Survivre au cancer : des progrès contrastés

L’amélioration des taux de survie après un cancer fait l’objet d’un récent rapport de l’Inca et l’INVS : l’évolution est réelle mais modeste, y compris pour les tumeurs les mieux combattues comme celles du sein ou de la prostate. Alors que les avancées thérapeutiques peinent à se traduire dans les statistiques, le tabagisme fait craindre une multiplication des cancers du poumon dans les années à venir.

Par Barbara Vignaux, le 20/02/2013

Quatre auteurs, plus de 420.000 malades

Prudence : telle semble être la devise des auteurs du rapport Survie des personnes atteintes de cancer en France, 1989-2007, dont la deuxième édition vient de paraître. Réalisé dans le cadre du Plan cancer 2009-13, ce texte est le fruit de la collaboration entre l’INVS, l’Inca, le réseau Francim et les Hospices civils de Lyon. Il insiste sur le fait que les résultats sont fournis « tous stades de la maladie confondus », alors que les pronostics varient considérablement selon que la maladie est localisée ou métastasée. Et il refuse de livrer une estimation moyenne de survie après le cancer, arguant de « l’immense variabilité de la survie des 47 localisations de cancers analysées ». 

Une inégalité sexuelle marquée

Des inégalités hommes-femmes prononcées

La survie nette à dix ans, de fait, oscille entre 1 % pour le mésothéliome pleural (affectant la plèvre) et 93 % pour le cancer du testicule. À cet égard, la plus grande inégalité est d’ordre sexuel. En effet, les cancers de mauvais pronostic (survie nette à dix ans inférieur à 33 %) représentent 40 % des cancers chez les hommes contre 16 % parmi les femmes. A contrario, les cancers de bon pronostic (survie nette à dix ans supérieure à 66 %) représentent 52 % des cancers féminins et seulement 28 % des cancers masculins. Cela s’explique notamment par la fréquence plus élevée de cancers de très mauvais pronostic (poumon, œsophage, foie) chez l’homme, l’inverse étant vrai chez la femme (sein, thyroïde).

Une survie moyenne de 52 %

Dans son bilan de la situation française publié il y a quelques semaines, l’Inca retenait, sur la base des données du réseau Francim (France-cancer-incidence et mortalité), un taux de 52 % de survie relative à cinq ans. Ce chiffre réunit l’ensemble des cancers pour les patients diagnostiqués entre 1989 et 1997. Il masque une forte disparité entre hommes et femmes : 44 % chez les premiers, contre 63 % chez les secondes.

Diagnostic et thérapeutique

Évolution de la survie nette à 5 ans : comparaisons des périodes de diagnostic 1989-1991 et 2001-2004

L’amélioration globale de la survie « reflète l’efficacité de nouveaux médicaments comme Herceptin® contre le cancer du sein métastasique ou l’imatinib dans les LMC (leucémies myéloïdes chroniques), pour ne citer que deux exemples », explique Philippe-Jean Bousquet, médecin coordinateur du rapport pour l’Inca. Mais pas seulement : « C’est aussi le fruit d’une meilleure prise en charge générale, grâce à la définition collective des stratégies diagnostiques et thérapeutiques dans le cadre des réunions de concertation pluridisciplinaires ».

Cette amélioration globale demeure cependant modeste pour la plupart des localisations, d’où le ton prudent du rapport. S’agissant du sein (53.000 nouveaux cas en 2011), la survie nette à cinq ans est passée de 81 % en 1990 à 89 % en 2002 – et il reste, du fait de sa fréquence, la première cause de décès par cancer chez la femme. En revanche, les progrès sont sensibles pour la thyroïde, avec un taux de survie passé de 86 à 94 % au cours de la même période et surtout, pour les leucémies myoléïdes chroniques, avec un bond de 46 à 69 % en douze ans.

Pièges statistiques

Quant au cancer de la prostate, un des plus fréquents avec 71.000 nouveaux cas en 2011, « c’est un cas à part », explique le Dr Bousquet. La survie nette à cinq ans atteint 90 % en 2002, contre 70 % en 1990. Cette amélioration est en partie due à une prise en charge plus efficace, car plus précoce, grâce au dépistage par dosage du PSA (antigène prostatique spécifique). Mais elle traduit aussi l’allongement mécanique de la durée séparant le diagnostic, posé plus tôt, du décès : « C’est comme si on voyait arriver un événement en utilisant des jumelles plutôt que ses yeux, donc de plus loin ». Sur ce sujet, le médecin de l’Inca redit son scepticisme quant à un dépistage systématique, parfois évoqué : le traitement peut entraîner des effets secondaires très handicapants (incontinence ou impuissance) sans allonger la durée de vie de manière significative. 

À l’inverse, s’agissant des cancers invasifs du col utérin, la survie a légèrement diminué depuis 1989 pour passer de 68 % en 1990 à 64 % en 2002. C’est le résultat paradoxal d’un dépistage plus systématique par frottis et par conséquent, d’un diagnostic posé au stade des lésions précancéreuses. Les diagnostics au stade invasif sont donc moins nombreux, mais de pronostic plus sombre, car ils concernent des tumeurs non dépistées, souvent chez des femmes qui ne participent pas au dépistage.

Tabagisme, grand défi pour la prévention

Le Dr Bousquet signale enfin que la survie après cancer est peut-être supérieure à ce que reflètent les statistiques actuelles. En particulier, l’impact des thérapies ciblées, la dernière génération des traitements anticancéreux, n’est sans doute pas encore correctement mesuré à l’échelle nationale. Mais d’ores et déjà, ce spécialiste de santé publique s’inquiète du tabagisme croissant parmi les femmes et les jeunes. Faute de traitement efficace, le tabac – mais aussi l’alcool – sont à l’origine des cancers les plus mortifères (voies aérodigestives supérieures, appareil digestif). Or un récent sondage Ipsos/fondation Arc montre que, pour les Français, les facteurs comportementaux, environnementaux et héréditaires se valent et que, par conséquent, l’action individuelle ne constitue pas un levier efficace de lutte contre la maladie. « Il faut absolument modifier cette perception », insiste le médecin : 40 % des cancers sont liés au mode de vie et au comportement individuel. Un défi majeur pour la prévention en cancérologie.

Barbara Vignaux le 20/02/2013