Mesures inédites - météorites au fond des mers

Pour la première fois, des chercheurs proposent une technique permettant d'estimer la taille de certaines météorites qui se sont écrasées sur Terre. Outre le fait qu'elle pourrait conduire à la découverte d'autres impacts, cette avancée permettrait de mieux étudier les relations entre les impacts météoritiques et les extinctions d'espèces.

Par Viviane Thivent, le 18/04/2008

Une recherche de taille

Assistez aux conséquences de l'entrée d'un bolide dans l'atmosphère terrestre

Il fallait que l'idée vienne d'une île perdue dans l'océan... Des chercheurs basés à Honolulu (Hawaï), aidés de confrères américains de l'université de Woods Hole (Massachusetts), affirment qu'en analysant des sédiments prélevés dans les fonds océaniques, il serait possible de déterminer la taille de certaines des météorites qui se sont écrasées sur Terre (Science, 11 avril 2008). Une première, s'enorgueillit François Paquay, un Belge échoué en Polynésie et co-auteur du travail.

Jusqu'à présent en effet, pour tenter d'estimer la taille d'une météorite, les scientifiques ne disposaient que de deux options. La première consistait à étudier les cratères d'impact. Une approche plus ardue qu'il n'y paraît. Le diamètre du cratère dépend en effet aussi bien de la taille de la météorite que de sa vitesse au moment de l'impact. De plus, cette technique n'est applicable que si le cratère est visible… un petit miracle en soi quand on sait que 70% du globe est couvert par des océans et que la surface terrestre est remodelée en permanence par l'érosion, la végétation ou le mouvement des plaques tectoniques.

D'où la seconde option, basée sur l'étude de l'iridium, un métal lourd qui s'est concentré au coeur de la Terre lors de la formation du globe. De fait, on ne le trouve en surface que s'il a été acheminé par les météorites. Problème : pour un même impact, les concentrations d'iridium varient fortement d'un point à un autre. En conséquence, les chercheurs sont contraints d'utiliser des valeurs moyennes d'iridium. Une approximation qui ne leur donne qu'une idée très vague de la taille initiale de la météorite.

Traque dans l'océan

« Outre l'iridium, certaines météorites se distinguent par leur teneur en osmium », explique François Paquay. C'est le cas des chondrites, météorites pierreuses qui représentent 80% des corps percutant la Terre. Dans ces projectiles, le rapport entre les concentrations d'osmium 187 et d'osmium 188* est particulièrement faible, « bien plus faible que celui de l'eau de mer… indique le chercheur belge. Aussi, quand un bolide de nature chondritique frappe la Terre et se vaporise, une partie, au moins, de l'osmium qu'il contient se diffuse dans les océans, provoquant une diminution du rapport osmium187/188 des océans. »

Jetez un coup d'oeil aux résultats obtenus par les chercheurs

Cette modification est enregistrée dans les dépôts marins. Son ampleur étant liée à la quantité d'osmium apportée par la météorite, elle permet d'évaluer la taille du bolide. Partant de ce principe, les chercheurs ont donc étudié la composition, en osmium et en iridium, de carottes sédimentaires prélevées en deux points du globe dans le cadre de l'Ocean Drilling Program. Ils se sont plus particulièrement focalisés sur deux périodes de sédimentation durant lesquelles des météorites majeures ont frappé la Terre : celle de la limite crétacé tertiaire, il y a 65 millions d'années, et celle de la fin de l'éocène, il y a 35 millions d'années.
Conclusion : ces impacts ont effectivement été enregistrés dans les sédiments marins. L'étude des différents rapports isotopiques a, de plus, permis de calculer le diamètre initial des météorites.

* L'osmium 187 et l'osmium 188 sont deux formes (ou isotopes) stables de l'osmium, un métal gris bleuté.

Avancées et limites de la technique

Le cratère de Chicxulud, formé il y 65 millions d'années par une météorite majeure

« Il s'agit d'un progrès important, affirme François Paquay. Les météorites sont parfois associées à de grandes phases d'extinction biologique comme celle des dinosaures il y a 65 millions d'années. Mais dans les faits, leur lien avec ces événements reste obscur. » Ainsi, il y a 35 millions d'années, deux météorites de grande taille ont percuté la Terre sans engendrer la moindre extinction. « Connaître plus précisément la grosseur de ces projectiles permettra d'affiner les scénarios ».
Autre conséquence : le diamètre de la météorite tombée à la fin du crétacé - quelques centaines de milliers d'années avant l'extinction des dinosaures - n'excèderait pas 6 kilomètres. On est loin des 10 à 19 kilomètres de diamètre proposés jusqu'à présent. « Cet écart peut avoir plusieurs origines. Par exemple, une partie de l'osmium de cette météorite est restée piégée quelque part, ou encore ce bolide était plus petit que prévu. Il faudra de toute façon conduire des études complémentaires pour confirmer notre résultat. » Une prudence qui n'a pas empêché des spécialistes de la simulation, basés en Arizona, de commencer à plancher sur les conséquences d'une telle réduction de taille.

« Quoi qu'il en soit, cette nouvelle méthode devrait permettre de détecter un certain nombre d'impacts qui n'ont pu être identifié autrement ». Ceux par exemple qui ont eu lieu en mer. Reste deux limites à cette méthodologie : d'abord, elle ne peut pas s'appliquer sur des sédiments datant de plus de 70 millions d'années, car le signal devient difficile à interpréter. Ensuite, elle ne peut permettre de détecter que des météorites chondritiques, dont le diamètre est supérieur à deux kilomètres.

Viviane Thivent le 18/04/2008