Où sont les ressources mondiales de gaz de « schiste » ?

Les ressources seraient supérieures à celles du gaz conventionnel, estime l’AIE (Agence Internationale de l’Energie). Peut-être le double, ou plus, selon certains experts, soit plus de deux siècles de consommation. Ces ressources seraient localisées pour un tiers dans la zone Asie-Pacifique. La Chine posséderait les plus grosses réserves de gaz de « schiste » du monde. Par ailleurs, un quart de ces ressources mondiales se situerait en Amérique du Nord. Quant aux sous-sols du Moyen-Orient, des pays de l'ex-URSS, d'Amérique du Sud et d'Europe, ils abriteraient aussi des réserves non négligeables.

Or, déjà d'importants gisements de gaz et de pétrole non conventionnels sont exploitables dans les pays consommateurs eux-mêmes. Leur exploitation permettrait d’assurer, à ces pays, indépendance et sécurité des approvisionnements, ainsi que réduction à la fois des frais de transport (par gazoduc ou par navires méthaniers) et de traitement (liquéfaction).

En Chine, Total a conclu un accord avec la compagnie CNPC-PetroChina pour exploiter un gisement en Mongolie-Intérieure. Le groupe français entend surtout pousser sa stratégie de partenariats avec les trois ou quatre grands groupes chinois pour opérer ailleurs dans le monde. Selon les cas, Total apporte sa technologie ou la connaissance du terrain, comme en Afrique. Les Chinois, eux, font bénéficier de leurs forts atouts logistiques ou de leurs bonnes relations avec des pays délicats, comme c'est le cas avec Caracas, au Vénézuéla.

Aux Etats-Unis, la production de gaz de « schiste », pratiquement inexistante jusqu’en 2004, a ensuite rapidement augmentée. En 2011, elle représente 54% de la production de gaz et déjà plus de 17% de la consommation énergétique totale aux Etats-Unis, d’après le CAS (Centre d’Analyse Stratégique de Matignon). Comptant doubler leur production d'ici à 2035, ils seraient déjà le premier producteur mondial de gaz devant la Russie. Les réserves estimées correspondent à 110 ans de consommation.

Après ExxonMobil, BP, Total et Shell, le deuxième groupe pétrolier américain Chevron se lance lui aussi dans les gaz non conventionnels. En achetant le producteur américain de gaz de « schiste » Atlas Energy, Chevron obtient l'accès à l'un des plus grands gisements mondiaux de gaz de « schiste », Marcellus, en Pennsylvanie. 

Quelle problématique en Europe ?

Exploiter les gaz non conventionnels pourraient augmenter de 60 % les ressources européennes, selon le think-tank britannique EUCERS (European Center for Energy and resource Security). Cependant, les gouvernements hésitent à cause de leurs électeurs, les sociétés gazières à cause de leurs liens avec le russe Gazprom.

Les Russes s’inquiètent des projets des autres pays. Les projets russes d'exploitation des grandes réserves de gaz naturel sont extrêmement coûteux et pourraient être menacés si la production de gaz non conventionnels devait décoller en Europe. Leurs investissements dans le gazoduc ESPO et l’usine de gaz naturel liquéfié de Sakhaline pourraient être vains si la Chine, l’Australie et les autres pays de l’arc Pacifique venaient à développer leur propre industrie gazière. Ils ont donc envisagé d’investir eux-mêmes dans les compagnies gazières américaines avant de signer un accord de coopération avec Shell pour compenser la chute de demande de gaz en Europe.

Depuis peu, les compagnies manifestent davantage leur intérêt à l’égard de ces gaz non conventionnels susceptibles de devenir importants après 2020.

Des permis ont été pris en Suède par Shell, en Allemagne par ExxonMobil, en Pologne par presque tous les majors ainsi qu'en Lituanie. Des projets d'exploitation existent aussi au Royaume-Uni, au Danemark, au Pays-Bas, Italie du Nord et Espagne. Le consortium Gash (Gas shale) auquel participe IFP-Energies-nouvelles, vise à établir une cartographie des ressources européennes avec l’appui des compagnies pétrolières.

La Pologne, quant à elle, a signé 70 permis et réalisé la première fracturation hydraulique d’un puits de gaz de « schiste » en Europe, grâce à Halliburton. Le fort potentiel gazier du sous sol polonais pourrait la placer juste derrière la Norvège et la Russie au rang des fournisseurs de l’Union européenne. Un coup économique mais aussi diplomatique puisqu’il l’affranchirait des désideratas du géant Gazprom.

Une étude menée par l’Oxford Institute for Energy Studies montre que le coût d’exploitation et de développement des gaz non conventionnels serait 2 à 3 fois plus élevé en Europe, par rapport aux Etats-Unis, compte tenu des contraintes environnementales et d'une industrie parapétrolière moins développée.

Selon Jean François Cirelli, Président d'Eurogaz et de GDF-Suez : «les gaz de « schiste » ne se développeront pas autant en Europe qu’aux Etats-Unis». Plusieurs raisons à cela :

-   tout d’abord, la profondeur géologique est plus importante, ce qui nécessite l’emploi de matériel plus puissant et d’une plus grande quantité d’eau;

-   ensuite, le droit du travail et la régulation environnementale sont plus strictes, les taxes à payer plus élevées, notamment en matière de qualité des eaux;

-   d’autre-part, les services sont plus chers car ils bénéficient d’une concurrence moins présente;

-   la densité de population est plus forte;

-   enfin, les infrastructures telles les routes, les pipelines et les diverses installations sont elles aussi plus onéreuses.
Par ailleurs, ce coût est aussi supérieur à celui de l’exploitation du gaz conventionnel. Dans le plus optimiste des scenarii, d’après cette même étude, le prix du gaz non conventionnel est proche de celui du gaz russe et demeure supérieur au prix des gaz provenant d’Afrique et du Moyen-Orient.

Pour Rolland Vially, géologue à IFP-Energies-nouvelles, l'intérêt économique de la production du gaz de « schiste », dans un cadre de développement durable et en accord avec les populations, reste à démontrer. Dans tous les cas, leur développement n'en est qu'à ses débuts et va prendre du temps.