc, la DHEA n'est actuellement autorisée dans aucune indication par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Toutefois, muni d'une ordonnance, on peut se procurer l'hormone en pharmacie.

 

 En France, la DHEA n'a ni le statut de « spécialité pharmaceutique autorisée », ni celui de complément alimentaire, mais elle est tout de même inscrite à la Pharmacopée française depuis le 11 janvier 2003, ce qui permet un contrôle du contenu des préparations de DHEA faites en pharmacie.

L’explosion des ventes de trois classes de médicaments à succès

1/ Antidépresseurs IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine)

Millions de boîtes d’antidépresseurs IRS vendues par les laboratoires aux pharmacies en France

Les brevets du Prozac et de la plupart de ses homologues sont aujourd'hui entrés dans le domaine public. Résultat : avec l'apparition des génériques, la vente des médicaments de marque a chuté. Mais comme on le voit sur ce graphique, les ventes de cette famille d'antidépresseurs (médicaments de marque – Prozac de Lilly, Deroxat de Glaxo Smithkline, Zoloft de Pfizer… – plus génériques) poursuivent leur ascension dans les pharmacies françaises.

Millions de boîtes d’inducteurs d’érection vendues par les laboratoires aux pharmacies en France

2/ Inducteurs d'érection

Le lancement d'une nouvelle classe de médicaments contre l'impuissance (Viagra de Pfizer en 1998, suivi par Cialis de Lilly et Levitra de Bayer / Glaxo Smithkline en 2003, toujours protégés par leurs brevets) s'est traduite par une augmentation spectaculaire des ventes d'inducteurs d'érection.

Milliers de boîtes de psychostimulants vendues par les laboratoires aux pharmacies en France

3/ Psychostimulants chez l'enfant

Encore balbutiant, le marché français des médicaments contre les troubles de l'hyperactivité chez l'enfant (Ritaline de Novartis lancé en 1995 et Concerta de Janssen / Cilag en 2003) progresse en dépit du contexte polémique actuel.

Les compagnies pharmaceutiques se situent dans une logique de performance… économique. Leur Graal ? Les « blockbusters », médicaments dont la vente dans le monde génère plus d'un milliard de dollars (832 millions d'euros) de chiffre d'affaires par an. Tant que la molécule active est protégée par un brevet, son commerce est très rentable. Mais la durée d'un brevet est limitée et les médicaments de marque doivent ensuite se partager le marché avec les médicaments génériques.

Fiabilité des produits : quels contrôles ?

Contre le faux Viagra

Obligatoire pour la commercialisation d'une substance à visée thérapeutique élaborée par un laboratoire pharmaceutique, l'AMM (autorisation de mise sur le marché) est délivrée par une agence nationale – en France, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) – sur la base d'un dossier remis par la firme avec tests en laboratoire et essais cliniques*. Ce dossier est évalué par les experts selon des critères de qualité, d'efficacité et de sécurité d'emploi.

Afin de mieux cerner les risques et mieux connaître le bénéfice effectif des médicaments autorisés, l'Afssaps** a renforcé depuis l'été 2005 son dispositif de surveillance post-AMM. Quant à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), elle a en charge l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires des compléments alimentaires, mais à condition d'être saisie pour avis par les administrations de tutelle*** ou par les associations de consommateurs. Donc de façon non systématique.

* Des études publiées dans les revues Nature (octobre 2005) et JAMA (avril 2006) pointent l'existence de conflits d'intérêt entre les experts américains du médicament et l'industrie pharmaceutique. ** L'Afssaps est une agence financée par l'État. Elle perçoit également des droits, taxes et redevances de l'industrie des produits de santé. *** Principalement la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Approvisionnement sur Internet avec de vrais risques de faux

En France, la vente de médicaments sur Internet est interdite. Mais rien n'empêche l'achat en ligne à partir de sites étrangers. Avantages ? L'accès à des produits non commercialisés dans notre pays, l'obtention de substances pour des usages détournés (à des fins de dopage et non thérapeutiques) et un prix de vente moins élevé, ce qui peut sembler intéressant pour les médicaments vendus sur ordonnance mais non remboursés (comme les médicaments de la famille du Viagra)*. Outre le risque de poursuites pour recel de médicaments non homologués par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), l'approvisionnement en ligne expose à des contrefaçons donc à des produits inefficaces, voire dangereux. Selon la direction générale des douanes de la Commission européenne, plus de la moitié des médicaments commandés sur Internet seraient faux**.

* Selon certains experts, le déremboursement actuel de médicaments « à service médical rendu insuffisant » pourrait avoir pour conséquence une augmentation des achats en ligne. ** Le laboratoire Pfizer a porté plainte contre des sites de vente en ligne de faux Viagra. Selon une étude britannique citée par la revue Pharmaceutiques (février 2006), 44% des comprimés de Viagra achetés en ligne, notamment suite à un marketing agressif à base de spams, seraient faux.

La formation de « bons docteurs »…

La prescription médicale

Le succès d'un médicament dépend du nombre de prescriptions, donc de l'attitude des médecins généralistes, principaux prescripteurs. Aujourd'hui, l'essentiel de la formation continue des médecins passe par les visiteurs médicaux envoyés par les laboratoires afin de faire la promotion de leurs produits, et par des journaux financés par la publicité des firmes*.

Or, les médecins ne s'estiment pas toujours bien formés, notamment sur les usages détournés de certaines molécules à des fins de performance ou encore sur les substances interdites par l'Agence mondiale antidopage**. La loi française d'août 2004 prévoit une amélioration en profondeur de la formation médicale continue. Avec une mise en application qui se fait toujours attendre.

* La revue Prescrire, disponible sur abonnement, est le seul journal indépendant (sans publicité) à destination des médecins et pharmaciens. ** General practitioners and doping in sport: attitudes and experience, Patrick Laure et al, Br J Sports Med 37, p.335-338, 2003.

Autoprescription : dérapage non contrôlé

Si la plus grande part des consommations de médicaments se fait dans le cadre d'une prescription médicale, l'autoprescription à partir de la pharmacie familiale ou d'une autre personne est également à prendre en compte. À titre d'exemple, l'autoprescription de médicaments psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères…) concerne en France près d'un adulte sur cinq, une jeune fille sur six (14-18 ans) et un jeune garçon sur onze*. Un moyen de l'éviter : copier certains pays – comme la Grande-Bretagne – dont les pharmacies ne délivrent que le nombre exact de pilules prescrites par le médecin, donc sans possibilité de stockage.

* Jean-Michel Costes, directeur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Journée « Addiction et Dopage » le 30 mars 2006, Académie des Sciences.

L’arsenal antidopage français

La loi du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage a mis en place, en plus des contrôles antidopage, un suivi longitudinal pour les sportifs de haut niveau qui permet de surveiller l'évolution de leurs paramètres biologiques sur le long terme.

Suivre les athlètes sur le long terme

Il est organisé et pris en charge par les fédérations sportives, qui ont également pour mission de sanctionner les sportifs dopés*. Une autorité administrative indépendante, le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, est chargée de veiller à l'efficacité de la lutte contre le dopage ; et 23 antennes médicales de prévention et de lutte contre le dopage proposent, outre leur mission d'information, des consultations anonymes aux personnes ayant eu recours à des pratiques de dopage. Des contrôles inopinés peuvent être effectués à la demande du ministère chargé des Sports et confiés pour analyse au Laboratoire national de dépistage du dopage.

Des tests anti-dopage au laboratoire

Afin de mieux coordonner les différentes procédures (de contrôle, d'analyse et de sanction), une agence française de lutte contre le dopage doit bientôt voir le jour. Celle-ci devrait être opérationnelle fin 2006-début 2007. Elle regroupera le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, le Laboratoire national de dépistage du dopage et les activités de programmation et d'exécution des contrôles antidopage qui étaient préalablement gérées par le ministère chargé des Sports. Au niveau international, l'Agence mondiale antidopage, créée en 1999, est à l'origine du code mondial antidopage, qui vise à harmoniser les règles régissant le dopage dans les différents pays.

* Au fil des lois sur le dopage (1er juin 1965, 28 juin 1989 et 23 mars 1999), la charge de la sanction a été transférée du législateur aux fédérations : aujourd'hui, le sportif dopé ne fait plus l'objet de sanctions pénales (sauf s'il est impliqué dans le trafic de substances interdites).

Les limites de la lutte antidopage

Au Laboratoire national de dépistage du dopage, environ 5% des échantillons analysés présentent des « anomalies ». Parmi celles-ci, certaines font l'objet d'une justification thérapeutique, donc finalement seuls 1 à 2% des tests conduisent à une sanction*.

Contrôles : biathlon, cyclisme, athlétisme...

Ce résultat ne traduit vraisemblablement pas la réalité du dopage car malgré les progrès réalisés ces dernières années, un certain nombre de produits dopants passent encore entre les mailles du filet : l'hormone de croissance, dont la durée de vie est très courte, n'est toujours pas détectée, et les protocoles d'administration de l'EPO** ou de la testostérone peuvent déjouer les contrôles.

De plus, de nouvelles molécules sont sans cesse développées, qui rendent les modalités de détection obsolètes : par exemple, les perfluorocarbones (PFC) améliorent l'oxygénation, comme l'EPO, mais ils ne sont pas systématiquement recherchés au laboratoire.

Enfin, il existe des produits qui masquent la présence de substances dopantes comme les diurétiques (stéroïdes anabolisants) ou la Ventoline (amphétamines)***.

* Le sport le plus touché est le cyclisme (39 % de tous les contrôles positifs) d'après le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage. ** L'érythropoïétine (EPO) n'est plus détectable 3-4 jours après l'injection mais son effet dure des semaines. *** Outre son effet masquant, la Ventoline (salbutamol), médicament contre l'asthme, est également un produit dopant qui améliore le passage de l'oxygène dans le sang, donc dans les muscles. On constate que ce médicament est prescrit chez bon nombre de sportifs… en raison de leur asthme !

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