Demain, serons-nous toujours plus dopés ?

Ce que nous concoctent les labos...

Il existe déjà des « pilules de la performance » mais les laboratoires préparent de nouvelles molécules pour les prochaines années et ce, principalement selon quatre axes de recherche : apparence (industrie cosmétique), sexualité, sommeil et mémoire.

Au-delà des pilules…

Face à 4 millions de malades Alzheimer dans le monde, la recherche d'un produit miracle pour la mémoire mobilise un grand nombre d'équipes. Parmi les multiples pistes, des essais chez les animaux ont montré que certains processus physiologiques, comme la faim, conduisent à la sécrétion de peptides (ghréline) qui peuvent augmenter la mémoire*.

Par ailleurs, certaines molécules développées initialement pour agir sur la mémoire pourraient devenir de nouvelles pilules « anti-sommeil »**. C'est le cas du CX717 du laboratoire californien Cortex Pharmaceuticals, dont les essais chez les singes Rhésus semblent prometteurs : l'administration de ce produit leur a permis de rester éveillés 36 heures d'affilée sans altération de leur mémoire ni de leur capacité d'attention. Le CX717 doit être prochainement testé chez quarante-huit militaires américains volontaires.

* Nature Neuroscience, 19 février 2006. ** New Scientist, 18 février 2006.

Un tournant dans l’industrie pharmaceutique

Dépistage, prévention et pilules à la carte

Deux nouvelles orientations se dessinent pour l'industrie pharmaceutique* : la production massive de médicaments dits de confort et le développement tous azimuts de tests de dépistage. Les premiers viseront à améliorer la qualité de vie des personnes âgées, notamment en dopant leur mémoire, en améliorant leur apparence physique ou en stimulant leur activité sexuelle. Accompagnant l'allongement de l'espérance de vie, ces produits devraient se multiplier au cours des prochaines années. Parallèlement, des tests de dépistage vont se répandre, qui permettront de repérer des dérèglements organiques avant même l'apparition de symptômes et de compenser ainsi certains déficits qui pourraient nuire à nos performances.

Avantage : une médecine sur mesure adaptée à chaque individu qui pourrait, selon ses promoteurs, accroître notre longévité mais aussi nos capacités physiques et intellectuelles. Inconvénient : cette médecine coûtera cher, sera accessible aux seuls pays riches et délaissera encore plus la recherche et le développement de molécules pour soigner les pathologies des pays pauvres.

* Source : Pharma 2010: the threshold of innovation, IBM Consulting Services, février 2006.

Un médicament n’est pas une lessive !

Eliminez votre déprime...

Rançon du succès, l'antidépresseur vedette est devenu un symbole, parfois détourné sur un mode humoristique. Contrairement à cette fausse publicité (le médicament est ici déguisé en lessive par l'association militante canadienne, Adbusters), le Prozac ne sera jamais un produit de consommation courante disponible en grande surface. Gare à la confusion qui règne entre les médicaments à visée thérapeutique et les produits dits de confort qui n'empruntent pas forcément les mêmes circuits de distribution et qui n'ont pas les mêmes finalités : faire retomber la pression ressentie au travail quand l'exigence de performance est trop forte ou tout simplement viser un mieux-être personnel n'ont pas grand-chose à voir avec le traitement de la dépression.

Placebo, éternel médicament du futur ?

Un médicament n'est reconnu efficace que si, lors des essais cliniques, il s'est montré plus actif que le placebo*… qui peut lui-même, grâce à la force du psychisme, produire un réel effet thérapeutique (appelé « effet placebo »). Le rôle du mental étant essentiel dans l'amélioration des performances, la part de l'effet placebo joue un rôle non négligeable avec les « optimisateurs ». À l'évidence, les produits de la performance ont encore de beaux jours devant eux et ce, quel que soit leur mode d'action ou leur efficacité réelle.

* Le placebo (du latin « je plairai ») est une substance inerte, c'est-à-dire qui ne contient aucun composé chimique actif, délivrée dans un contexte thérapeutique.

Toujours plus vieux, mais pour quoi faire ?

Des pilules à remonter le temps…

La proportion de centenaires dans le monde est dix fois plus importante qu'il y a cent ans et ce phénomène s'accélère : en 2015, les centenaires seront deux fois plus nombreux qu'aujourd'hui (560 000 contre 265 000 en 2005)*.

En France, une fille sur deux née en l'an 2000 sera centenaire. Or, paradoxalement, on vit de plus en plus vieux et en meilleure forme, mais on travaille de moins en moins longtemps. Tous ces seniors resteront-ils étiquetés « inactifs » en référence au monde du travail ? Ou bien, d'autres voies d'activités performantes seront-elles reconnues ? Avec ou sans apport chimique extérieur.

Vivre vieux, vieillir jeune !

L’île d’Okinawa, au Japon, détient le record du monde du nombre de centenaires.

Alors qu'en 1900, les plus de 65 ans étaient ultraminoritaires sur la planète, ils seront les plus nombreux en 2030. « Vivre de plus en plus vieux, pourquoi pas, mais pas à n'importe quel prix ! », c'est le credo qui justifie l'engagement actuel des entreprises pharmaceutiques et cosmétiques sur le marché des produits anti-âge. À noter toutefois que sur la base de certains indicateurs de forme et de santé, une femme de 77 ans aujourd'hui « équivaut » à une femme de 62 ans en 1900**.

* Source : Nations unies, Population Division of the Department of Economic and Social Affairs. ** Source : Patrice Bourdelais, Centre de recherches historiques, École des hautes études en sciences sociales.

Dopage sportif : vers des « AGM » ?

Certaines substances dopantes utilisées par les sportifs – comme l'érythropoïétine (EPO) ou l'hormone de croissance – sont aujourd'hui produites par génie génétique.

Pékin 2008 : les prochains J.O. seront-ils « propres » ?

Il existe même une version génétiquement modifiée de l'EPO aux capacités augmentées. Donc la génétique est déjà au coeur du dopage. Demain, l'étape suivante pourrait être d'injecter directement le gène codant pour un produit dopant en intramusculaire* : l'athlète deviendrait alors génétiquement modifié (AGM) et fabriquerait lui-même le produit en quantité augmentée. Encore plus retors : on peut imaginer que le gène ne produise la substance dopante qu'à la demande et ce, afin d'échapper aux contrôles antidopage.

Pure science-fiction ? En tout cas, l'Agence mondiale antidopage (AMA) prend ce sujet très au sérieux : en témoigne le lancement de plusieurs programmes de recherche pour dépister cette pratique (annonce faite lors d'un symposium sur le dopage génétique organisé par l'AMA en décembre 2005). Ce procédé, outre sa dangerosité potentielle, pose une question d'éthique fondamentale : peut-on concevoir un homme « modifié » artificiellement pour la performance ?

 

 Le procédé de thérapie génique peut avoir pour objectif d'accroître l'autoproduction d'hormones ou de facteurs de croissance pour augmenter, par exemple, les capacités d'oxygénation de l'athlète et donc sa résistance à l'effort ou bien sa masse musculaire. Le tissu ciblé pour le transfert de gène est le plus souvent le muscle.

Vers des hommes « augmentés » ?

Question d’imagination…

Pour améliorer nos performances, les pilules ne sont pas la seule réponse. Il y a aussi les implants : on peut imaginer qu'un jour, des puces électroniques miniaturisées implantées dans certains endroits du corps permettront d'améliorer notre vision, notre mémoire, notre gestion du stress ou nos capacités sexuelles. L'implantation de ces puces chez des personnes handicapées a permis de montrer que, dans certains cas, on pouvait retrouver l'usage d'un membre.

Mais détourner cette technologie pour l'appliquer à l'homme bien portant soulève un certain nombre de problèmes, notamment éthiques : jusqu'où peut-on modifier le corps sans pour autant créer un « homme-machine » ? De plus, ces hommes « augmentés », qui auront acquis des fonctions nouvelles, seront privilégiés par rapport à ceux qui ne pourront pas bénéficier de ces implants. Cette technologie est donc porteuse de nouvelles inégalités. Le Meilleur des mondes évoqué par Aldous Huxley n'est pas loin…

Quand l’Amérique s’interroge…

« Je ne prends rien, suis-je normal ? »

Voilà un rapport* discret en forme de bombe à retardement, 300 pages signées du président du Conseil de bioéthique américain et adressées à l'hôte de la Maison Blanche pour le mettre en garde : une société nouvelle se met en place sans que l'Amérique l'ait réellement décidé.

« Avoir des capacités démultipliées au plan physique ou intellectuel, dit en substance le rapport, paraître plus jeune, être plus décontracté, rester éveillé, avoir des enfants plus sages, être plus heureux… », c'est aujourd'hui théoriquement possible en consommant, sans être malade, des médicaments détournés de leurs usages. Un phénomène qui devrait se poursuivre, les progrès de la science risquant de créer de nouvelles tentations.

Pour certains optimistes, le monde de demain fonctionnera mieux car il sera fait de citoyens plus productifs, plus compétents, plus épanouis. Pour d'autres, plus pessimistes, nos sociétés vont être encore plus compétitives et les individus médicalisés deviendront de simples pions au service de la performance. Le diagnostic dressé dans ce rapport semble valoir aussi pour le Vieux Continent.

* Source : Beyond Therapy: Biotechnology and the pursuit of happiness, rapport du President's Council on Bioethics, Washington DC, 2003.

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