L'émergence de nouvelles formes de filiation et de parenté

Les « enfants du don »

L’aide médicale à la procréation (AMP) ouvre une possibilité inédite : la naissance, grâce à la médecine, d’un enfant aux origines génétiques différentes de celles de ses parents. En effet, dès lors qu’un ou deux membres du couple sont incapables de procréer, le don de gamètes, voire d’embryons, devient possible. Ces dons peuvent également être destinés à des couples risquant de transmettre une maladie grave à l’enfant. En France, selon l’Agence de la biomédecine, 6% des enfants nés par AMP en 2008 provenaient d’un don, soit environ 1 200 naissances sur les 834 000 de cette année-là. Si le don de sperme se pratique depuis les débuts de l’AMP, les dons d’ovocytes et d’embryons n’ont été initiés que depuis les années 1980. La France possède une particularité unique : les donneurs doivent obligatoirement avoir déjà procréé. Et ce, à la fois pour augmenter les chances d’avoir des gamètes fonctionnels, mais aussi pour permettre au donneur ou à la donneuse de mieux relativiser le rôle qu’il (elle) peut être amené(e) à jouer vis-à-vis des enfants issus de son don puisqu’il (elle) peut vivre sa paternité (ou sa maternité) avec ses propres enfants. En outre, l’AMP avec les gamètes d’un donneur fait l’objet d’une procédure particulière avec, pour les futurs parents, la signature d’un consentement écrit devant un juge ou un notaire. Pour l’accueil d’embryon, une décision judiciaire est nécessaire, ce qui rapproche ce mode de procréation de l’adoption.

D'un pays à l'autre, les lois divergent...

En France, seuls les couples hétérosexuels dont les gamètes de l’un ou l’autre membre sont inutilisables pour raisons médicales peuvent bénéficier de dons. Mais de nombreux pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Danemark autorisent les femmes seules ou les femmes lesbiennes à recevoir des dons de sperme. De ce fait, de plus en plus de personnes traversent les frontières afin d’obtenir ce qui est interdit dans leur pays. Ainsi, dans l’un des plus grands centres d’assistance médicale à la procréation (AMP) de Belgique, 70% des demandes d’insémination artificielle avec donneur proviennent de femmes homosexuelles françaises. Faut-il prendre en compte l’importance croissante de l’homoparentalité dans notre société et accepter de traiter ces « formes sociologiques de stérilité » ? Faut-il à l’inverse s’opposer à ces demandes d’AMP dites de convenance ? Les réponses à ces questions dépassent largement le champ de la médecine et de la bioéthique. Il s’agit avant tout d’un choix politique et social : ce qui est en jeu, c’est la pluralité des modèles familiaux acceptés, ou pas, par la société.

Faut-il rétribuer les dons de gamètes ?

Gamètes artificiels en vue ?

En France, le principe du bénévolat constitue un des piliers de la législation bioéthique valable pour tous les dons d’éléments du corps humain. Seuls sont pris en charge les frais occasionnés par ces dons. La plupart des autres pays (Espagne, États-Unis, Islande, Japon, Norvège, Portugal, Russie…) ne partagent pas ce principe éthique et rémunèrent les donneurs. Les hommes reçoivent généralement entre 40 et 80 euros par don de sperme alors que les femmes obtiennent en moyenne 3 300 euros pour leurs ovocytes*. En effet, contrairement au don de sperme, le don d’ovocyte nécessite un traitement médical lourd (stimulation ovarienne) et un prélèvement chirurgical qui ne sont pas sans risque pour la femme. En France, les donneuses sont rares. En 2008, on comptait 265 donneuses pour 1 639 couples demandeurs, d’où des délais d’attente de deux à cinq ans et des couples qui se rendent de plus en plus fréquemment à l’étranger. Face à ce phénomène, le principe du bénévolat est périodiquement remis en cause en France. Pour autant, plusieurs rapports publiés récemment** se sont prononcés contre une rémunération des dons de gamètes, craignant d’éventuelles dérives, en particulier de commercialisation. Certains experts estiment par ailleurs qu’une meilleure prise en charge des donneuses ainsi que des campagnes régulières d’information et de sensibilisation permettraient d’éviter la pénurie chronique d’ovocytes.

* René Almeling, Law and Contemporary Problems, 2009.

** Rapports du Conseil d’État, de l’Assemblée nationale, de l’Agence de la biomédecine et de l’OPECST.

Non à la levée de l'anonymat !

D’où viens-je ?

Contrairement au don de sang ou de moelle osseuse, le don de gamètes implique non pas deux mais trois parties : le donneur, le receveur et… l’enfant. Or une fois arrivés à l’âge adulte, une minorité d’entre eux revendique le droit d’accès à leur origine biologique*. Ces revendications ont déjà conduit plusieurs pays à lever l’anonymat (Royaume-Uni, Norvège, Pays-Bas, Suède…). Certains, comme la Belgique et l’Islande, ont adopté un système à double guichet, autorisant les dons anonymes et les dons identifiés. En France, les dons de gamètes sont anonymes et gratuits comme tous les dons d’éléments du corps humain. Et cela le restera : ces principes ont été réaffirmés lors du vote de la loi de bioéthique par les députés le 23 juin 2011. D’après une étude menée en 2006 sur 193 donneurs français, 60% renonceraient à leur don si l’anonymat devait être levé. Pour certains spécialistes, la levée de l’anonymat peut conduire des parents à garder le secret autour de leur mode de procréation. En témoigne une étude suédoise** : sur 300 enfants nés grâce à des dons de gamètes entre 1985 et 1993, aucun n’a demandé à connaître l’identité de son donneur, la plupart des parents n’ayant pas informé l’enfant qu’il avait été conçu par don.

* De l’ordre de quelques dizaines sur 50 000 enfants nés par insémination artificielle avec donneur en France. Source : Donner et après… La procréation par don de sperme avec ou sans anonymat ?, Pierre Jouannet, Roger Mieusset, Springer, 2010.

** Rapport d’information n° 2235, Assemblée nationale, 20 janvier 2010.

Les enfants nés d'une « mère porteuse »

« Mères porteuses » en Inde

Les couples désirant un enfant mais dont la femme ne peut mener à bien une grossesse peuvent désormais se tourner vers un nouveau mode de procréation : la gestation pour autrui (GPA). Cela consiste à transférer dans l’utérus d’une autre femme, communément appelée «mère porteuse», un embryon obtenu par fécondation in vitro (FIV). Cette technique bouleverse le lien traditionnel entre maternité et filiation puisque la femme qui accouche ne sera pas la mère : elle transmettra l’enfant dès la naissance, en même temps que les droits et devoirs parentaux afférents. La première GPA a eu lieu aux États-Unis en 1970 : la «mère porteuse» avait été inséminée avec le sperme du père d’intention. Mais depuis l’apparition de la FIV, il est possible de transférer dans l’utérus de la «mère porteuse» un embryon issu des gamètes des deux parents et donc de transmettre le patrimoine génétique sans porter l’enfant. Il est également possible de recourir aux ovocytes d’une tierce personne si la mère ne peut les fournir ou quand les futurs parents sont des hommes seuls ou des couples homosexuels. En France, après avoir été pratiqué dans les années 1980, le recours à une «mère porteuse» est interdit depuis 1994*.

* Le principe de l’interdiction repose sur le fait qu’un corps humain ne peut être loué ou vendu et qu’un enfant ne saurait faire l’objet d’une cession par contrat.

Vers de nouvelles parentés ?

Bientôt le « gay baby-boom » ?

Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) avec l’intervention d’une tierce personne introduisent un nouveau type de filiation qui ne relève ni de l’adoption, ni de la procréation naturelle. Alors que l’adoption a pour objectif de donner une famille à un enfant qui en est privé, l’AMP avec donneur vise avant tout à aider un couple à procréer, quelle que soit l’origine des gamètes ou le ventre dans lequel se déroule la grossesse. Elle crée ainsi, en plus des parents sociaux à l’origine du projet parental, des «parents biologiques» ou des «mères porteuses». Ces nouvelles pluriparentés questionnent notre système classique de filiation. La filiation doit-elle être liée à la naissance ou à la décision d’être mis au monde ? Dans le cas de l’AMP, bon nombre de couples décident de taire le mode de procréation. Les pluriparentalités étant perçues comme difficiles à vivre ou instables, il s’agit de privilégier la filiation sociale à la filiation biologique*. La parenté est de fait conférée à ceux qui ont la responsabilité de l’enfant. Les revendications des femmes célibataires ou des couples homosexuels d’avoir un enfant vont d’ailleurs dans le même sens, même si elles s’éloignent toujours plus du modèle séculaire de la famille.

* Agnès Fine, Les Nouvelles Pluriparentalités, Histoire de sexe et désir d’enfant, sous la direction de Pierre Jouannet et Véronique Nahoum-Grappe, Éditions le Pommier/Cité des sciences et de l’Industrie, 2004.

Quelle place pour l'adoption ?

Et le choix d'une vie sans enfant ?

Confrontés à des problèmes d’infertilité, certains couples choisissent de devenir parents grâce à l’assistance médicale à la procréation (AMP), d’autres d’accueillir un enfant en l’adoptant ou, pour certains, de ne pas avoir d’enfant. En France, la loi oblige les centres d’AMP à informer des possibilités en matière d’adoption. De fait, un certain nombre de couples s’engagent parallèlement dans des démarches d’adoption et d’AMP. D’abord réservée aux couples mariés, qu’ils soient infertiles ou pas, l’adoption en France est désormais ouverte aux personnes seules, contrairement à l’AMP. Le nombre d’adoptions a considérablement augmenté en trente ans : dans le monde, on est passé de 17 000 enfants adoptés par an dans les années 1980 à 40 000 aujourd’hui. Si les États-Unis accueillent la moitié des enfants adoptés à l’international, c’est en Espagne, en Suède et au Danemark que l’on adopte proportionnellement le plus : dans ces trois pays, on compte chaque année 8 à 9 adoptions pour 1 000 naissances par an contre environ 40 enfants issus de l’AMP. En France, le ratio est d’environ 4 adoptions pour 1 000 naissances contre 25 pour les enfants issus de l’AMP, soit environ 3 200 enfants adoptés sur les 800 000 naissances annuelles.

Source : Rapport sur l’adoption, Jean-Marie Colombani, La Documentation française, 2008.

La procréation, un choix de société

Gamètes sans frontières

En 1994, la France devient le premier pays au monde à se doter d’une loi de bioéthique. Afin de prendre en compte les évolutions scientifiques et sociétales, cette loi a été révisée une première fois entre 2002 et 2004, et une deuxième fois en 2011. La France (comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie ou la Norvège) est marquée par un fort interventionnisme de l’État dans le domaine de l’AMP : non seulement l’État décide de «e qui est bon et utile pour l’homme»*, mais il assure également la prise en charge financière de ce nouveau mode de procréation. À l’opposé, aux États-Unis (mais aussi en Australie, au Brésil et en Thaïlande), l’État n’intervient pas ou très peu dans ce qu’il juge être du domaine privé. Partout, l’évolution de ces pratiques questionne non seulement les experts scientifiques et médicaux mais aussi l’ensemble de la société. La médecine doit-elle répondre à tout prix au désir d’enfant ? Au nom de quoi autoriser ou interdire l’identification des donneurs de gamètes, les FIV pour les couples homosexuels ou les «mères porteuses» ? Quels nouveaux modèles familiaux sommes-nous prêts à accepter ? Leurs évolutions doivent-elles être toutes encadrées par des lois ? Dans la loi votée à l’Assemblée nationale le 23 juin 2011, l’AMP reste réservée aux couples hétérosexuels et les «mères porteuses» ne sont toujours pas autorisées en France.

* Source : www.etatsgenerauxdelabioethique.fr

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