Haïti : une victime du changement climatique ?

Gustav, Hanna, Ike... En deux semaines, trois ouragans majeurs ont dévasté Haïti, causant plusieurs centaines de morts. A l'heure où une nouvelle étude suggère un lien étroit entre le changement climatique et la violence des cyclones, une question émerge : le changement climatique est-il responsable du désastre haïtien ? Peut-être pas.

Par Viviane Thivent, le 08/09/2008

Un coupable tout désigné

Le 7 septembre, à Saint Marc, Haiti

Au début était Gustav, l'ouragan qui devait ébranler la Nouvelle-Orléans et la campagne présidentielle américaine. Un événement majeur, donc. Si important même que les médias en avaient presque oublié de signaler qu'avant de se dégonfler comme un ballon de baudruche sur les côtes américaines, Gustav avait fait une soixantaine de morts en Haïti. Aussi, quand une semaine plus tard survînt Hanna, ils se rattrapèrent en montrant en boucle les images de la catastrophe haïtienne. Puis vînt Ike pour alourdir un bilan qui s'élève désormais à plus de 200 morts.

Alors, et parce qu'il fallait bien expliquer cette série noire, on a pensé au changement climatique... Mais n'était-ce pas aller un peu vite en besogne ? « Ce que personne n'a relevé, explique Frank Roux du laboratoire d'aérologie de Toulouse et spécialiste des cyclones, c'est que Haïti n'est qu'une moitié d'île. Sur Hispaniola, il y a aussi la République Dominicaine, pays dont nul n'a parlé ces dernières semaines. Et pour cause : sur ce territoire, les passages successifs de Gustav, de Hanna et d'Ike n'ont fait aucune victime. »

Un cas d’école

Vue satellitaire d'une frontière entre Haïti (à gauche) et la République Dominicaine.

« En fait, en Haïti, l'un des pays les plus pauvres du monde, il n'y a plus un seul arbre », constate le chercheur. Résultat : l'énorme quantité d'eaux de pluie apportée par les cyclones s'est mise à ruisseler, engendrant glissements de terrain et coulées de boue. En République Dominicaine en revanche, la présence d'une forêt primaire a empêché ce type de phénomène. « Ce qui a tué tous ces gens en Haïti, ce n'est pas le changement climatique mais la déforestation et l'absence de toute gestion des sols. » Une photo satellitaire suffit à prendre la mesure de cette déforestation.

Peut-on écarter pour autant l'influence du changement climatique ? Comment expliquer en effet qu'en moins de trois semaines, trois cyclones majeurs aient traversé les Caraïbes et plus précisément Hispaniola ? « D'abord, parce que nous sommes en pleine saison des cyclones. Ensuite, parce que la position actuelle de l'anticyclone des Bermudes contraint leur trajectoire : les cyclones ne peuvent que traverser les Caraïbes et donc Hispaniola. » Le passage successif de ces cyclones au-dessus de Haïti tiendrait donc à une mauvaise configuration météorologique.

Des cyclones plus nombreux ? Plus violents ?

En outre, les prévisionnistes l'avaient annoncé : en 2008, l'activité cyclonique serait un peu plus élevée qu'à l'accoutumée, à cause de l'importante mousson qui, cette année, s'est abattue de l'autre côté de l'Atlantique, au-dessus de l'Afrique de l'Ouest. Une quinzaine d'ouragans sont ainsi attendus cette année dans le Golfe du Mexique, contre douze normalement. Mais ceci suffit-il à expliquer la violence de ces cyclones ? Difficile à dire. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est, à ce titre, explicite : "il est aujourd'hui impossible de dégager la moindre tendance concernant l'influence du changement climatique sur le nombre ou la violence des cyclones". Ce qui ne signifie pas pour autant l'absence d'impacts...

D'ailleurs, après avoir analysé des données satellitaires récoltées entre 1981 et 2006, une équipe américaine l'affirme dans la revue Nature* : que ce soit dans le bassin atlantique ou dans l'océan Indien, les ouragans les plus forts deviennent de plus en plus violents. La faute à l'élévation lente, mais certaine, de la température des océans. Des degrés supplémentaires qui suffiraient à augmenter de façon significative la vitesse des vents dans les cyclones les plus importants. « Ce travail est néanmoins très discuté, » avertit Frank Roux. S'il est vrai que depuis quelques années, les cyclones de l'Atlantique tropical gagnent en intensité, ce phénomène pourrait être complètement déconnecté du réchauffement global de la Terre.

D'après les archives climatiques en effet, cette montée en puissance serait plutôt liée à l'Oscillation Atlantique Multidécennale (AMO), un mécanime climatique ancien qui engendre, périodiquement, un réchauffement des eaux de l'Atlantique, tous les dix à trente ans, selon les cycles. Difficile alors de distinguer ce qui résulte du changement climatique ou de ce phénomène naturel. Le cas de l'océan Indien est, quant à lui, encore plus débattu que celui de l'Atlantique tropical. Pour beaucoup de chercheurs en effet, le nombre de cyclones qui se forment dans l'océan Indien est trop faible pour dégager une quelconque tendance. La question de l'impact du changement climatique sur les cyclones semble donc loin d'être résolue.

* J. Elsner et al, Nature, 4 septembre 2008

Viviane Thivent le 08/09/2008