AIDS 2012 : vers une stratégie de guérison

À travers son slogan, « prendre le tournant ensemble », la conférence internationale contre le sida 2012, qui s’est tenue à Washington du 22 au 27 juillet, a mis en avant une nouvelle stratégie de lutte contre la maladie : l'éradication du virus.

Par Gautier Cariou, le 30/07/2012

Pas moins de 25 000 participants étaient réunis à Washington, fin juillet, lors de la XIXe conférence internationale contre le sida. Objectif affiché : définir de nouvelles stratégies de recherche, mais aussi mobiliser des fonds pour mieux lutter contre la maladie.

Françoise Barré-Sinoussi à la conférence annuelle AIDS 2012

« On est à une étape bien particulière dans la recherche sur le VIH », constate la virologue Christine Rouzioux. Avec le « patient de Berlin » — seul cas de guérison connu —, ou encore « les contrôleurs du VIH » — personnes dont le système immunitaire est capable de contrôler le virus —, les chercheurs présents à la conférence entrevoient en effet la possibilité d’une éradication du virus sur le long terme.

Mais pas d’éradication sans financement. Et c'est là tout l'enjeu de Towards an HIV cure, un consortium créé sous l'impulsion de la prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi. Ce collectif de quarante chercheurs a pour ambition de « mobiliser des fonds et obtenir le soutien de la société civile, des institutions publiques et des industriels », explique Christine Rouzioux. Dans l'optique de l'éradication le consortium a annoncé une nouvelle stratégie de lutte contre le sida axée sur l’étude des réservoirs de virus latents ou encore l’effet des traitements précoces sur les séropositifs (cf. encadré : cohorte de Visconti). « Avec les antirétroviraux (ARV), les patients vivent bien et une certaine lassitude s'était installée auprès des investisseurs » constate la chercheuse pour qui ces nouvelles pistes de traitement devraient relancer l'intérêt des investisseurs dans la recherche contre le VIH.

La cohorte Visconti

La cohorte Visconti EP47 est un groupe de quinze patients séropositifs. Tous ont été traités très précocement — c’est-à-dire dans les dix premières semaines après infection — pendant une durée de trois ans environ avant d’interrompre complètement leur traitement. Résultat : chacun des patients infectés a réussi à contrôler le virus et à empêcher sa reproduction. Les mécanismes à l’origine de cette « guérison fonctionnelle » sont différents de ceux des « contrôleurs du VIH » (les individus naturellement immunisés) et restent à élucider. Cependant, les chercheurs pensent que cette capacité proviendrait du niveau extrêmement faible du réservoir viral.

Le Vorinostat, un anticancéreux qui repère les virus cachés

Formule du principe actif du Vorinostat

Depuis quelques années, le chercheur David Margolis et son équipe travaillent sur les effets d’anticancéreux sur les réservoirs de cellules latentes. Dans une publication parue dans Nature le 26 juillet, le chercheur montre que chez huit de ses patients séropositifs, la prise d’une dose unique de Vorinostat a permis de débusquer les virus « dormants ». Cette publication est encourageante mais d’autres équipes trouvent des résultats plus nuancés. Christine Rouzioux rappelle que « l’équipe de Siliciano [un virologue américain] a travaillé sur la même molécule et trouve que le médicament n’a aucun impact sur les cellules latentes. Notre équipe, quant à elle, a abouti à un résultat intermédiaire : le Vorinostat permet de débusquer une petite partie du virus latent tandis qu’une combinaison de plusieurs molécules s’avère plus efficace ». L'intérêt éventuel de cet anticancéreux réside dans le fait qu'une fois les virus « dormants » sortis de leur cache, ils se trouvent pleinement exposés aux traitements antirétroviraux classiques. D'où l'espoir d'une éradication complète du virus.

Les antirétroviraux toujours

La prise d’antirétroviraux, seuls médicaments efficaces aujourd’hui pour vivre avec le VIH, ne semble plus constituer la seule stratégie sur le long terme. Certes, les ARV prolongent la vie de plusieurs dizaines d'années et permettent de réduire le taux de transmission du virus. Mais ils ne guérissent pas du sida et une mauvaise observance de la part du patient peut mener à une augmentation de sa dose virale et à la progression de la maladie. De plus, les ARV ne permettent pas de recouvrer un système immunitaire normal.

Par ailleurs, même si 54 % des 15 millions de malades ont maintenant accès aux traitements dans les pays pauvres et à revenus intermédiaires, leur accès reste limité. Des chiffres qui peuvent être perçus comme un progrès par rapport aux années précédentes, mais insuffisants en soi.

Selon l’Onusida, 15,9 milliards de dollars ont été mis à disposition dans la lutte contre le VIH en 2009, soit 10 milliards de moins que le montant considéré comme nécessaire en 2010. Une réalité économique qui ne fait pas bon ménage avec la dynamique actuelle d’accès aux soins. Pour deux personnes qui tombent malade sur la planète, un seul patient accède à un traitement.

Sept objectifs pour une éradication

Pour Jean-François Delfraissy, directeur de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (Anrs), on aborde « un tournant » dans la recherche sur le VIH. Et la conférence de Washington en est le point de départ. Le consortium a ainsi défini sept objectifs axés autour de la compréhension du phénomène de latence du virus. Le but étant d'arriver soit à une cure virologique (élimination complète du virus dans l'organisme), soit à une cure fonctionnelle du virus (il reste dans l'organisme, mais notre système immunitaire peut le contrôler).

Prudence toutefois face à tout excès d'optimisme. « Il ne faut pas donner de faux espoirs, prévient Jean-François Delfraissy, ce travail de recherche s'établit sur le long terme. Il n'y aura aucune conséquence pratique pour les patients actuels, sauf peut-être en matière de dépistage pour un traitement plus rapide ».

Les sept objectifs de Towards an HIV cure

  • Étudier les mécanismes à l'origine du phénomène de l'infection latente.
  • Déterminer quels sont les tissus et cellules responsables de la persistance du virus (réservoirs).
  • Déterminer l'origine de l'activation immunitaire en présence d'antirétroviraux et leur conséquence sur la persistance du virus.
  • Déterminer les mécanismes immunitaires qui contrôlent l'infection, mais permettent la persistance virale.
  • Étudier, comparer et valider les essais pour mesurer la persistance.
  • Tester et développer des agents thérapeutiques ou des stratégies immunologiques pour éliminer sans danger l'infection latente d'individus sous antirétroviraux.
  • Développer et tester des stratégies pour améliorer la capacité du malade à contrôler la réplication virale.

 

Gautier Cariou le 30/07/2012