Sida et tuberculose : double épidémie au Cambodge

Au Cambodge, le bacille de la tuberculose et le virus du sida infectent conjointement plusieurs dizaines de milliers de personnes. A Phnom Penh, un hôpital prend en charge les malades affectés par cette double épidémie et un centre accueille leurs enfants. Reportage à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida.

Par Olivier Donnars, le 25/11/2008

Tuberculose et sida, un duo meurtrier

L'évolution de la prévalence du VIH

Au service de pneumologie de l'hôpital de l'amitié khméro-soviétique (AKS), le masque est obligatoire. Parler, tousser ou éternuer sans protection sur la bouche, c'est risquer de transmettre à son entourage le bacille de Koch, l'agent de la tuberculose. Dans cette unité, cent vingt personnes sont hospitalisées pour cette maladie qui affecte principalement les poumons. Dans le bâtiment voisin, se trouve le service des maladies infectieuses, où sont suivies les personnes atteintes par le VIH/sida. Il y a encore quelques années, les deux services entretenaient très peu de rapports entre eux. Les séropositifs pour le VIH n'étaient pas testés pour la tuberculose et vice versa. La raison ? Manque de moyens, manque de traitements et une méconnaissance sur l'association meurtrière des deux infections chez un même malade.

La tuberculose dans le monde

Pourtant, la tuberculose est la première et la plus meurtrière des maladies opportunistes chez les personnes atteintes par le VIH/sida : 20 à 35% des co-infectés en décèdent s'ils ne sont pas traités à temps. Les deux maladies entretiennent ensemble un jeu pernicieux. Le bacille profite de l'affaiblissement du système immunitaire des séropositifs pour se développer activement dans leurs poumons. Le VIH, quant à lui, accélère sa réplication, ce qui aggrave le déficit immunitaire et conduit inexorablement vers le sida. Au royaume du Cambodge, 0,7% des Cambodgiens sont porteurs du bacille de Koch actif et 9,6% des malades tuberculeux sont aussi séropositifs pour le VIH. Le Cambodge se situe au 21e rang mondial des pays les plus touchés par la tuberculose.

Pour en savoir plus sur la tuberculose

Comme un banal rhume, la tuberculose se propage par voie aérienne. Il suffit d'inhaler quelques germes projetés dans l'air pour que les poumons soient infectés. Cependant, dans un cas sur trois, le système immunitaire oppose un rempart au bacille qui peut rester des années tapi dans les poumons sous une forme latente. Le bacille s'active lorsque la défense immunitaire s'amenuise. La tuberculose pulmonaire est la forme la plus répandue. Mais lorsque le sujet est extrêmement immunodéprimé, comme chez quelqu'un vivant avec le VIH, la tuberculose peut évoluer vers des formes extra-pulmonaires et s'attaque à d'autres parties du corps comme l'épiderme, les intestins, les reins ou les parties génitales. En 2006, 14,4 millions de personnes dans le monde étaient touchées par la tuberculose dont 9,2 millions de nouveaux cas. 8% étaient co-infectés par le VIH.

Dépister et traiter ensemble les deux maladies

Depuis 2006, sous l'impulsion de deux ONG, Médecins sans frontières (MSF) et Cambodian Health Committee (CHC), l'offre de soins s'est cependant améliorée à l'hôpital AKS. Les deux infections sont désormais systématiquement dépistées. Avec l'aide de l'Organisation franco-cambodgienne de pneumologie (OFCP), le service de pneumologie s'est équipé d'un appareillage de bronchoscopie – le seul dans tout le Cambodge - afin de mieux diagnostiquer dans les poumons la tuberculose active. Les deux ONG se battent pour que les patients co-infectés reçoivent une trithérapie antirétrovirale (ARV) en plus de leurs quatre médicaments antituberculeux. En 2007, quarante-huit centres proposaient au Cambodge un accès gratuit aux antirétroviraux. Vingt-sept mille personnes sur quarante mille en bénéficiaient. Ce qui correspond à une couverture thérapeutique de 67%. Du côté des personnes co-infectées, 70% ont reçu un traitement antituberculeux et 35% des ARV.

Dans la plupart des co-infections, le traitement ARV débute après le traitement de l'infection opportuniste. Celui pour la tuberculose dure six mois. Trop long pour attendre la trithérapie. Mais associer les deux traitements n'est pas sans risque. Celui notamment de cumuler les effets secondaires liés à la toxicité des médicaments. Ce qui compromettrait toute la thérapie. Y a-t-il donc un meilleur moment pour conjuguer les deux ? C'est tout l'enjeu de l'essai clinique Cambodian Early versus Late Introduction of Antiretrovirals (CAMELIA) lancé en janvier 2006 à l'hôpital AKS même par l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et l'Institut national américain de santé (NIH). Son but : déterminer le moment le plus opportun pour débuter une trithérapie qui aura le moins d'effets secondaires chez des séropositifs sévèrement immunodéprimés sous traitement antituberculeux. Les 800 patients enrôlés reçoivent les ARV, soit après deux semaines, soit après deux mois de traitement antituberculeux. Les résultats de l'essai sont attendus courant 2009.

Des enfants infectés ou affectés par le VIH

Maddox Chivan Children Center

Dans les couloirs du service de pneumologie, on croise aussi des enfants. La plupart sont venus soutenir l'un de leurs parents hospitalisé ; quand ils ne sont pas eux-mêmes infectés par le VIH. Au Cambodge, plus d'un enfant sur dix vit d'une manière ou d'une autre avec le VIH. Soit parce qu'ils sont infectés par le virus du sida (4 400 enfants, selon les chiffres officiels), soit parce qu'ils sont "orphelins du sida", comme on les appelle ici, car ils ont vu mourir du sida ou de la tuberculose leur père ou leur mère, ou bien les deux. Soit encore parce que les parents sont malades et ne peuvent s'occuper d'eux ; dans ce cas, l'absence d'attention équivaut à un abandon.

Classe maternelle au centre Maddox

« Déscolarisés, stigmatisés, ils errent dans les grandes villes, travaillent de force pour aider la famille ou vivent dans des familles extrêmement déstructurées », explique Marie-Pierre Fernandez, psychologue et responsable du Maddox Chivan Children Center. Ouvert par le CHC en périphérie de Phnom Penh, grâce au soutien financier de l'actrice américaine Angelina Jolie, ce centre vient en aide à ces enfants, porteurs du virus pour un tiers d'entre eux. A son ouverture en janvier 2006, il accueillait 350 jeunes enfants et adolescents. Mais sa renommée a fait de lui un centre de référence dans tout le Cambodge et désormais 600 enfants y viennent tous les jours ou par demi-journée.

Prendre en compte les traumatismes

Consultation médicale

En plus d'une scolarité, les enfants trouvent dans ce centre d'accueil, prise en charge et suivi thérapeutique. Les enfants séropositifs sont examinés une fois par semaine par un médecin de l'hôpital AKS qui suit l'évolution de la maladie et vérifie la bonne observance de la trithérapie. Les enfants du centre Maddox font partie des 2540 petits Cambodgiens à bénéficier gratuitement d'ARV. Mais la particularité qui a fait la réputation du centre Maddox est de proposer un accompagnement psychologique. Pour Marie-Pierre Fernandez, « la prise en charge médicale ne serait rien sans une prise en charge psychologique. » Une fois par semaine, les enfants ont la possibilité d'exprimer à un psychologue leurs peurs et leurs questionnements sur leur avenir. Pour les plus petits qui ne peuvent clairement exprimer leurs angoisses, le psychologue a recours au dessin et à l'art thérapie pour les aider notamment à accompagner le deuil de leur famille.

En 2007, le virus du sida était présent chez 0,8% de la population cambodgienne. Ce qui correspond à environ 75 000 personnes, dont 47% de femmes. Les enfants représentaient 6% des personnes vivant avec le VIH dans ce pays de l'Asie du Sud-est parmi les plus touchés par l'épidémie de sida.

Olivier Donnars le 25/11/2008