Tenir debout, marcher, c’est devenu un réflexe pour la plupart d’entre nous. Fruit de la sélection naturelle, la bipédie n’est pourtant pas acquise à la naissance et mobilise un système sensorimoteur complexe.

Comment l’homme est-il devenu bipède ? Quelles conséquences ce mode de locomotion a entraînées sur l’anatomie ? Comment le cerveau veille à notre équilibre ? Et comment les danseurs réinterprètent ce défi permanent ?


 Avec le soutien de la revue Pour la Science

Mars 2015

 

Bipédies : une histoire en marche

Brigitte Senut, paléontologue, professeur au département Histoire de la Terre, Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN).

"L'Équilibre : un sens renversant
Cycle de conférences"

"Bipédies : une histoire en marche
Avec Brigitte SENUT
paléontologue, professeur au département Histoire de la Terre, Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN)."

Brigitte Senut, paléontologue, professeur au département Histoire de la Terre, Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN).
-Merci d'être là et de m'accueillir à la Cité des sciences.
C'est un plaisir d'être là.
Je vais essayer d'aller un peu vite.
Ceci étant j'ai réduit mon PowerPoint car j'ai une obligation ce soir à laquelle je n'ai pas pu déroger.
Je vais vous parler des bipédies mais d'un point de vue paléontologique.
Vous savez que ce cycle sur l'équilibre est important car dans l'équilibre c'est à la fois du squelette, du cerveau, des yeux, la vision, les organes de stabilisation.
Du coup, nous, au niveau paléontologue, on est très pauvres car beaucoup de choses ne se fossilisent pas.
On n'a que des morceaux d'os, de dents, quelquefois des empreintes de pas et il faut faire parler du mieux que l'on peut les spécimens fossiles.
Heureusement, l'anatomie comparée nous aide.
Notre travail est avant tout un travail d'anatomie comparée, bien sûr avec l'actuel, mais il est évident que si vous voulez comprendre l'origine de la bipédie humaine, je dis bien de la bipédie humaine, il ne faut pas se limiter à une comparaison chimpanzé/homme comme on le fait très souvent.
Il est essentiel d'aller dans le temps pour voir comment les caractères qu'on va voir émerger chez les premiers hommes, ou les premiers hominidés, ont pu émerger dans un contexte paléontologique hominoïde.
Les homininés aujourd'hui regroupent tous les grands singes et l'homme dans ce contexte des hominoïdes très anciens.
Également, si on veut comprendre quelque chose à la locomotion, il ne faut pas se limiter à l'os, ni même aux muscles, ni même au cerveau.
Il faut aller beaucoup plus loin et inclure dans ce débat, dans ce discours, l'environnement.
Car vous ne bougez pas n'importe comment dans n'importe quel environnement.
C'est pour ça qu'en tant que paléontologue je me suis bien sûr intéressée au squelette, évidemment, mais je travaille aussi beaucoup sur les environnements fossiles car c'est ce qui nous permet aussi de confronter les données.
Si vous avez un animal qui grimpe aux arbres et qu'il n'y a pas d'arbres, vous êtes mal.
Il faut voir là où ça ne marche pas, sans mauvais jeu de mots.
Je vais vous emmener dans le passé et partir tout de suite avec quelques remarques pertinentes ou impertinentes pour certains.
La bipédie, c'est une histoire qui n'est pas seulement une histoire d'os.
Pour moi, c'est une histoire multifactorielle, surtout quand on parle de l'évolution de la bipédie ou de son origine.
Car cette évolution est liée à la fois à des caractères anatomiques.
Le foramen magnum, la position du trou qui sert à passer la moelle épinière et sur les bords duquel il y a deux articulations qui permettent d'articuler le crâne sur la colonne vertébrale, est utilisé depuis très longtemps comme le caractère-clé du crâne.
Or, on verra que ce n'est pas aussi clair que cela et qu'il y a un débat.
Ça c'est déjà quelque chose qui est important à remarquer.
Deux, actuellement, beaucoup de travaux sont faits sur la bipédie et sur les économies d'énergie lors de la marche.
Notamment, nos amis japonais ont montré que si l'on entraîne un macaque à marcher debout, la marche bipède ou quadrupède du macaque n'a pas le même coût énergétique.
La bipédie est moins énergétique, coûte moins, que la quadrupédie.
Il y a toute une série de travaux qui sont faits et développés plus récemment sur les chimpanzés toujours avec nos collègues japonais.
Ensuite, la bipédie peut être liée à des comportements très variés.
Ça peut être des comportements de dominance chez les grands singes mâles dominants, comme les gorilles par exemple.
Ça peut être des comportements de subsistance, de nourriture.
On va chercher des baies, se hisser sur les pattes, on va être bipède.
Mais ce n'est pas ce qui va engendrer une marche bipède forcément.
Enfin, il y a ces petits capucins, dont je vous ai mis la photo ici, ces petits singes sud-américains, qui, pour casser des noix, se mettent sur deux pattes, arrivent à supporter un caillou de deux fois leur poids au-dessus de la tête pour casser des noix.
À ce moment-là, ils vont être bipèdes de manière très limitée dans le temps.
En fait, ce que je voudrais vous préciser...
Tous ces caractères, pour nous paléontologues, il y a un facteur qui est fondamental.
Tous ces caractères évoluent dans un système...
Pardon, je suis mal latéralisée.
Qui s'effectue dans un espace-temps.
N'oubliez pas que le paléontologue vit dans la quatrième dimension et vous ne pouvez pas parler d'évolution sans considérer l'espace-temps.
Donc, environnement, anatomie, et espace-temps, c'est déjà pas mal pour travailler.
Tous les primates sont bipèdes.
Ça me fait hurler quelquefois quand je lis dans les journaux : "La bipédie n'est pas un bon caractère pour définir l'homme car tous les primates sont bipèdes."
Certes, les autruches sont bipèdes, certains dinosaures l'étaient.
Mais la marche sur deux pattes...
Il ne faut pas que je bouge en plus...
La marche sur deux pattes sur de longues distances, pendant longtemps, nous sommes, nous, les seuls à savoir le faire.
C'est pour ça que j'ai tendance à parler, depuis quelques années déjà, de bipédie de type humain.
Celle qui va engendrer une série de caractères morphosquelettiques que l'on va avoir, nous, que l'on va pouvoir observer chez les fossiles : l'allongement du membre inférieur, le raccourcissement du membre supérieur, éventuellement l'élargissement du cerveau, mais on sait pas encore très bien comment ça se passe au niveau fossile pour diriger tout ça.
Donc, même si tous les primates sont bipèdes, là j'ai mis un orang-outan, un gorille qui pose un peu, un autre gorille, un chimpanzé, un bonobo, ici le capucin, un gorille et, vous verrez tout à l'heure, un chimpanzé se déplaçant de manière bipède dans des niveaux aquatiques, mais ils utilisent un bâton, encore un gorille en train de se nourrir, un lémurien de Madagascar, mais vous verrez que ceux-ci utilisent leur queue.
D'ailleurs, comme les capucins, leur queue sert de stabilisateur.
Ici, vous avez un gibbon qui marche sur deux pattes.
Vous avez ici un autre lémurien.
Vous avez un petit Cercopithèque sur deux pattes.
Un chimpanzé en train de faire ses courses.
Un autre chimpanzé dans l'eau.
Et puis ici, deux bonobos qui marchent en bipédie.
Mais cette bipédie n'est pas la même que la nôtre et ne se fait jamais sur de longues distances pendant longtemps.
Vous êtes le seul à pouvoir faire des marathons et à pouvoir marcher pendant très longtemps.
Une chose que l'on retrouve beaucoup, beaucoup de médias s'en sont servi.
C'est cette fresque ici qui a été publiée en 1965 que l'on doit à Rudy Zallinger, qui était un illustrateur, pour un livre de Francis Clark Howell, un anthropologue de Berkeley.
Son livre s'appelait "L'Origine de l'homme" tout simplement.
Vous remarquerez qu'ici c'est la fresque totale.
Paradoxalement, souvent ce que l'on voit, c'est cette fresque qui a été déclinée sous plein d'aspects différents.
En fait, ça tient à une chose toute bête.
Les gens qui ont photographié la fresque ont oublié que cette fresque s'ouvrait.
Dans le livre original, la fresque s'ouvre et vous avez un déroulé global de la marche vers le progrès comme on l'appelait à l'époque.
C'était à la fois l'évolution de la bipédie mais c'était surtout une évolution de l'homme allant vers un homme extraordinaire, parfait, qui était nous.
C'était un contexte à la fois sociologique et un contexte du milieu de l'époque qui ont fait que cette marche vers le progrès a été publiée.
Ceci étant, le fait d'avoir oublié d'ouvrir les pages, on a réduit ça de manière très grave parce que du coup ça redonnait l'idée "chimpanzé ancêtre de l'homme".
Car le premier, là, a bigrement une tête de chimpanzé.
Ça a été décliné après dans beaucoup d'endroits.
En 1970, voilà ce qu'on pouvait dire.
Moi, j'utilisais déjà ça à l'époque.
J'avais rajouté les stades antérieurs.
En fait je les avais gardés.
Je n'avais pas du tout coupé ces stades antérieurs.
Ça a été utilisé par de nombreux collègues, par des groupes de musique comme les Doors ou Supertramp dans les années 1980.
Et ça a été décliné plus récemment par d'autres médias.
En 2005, j'ai été assez surprise de voir ça dans un journal économique américain.
Pour la première fois dans l'histoire de l'homme, on voyait la femme.
Mais c'est tout aussi faux que les autres.
Ce n'est pas une marche qui va arriver vers l'homme qui va être le premier de l'évolution.
Pas du tout.
En fait, cette fresque est mauvaise dans le sens où elle oublie les buissonnements évolutifs et le foisonnement d'espèces fossiles qui ont pu cohabiter.
C'est une représentation qui a fait une grande carrière mais pour les mauvaises raisons.
L'autre chose, ça c'est ce que j'avais à l'université en 1970, on vous parlait de l'homme qui apparaissait avec la savane.
Vous êtes censés être dans un milieu relativement forestier pour aller dans un milieu de savane.
L'homme se redressait pour aller vivre dans les milieux ouverts.
Là, il allait se relever au-dessus des herbes pour voir et surtout continuer à être debout et aller plus loin.
Or, aujourd'hui, on sait que cette hypothèse est fausse.
J'essaierai de vous montrer pourquoi tout à l'heure.
Enfin, je vous ai mis sur cette photo cette remarque très impertinente.
Parce que très souvent vous allez lire encore "l'homme descend du singe".
C'est certainement et même totalement faux.
"D'un singe", c'est beaucoup moins faux.
Je vous montre cela car il y a eu une époque, dans les années 1980, où certains collègues ont estimé que le chimpanzé était un descendant de l'homme et donc sa bipédie...
Il y aurait eu un bipède ancien qui serait revenu à quatre pattes.
Ceci étant, ça ne marche pas tout à fait comme ça.
Quelques remarques encore.
L'origine de la bipédie humaine, de type humain, est-elle terrestre, arboricole, aquatique ?
Je vous ai mis ici un résumé de ce qu'a fait un collègue américain récemment.
C'était mon vieux résumé des années 1980 mais c'est quasiment la même chose.
Il peut y avoir plusieurs types de locomoteurs à la base et surtout je crois qu'il faut ne pas oublier ce que je vous ai montré tout à l'heure sur la photo des bipédies, c'est que vous n'êtes jamais dans la nature, à part l'homme aujourd'hui, et encore parce que vous n'êtes pas 100 % bipède, vous êtes obligés de vous asseoir, de vous allonger, dans la nature un animal bipède est souvent grimpeur, coureur, sauteur, fait tout un tas de choses en même temps.
Est-ce que c'est une quadrupédie dans les arbres ?
Bah voilà.
Elles étaient neuves vos piles ?
Elles sont faiblardes.
Est-ce que c'est une quadrupédie dans les arbres ?
Est-ce une quadrupédie à terre ?
Est-ce qu'on marche comme les chimpanzés sur l'articulation des phalanges repliées ?
Va-t-on être à quatre pattes comme un babouin ?
Va-t-on se suspendre comme un gibbon, un orang-outan ?
Il y avait tout un tas d'hypothèses.
Une hypothèse qui a prévalu pendant longtemps, c'est une hypothèse qui nous vient surtout des médecins qui, dans un système comparatif, pendant très longtemps comparaient chimpanzé, babouin et homme.
L'homme effectivement était plus près du chimpanzé que du babouin pour tout un tas de caractères.
On a voulu essayer de montrer que le petit homme, en fait, c'était comme un petit chimpanzé qui se relevait.
Manque de bol si je puis dire, c'était forcément faux.
D'abord, ça ne pouvait pas être un babouin puisqu'on voit bien que les pattes avant et arrière sont de même taille.
Mais le petit humain, dès sa naissance, a déjà des membres inférieurs plus longs que les antérieurs.
Alors que chez les chimpanzés, c'est l'inverse.
Chez les orangs-outans, c'est l'inverse.
Chez les gorilles, c'est l'inverse.
Donc, on ne pouvait pas imaginer ça d'un petit chimpanzé qui va se redresser, qui mimait finalement l'origine de l'homme.
C'était complètement faux.
Et ça a duré assez longtemps...
On a trouvé ça pendant très longtemps dans les livres d'enseignement ou les encyclopédies.
Je voulais faire ici un petit point juste sur une personne, Lamarck.
Il a beaucoup été maltraité dans son travail.
Mais si vous lisez la "Philosophie zoologique", en 1809 Lamarck nous dit qu'il y avait un animal quadrumane, "quadrumane", dans les arbres qui, sous l'effet de la disparition de l'arbre, va devenir bimane au sol.
Je trouve que c'est une excellente, une très belle image d'une forme d'évolution de la bipédie de l'arbre au sol.
Malheureusement, beaucoup de gens ont oublié cette "Philosophie zoologique" qui nous apporte encore beaucoup.
Même si Lamarck ne pouvait pas comprendre les mécanismes, ce que pourra faire Darwin un peu plus tard, il a été quand même visionnaire, il a eu une certaine intuition dans tous ces domaines-là.
Après, toute une série d'écoles s'est formée avec Huxley, Kiev, Gregory...
L'ancêtre était du type chimpanzé, du type gibbon, on était suspendu, etc.
Il y a eu tous les modes de locomotion possibles comme modes ancestraux.
Juste avant d'aller plus au loin dans les fossiles, un petit peu d'anatomie comparée.
Si on compare un squelette d'homme et de chimpanzé, les grandes différences, on les voit, c'est dans la colonne vertébrale où on a quatre courbures, ce qui fait qu'on reste très...
Avec les disques intervertébraux à la colonne vertébrale qui vont venir amortir les chocs quand nous marchons.
Un bassin qui est court...
Je n'ai pas un bon feeling.
Un bassin court et large qui va venir retenir les viscères dans la marche bipède.
Alors que chez les chimpanzés, le bassin est long et étroit.
Les viscères sont maintenus par des sangles abdominales puissantes.
Enfin, vous avez les fémurs qui sont parallèles.
Puisque le bassin est élargi, pour rester mécaniquement efficace il faut réduire cet élargissement.
Donc, il va y avoir une sorte de rétrécissement au niveau du genou.
Donc, le fémur est incliné alors que chez les singes chez qui le bassin est vertical, les deux fémurs sont parallèles et c'est pour ça que quand vous voyez marcher un chimpanzé, il marche de cette manière-là parce que justement il ne peut pas faire ça.
Il ne peut pas serrer les genoux.
Ça ce sont les caractères de fond.
Et puis il y a le pied évidemment.
Pardon...
Le pied avec la voûte plantaire chez l'homme qui a une double courbure, transversale et longitudinale.
Quand vous marchez, vous pouvez amortir parfaitement toutes les aspérités, les chocs au sol.
Le chimpanzé n'a qu'une arche latérale.
Ce qui fait que quand il marche, il marche sur le côté des pieds.
Ce qui fait que quand il marche, il marche comme ça.
Voilà, c'est pas tout à fait ça, mais c'est un peu ça.
Je suis pas un bon chimpanzé mais ça le fait quand même.
Voilà en gros au niveau de la locomotion les principales différences.
Puis, une chose importante, le pied de l'homme n'est pas préhensile.
Le gros orteil est collé aux autres doigts de pied, alors que chez les chimpanzés, ou les orangs-outans, les mains comme les pieds sont préhensiles.
Je vous ai mis cette photo.
Ici, on voit une main, une main, un pied et un pied.
Vous voyez que les pieds sont pratiquement des mains préhensiles.
Donc, on a perdu cette faculté de pouvoir saisir avec les pieds.
Voilà en gros les grandes différences.
Maintenant, passons aux fossiles.
Les premières traces de bipédie humaine, si je puis dire, ou hominidé, on les doit à la découverte du fameux crâne de Taung en 1924, sur les carrières de Taung dans le Bechuanaland qui, aujourd'hui, fait partie de l'Afrique du Sud.
Ce sont des carrières de calcaire.
Voici Raymond Dart lors de la découverte.
C'était un médecin.
Il n'a pas découvert le crâne mais il l'a étudié.
Le voici quelques années après pour son anniversaire en 1985.
Ce crâne a été une révolution dans l'histoire de l'homme, de l'ancestralité car pour la première fois on avait un petit crâne qui n'avait pas les caractères classiques attendus.
Il avait des dents assez humaines et surtout un foramen placé en position centrale.
N'oubliez pas que dans le contexte de l'époque, on pensait encore que l'ancêtre devait se trouver en Asie.
Il y avait les grandes expéditions du médecin hollandais, Dubois, Eugène Dubois, à Java.
À Java, il a trouvé en 1892 les premiers restes d'Homo erectus, suivant là les traces de Haeckel qui pensait qu'on trouverait une sorte d'homme qui n'avait pas la parole, puis un homme debout, une sorte d'homme-singe debout, jusqu'à devenir un homme.
Et puis il y a eu après l'histoire du Piltdown en 1912 où il y a eu cette fraude scientifique puisque...
Je ne suis pas loin de penser que nos amis anglais étaient un peu jaloux de ne pas avoir d'hommes très anciens alors qu'on en trouvait partout, en Allemagne, en Asie, en France.
Du coup, ceci a fait basculer l'ancestralité de l'homme vers les milieux plus européens.
Jusqu'en 1924 où on vient en Afrique du Sud.
Je vous mets cette photo car l'opposition centrale du crâne a été remarquée, mais personne ne l'avait réellement décrite.
Le médecin anatomiste anglophone Wilfrid Le Gros Clark, en 1955, publie son livre sur l'origine de l'homme, sur l'évolution des primates et l'origine de l'homme.
Là, il va montrer, il va faire une mesure qui va rapporter la longueur d'un point-clé de positionnement du foramen à la longueur totale du crâne.
Il va voir un rapport et il va montrer que chez l'homme, le foramen magnum est plus au niveau central alors que chez les singes, il est plus en arrière.
Toutefois, il note en note infrapaginale, c'est comme les contrats d'assurance, il faut toujours regarder ces notes, parce que personne ne fait référence à ça...
J'ai été surprise de voir deux petites lignes à la base du texte disant : "Oui, mais chez l'homme actuel, il y a des différences entre les dolichocéphales, les hommes à crâne plutôt étroit, et ceux qui sont brachycéphales, donc à crâne plus large.
Donc, je ne peux pas dire que celui-là est plus bipède que l'autre, ce sont des hommes."
Il s'est rendu compte qu'il y avait quelque chose de variable dans cette affaire-là mais personne n'en a tenu compte, et pendant des décennies on est parti du principe que le foramen magnum placé vers le milieu c'était un caractère humain.
Vous verrez tout à l'heure pourquoi c'est peut-être plus complexe que ça.
On continue avec l'Afrique australe et, entre les années 1930 et 1960, beaucoup de découvertes d'Australopithèques, puisque l'enfant de Taung n'a eu ses heures de gloire qu'après la découverte d'un adulte car c'était un enfant.
Les anatomistes disaient : "Les enfants n'ont pas de caractères comme il faut, il faut un vrai adulte pour que ça marche vraiment."
C'est grâce à Mrs.
Ples, dont on a fêté l'anniversaire il y a quelques années en Afrique du Sud, grâce à la découverte de cette adulte quelques années après, que l'Australopithèque entrait dans notre histoire, dans l'histoire de l'homme et de nos ancêtres.
On en connaît des fragments de squelette.
Le bassin est large, court, donc bipède.
Tout le monde admettait que c'était bipède car le bassin était large et court.
Les fémurs avaient des formes plutôt humaines.
Donc, c'était des fémurs plutôt de type humain.
Donc, l'Australopithèque était bipède.
Et puis on a commencé à travailler à la fin des années 1970...
J'étais une des hérétiques de l'époque qui ont commencé à travailler sur le squelette du membre supérieur.
Je me suis aperçue que l'épaule, notamment l'omoplate, l'humérus, avaient des caractères qui n'étaient pas si humains que cela qui rappelaient plus les grands singes.
D'où l'idée que, finalement, il y avait une double locomotion, une double adaptation à une bipédie et un grimper arboricole.
Ce qui me fait particulièrement plaisir, c'est que la découverte de Little Foot par Ron Clarke il y a quelques années, puisqu'il faut remonter à 1985, d'ailleurs qui a pris un nom nouveau car on a ressuscité le nom d'Australopithecus prometheus pour cette découverte de Sterkfontein.
Le squelette montre des caractères d'adaptation au grimper arboricole.
Donc, ce n'était pas complètement fou d'y penser à l'époque.
Dans la suite des découvertes importantes, la gorge d'Olduvai.
En 1960, la gorge d'Olduvai a livré quelques pièces exceptionnelles.
Une mâchoire inférieure, une mandibule, associée à deux pariétaux, ça suffit pour un crâne, et des os des pieds, un pied et des os des mains.
Le pied notamment a été considéré comme un pied de bon bipède.
Or, depuis 4-5 ans maintenant, un certain nombre de collègues ne sont pas du tout sûrs que ce soit le pied d'un vrai bipède au final.
Il porterait aussi des marques d'arthrose assez marquée mais...
Considéré comme un jeune adulte à l'époque, s'il y a de l'arthrose très prononcée, c'est plus embêtant si c'est un jeune.
Donc, ça pose quelques soucis.
Les gens aujourd'hui ne sont pas d'accord.
Il y a une discussion là-dessus dans le milieu scientifique.
Ceci étant, il n'en reste pas moins que ce pied est quand même plus bipède car il n'a pas de gros orteil préhensile.
Mais il a des articulations, notamment au niveau du calcanéum et de l'astragale, qui rappellent un peu, sans être exactement, celui d'un grand singe.
Donc, probablement encore partiellement arboricole mais certainement beaucoup moins que ce qu'on a vu chez la bête de Sterkfontein précédemment.
En 1963...
J'essaie de faire quelque chose de chronologique dans les idées pour que vous voyiez les choses, les bousculements.
C'est à Sherwood Washburn, un zoologiste américain de Berkeley, que l'on doit l'idée que c'est le "knuckle walking", cette marche sur l'articulation des phalanges antérieures repliées des chimpanzés qui serait le modèle ancestral pour la bipédie humaine.
Le problème que l'on a avec ça, c'est que cette marche nécessite des stabilisations extrêmement particulières et précises que, jusqu'à présent, on n'a trouvées chez aucun reste fossile entre 20 millions d'années et quasiment l'actuel.
Donc, j'ai du mal à imaginer...
Surtout qu'on connaît bien les hominidés fossiles aujourd'hui, notamment les Australopithèques, on a des squelettes, des centaines de pièces.
Et on n'a aucun élément qui nous laisse supposer qu'il y ait eu une marche de ce type.
Donc, pour l'instant, j'ai tendance à l'écarter.
Enfin, en 1972, il faut marquer cette année comme une avancée fondamentale dans la connaissance de la locomotion des ancêtres de l'homme, car pour la première fois c'était une vraie monographie sur la locomotion et on n'était plus dans ce système où l'ancêtre de l'homme était forcément bipède.
De toute façon, il y a un moment où la bipédie n'est pas arrivée comme ça.
Il faut essayer de la maîtriser.
Là, on a commencé à voir des travaux d'anatomie comparée plus fine, entre fossiles, c'était très nouveau aussi, et aussi à aller plus loin dans le type de caractères.
Donc, c'est vraiment un ouvrage de John Robinson que l'on voit ici avec Robert Broom, le découvreur de Mrs.
Ples, l'Australopithèque de Sterkfontein, le premier Australopithèque, et John Robinson ici.
Enfin, une pièce de choix dans nos connaissances, c'est bien sûr Lucy.
Tout le monde connaît Lucy ici.
J'ai eu la chance de faire ma thèse sur Lucy et on doit cette découverte à trois messieurs que vous connaissez bien : Yves Coppens, Maurice Taieb et Don Johanson.
Ils ont un peu vieilli aujourd'hui.
Je me suis permis de mettre des photos de l'époque, c'est plus agréable...
Mais si, c'est plus gentil pour eux.
Lucy, c'est important car pour la première fois dans nos connaissances paléontologiques dans l'histoire de l'homme, on a un squelette qui est à 40 % complet.
Si vous vous replacez en 1974, à l'époque on n'avait que les Néanderthaliens dont on connaissait des squelettes complets.
Il n'y avait pratiquement rien entre 3 millions d'années et 50 000 ans.
À l'époque, on datait les Néanderthaliens de 50 000 ans.
Ça a été fondamental pour nous car on pouvait voir les proportions du corps, comment Lucy et ses congénères marchaient.
Ça a donné lieu à beaucoup de discussions avec nos collègues américains.
Globalement, Lucy était une bipède.
C'est clair dans son bassin.
C'est clair dans son fémur.
C'est moins clair dans son genou.
Ça c'est le travail de Christine Tardieu que vous entendrez la semaine prochaine, je crois.
C'est bien moins clair dans son membre supérieur.
Donc, Lucy, une fois encore, c'est une petite bonne femme qui va marcher sur deux pattes mais à côté de ça, elle va avoir des membres supérieurs, que je vous montre tout de suite, qui sont plus orientés vers le grimper arboricole.
Un autre caractère clair sur le bassin, c'est ce grand muscle qui vient du haut du bassin et qui remonte jusque sur la nuque, ce grand dorsal comme on l'appelle.
Il est intéressant car chez le chimpanzé il est très large dans son insertion sur le bassin et très petit chez l'homme.
C'est un muscle qui sert à élever le bras et le thorax.
Quand on grimpe, c'est un muscle très important.
Chez Lucy, l'insertion de ce muscle n'est pas aussi large que chez un chimpanzé mais plus large que chez un homme.
Donc, on suppose que son gril dorsal a une possibilité d'être soulevé, je ne dirais pas plus aisément, mais plus fréquemment avec ce muscle...
Enfin, un des muscles car c'est toujours un complexe fonctionnel, là je raccourcis beaucoup.
En tout cas, c'est un des caractères importants dans la reconstitution de la locomotion de Lucy.
Les membres supérieurs...
Voilà l'humérus notamment, comparé à celui d'un homme.
Voici l'omoplate.
Lucy, pour ses angulations, pour l'orientation de sa tête, de l'humérus, pour la stabilisation de son coude, elle ressemble beaucoup à des grands singes.
Elle a à la fois un membre inférieur relativement bipède, avec un genou pas aussi bien stabilisé que ça, mais des membres supérieurs adaptés au grimper arboricole.
Avec ceci en plus, le rapport intermembral montre que son membre supérieur était légèrement plus long par rapport aux membres inférieurs qu'il ne l'est chez nous.
Donc, il y a un système, un mode, locomoteur différent du nôtre, comme il est différent du chimpanzé.
C'est aussi ce que je voulais dire.
Il ne faut surtout pas essayer d'imaginer un animal actuel comme modèle car aucun animal actuel n'a ce modèle.
Cette dualité de locomotion partielle, on ne l'a pas aujourd'hui.
C'est pour ça qu'il y a eu des débats très violents, très intenses, car les gens avaient des modèles.
Or, le modèle ne pourra venir que du passé.
D'où l'intérêt de travailler sur les périodes antérieures pour voir, enregistrer les possibilités de bipédie, de grimper, de marche, peut-être de saut, etc.
La cerise sur le gâteau avec Lucy est qu'au départ, Lucy était censée être dans la savane.
Ça, ce sont les travaux faits par l'équipe de Coppens notamment mais aussi de Raymonde Bonnefille au C.E.R.E.G.E., à l'époque ce n'était pas le C.E.R.E.G.E., à Marseille, sur les environnements, les pollens, et tous les gens de l'équipe Coppens qui travaillaient sur les faunes, qui ont montré que l'environnement n'était pas une savane.
Ce n'était pas une forêt dense.
C'était une forêt d'altitude.
Voici comment on l'a représentée.
Justement, c'est ce que je voulais vous dire.
Au départ, quand j'osais dire que Lucy était dans les arbres, on m'a dit : "Ça va pas, il n'y a pas d'arbres."
Et regardez.
Petit à petit, on la fait grimper dans des arbres magnifiques jusqu'à aller sur des environnements de plus en plus verts et de plus en plus forestiers.
Aujourd'hui, on sait que c'est la forêt d'altitude.
Ce n'est pas un milieu de savane sèche comme on a eu tendance à le dire trop souvent.
Fin des années 1970, découverte des traces de pas de Laetoli.
C'était aussi une grande chose.
Ces traces de pas de Laetoli sont importantes.
Malheureusement, je pense qu'il y a beaucoup de bémols.
Si vous regardez ces traces, des relevés ont été faits.
Les premiers relevés, on surcreusait.
On voit qu'on est sorti des traces.
Il y a eu quelques loupés dans les premières empreintes publiées.
Et il n'y a pas que de l'homme, il y a plein d'animaux : rhinocéros, oiseaux, bovidés, girafes, plein de choses.
On a dit que c'était des empreintes de type humain car on voit que les zones de pression sont équivalentes à celles de l'homme.
Sur le talon, au niveau de la voûte plantaire ici, à la base de l'orteil.
Suite à ce qu'on disait sur les Australopithèques, avec le pied, on disait : "Finalement, les Australopithèques ont eu un pied préhensile car ils ont un orteil un peu divergent."
Ça a fait le tour des journaux.
Manque de bol, si je puis dire, j'ai eu la chance, comme je travaillais dans le désert du Namib sur de la stratigraphie de dunes, c'est un autre travail complètement différent des singes...
Dans des pannes inter-dunaires, j'ai trouvé dans la boue sèche de l'homme actuel.
Pardon, il est là.
Cet homme actuel a un pied tout à fait correct.
C'est une empreinte de pied comme on en rêverait.
Il a glissé dans la boue et vous voyez que ses orteils se sont allongés.
Le gros orteil est devenu un peu divergent.
En bout de piste, l'empreinte était un peu abimée et on se retrouvait dans une configuration proche de celle de Laetoli.
Ça veut dire qu'à ce jour, je ne peux pas vous dire que les traces de pas de Laetoli ont été faites par un Australopithèque ou un être plus évolué.
Tout ce que je peux vous dire c'est que c'était un hominidé qui était en tout cas bipède.
Mais on ne peut pas dire ce qu'il était réellement.
J'ai un collègue américain, Russell Tuttle, qui a travaillé sur 420 Amérindiens modernes qui ne portent pas de chaussures.
Effectivement, il a trouvé des empreintes de pas tout à fait similaires à celles de Laetoli.
C'est important...
Voilà des travaux hyper précis faits en faisant marcher, en repérant les empreintes, la profondeur de l'empreinte dans le substrat, etc.
Mais en fonction de l'endroit où vous marchez, si c'est du sable mouillé, sec, ou de la boue, vous n'aurez pas les mêmes empreintes, forcément.
Car le substrat va avoir aussi un effet modélisateur, réducteur quelque part de votre empreinte.
Il va aussi modifier votre empreinte.
Souvent, des gens disent : "On a marché là, c'était humide, ça va."
Non.
Quand les Australopithèques marchaient, d'abord ils ne marchaient pas dans un labo où c'était plat.
Il y avait des cailloux.
Oui, je pense qu'à l'époque il n'y avait pas ça.
Ils ne marchaient pas sur du ciment mais sur des milieux plus grossiers.
Par ailleurs, ils ont marché après qu'il y a eu une éruption volcanique et de la pluie.
Ça veut dire...
Vous savez que les laves...
Vous ne savez peut-être pas, mais quand les laves se délitent, s'érodent elles deviennent plus argileuses et si vous mouillez par dessus, vous avez toutes les chances de déraper.
Donc, l'allongement des orteils comme ça a été montré, ce n'est pas dû au fait que les orteils de l'Australopithèque seraient plus longs.
C'est que les êtres ont probablement glissé en marchant dans cette argile humide.
C'est un travail qu'il faut faire de manière plus précise avec des géologues et des sédimentologues car ça nous donnera une autre information sur ces empreintes.
Enfin, en 1995, le site de Kanapoi, dans le sud-ouest du lac Turkana.
Un site qui avait livré en 1965 à Bryan Patterson...
Une expédition britannique qui n'avait trouvé à l'époque qu'un humérus.
Ces nouvelles expéditions ont livré un tibia et des fragments de mâchoire.
Mais le tibia est important.
Il est en deux morceaux.
J'ai mis la partie supérieure.
Voici sa reconstitution par un collègue de Cleveland.
Une chose me fait hurler là-dedans.
On nous dit que c'est bipède, que cet être à Kanapoi est bipède mais qu'il a un gros orteil préhensile.
Mais on ne connaît pas le pied.
On l'a mis préhensile, on l'a mis dégagé tout simplement car on pensait que Laetoli c'était un Australopithèque qui avait un orteil écarté.
Donc, on l'a reconstitué avec un orteil écarté.
Et ça traîne partout que les Australopithèques ont les orteils écartés.
Mais rien aujourd'hui ne le confirme à la vue des données que nous avons.
Là on a fait, j'allais dire presque une chimère car on a reconstitué un pied alors qu'on n'avait pas les éléments.
Il faut être très prudent avec toutes ces choses-là.
Pour moi, aujourd'hui, je peux vous dire qu'il y a un être très humain, certainement.
Le tibia est très humain, l'humérus aussi.
Mais après ça, je ne peux pas aller plus loin.
Enfin, en 2006, un de nos anciens étudiants, Alemseged Zeresenay, travaille sur les gisements de Dikika en Éthiopie et trouve une petite fille de 3,5-3,4 millions d'années.
Cette petite fille vient nous montrer, confirmer, que les Australopithèques étaient bien à la fois bipèdes et arboricoles.
L'épaule, c'est clair.
Le fémur, c'est clair.
La partie supérieure, c'est clair.
On a pu confirmer que les Australopithèques ont des caractères d'adaptation au grimper chez les adultes mais aussi chez les enfants.
C'est important.
Même chose chez Woranso-Mille, une découverte plus récente.
Vous allez lire dans les journaux que c'est le premier bipède reconnu, etc.
3,6 millions d'années.
Quand on voit l'épaule, ce n'est pas vraiment une omoplate d'homme.
Elle est beaucoup plus étroite et rappelle plus un animal à mouvement vers le haut.
La partie distale du fémur n'a pas la stabilisation que l'on a chez l'homme.
Donc, ce n'est pas tout à fait comme Lucy.
C'est peut-être une autre forme de bipédie mais on ne peut pas, a priori, rejeter une possibilité de grimper arboricole aussi chez ce squelette.
Il semble bien qu'il y ait plusieurs types de bipédie dans le passé.
Aux alentours de 3-4 millions d'années.
Et que certains ont été plus grimpeurs, d'autres un peu moins.
Mais pour l'instant, on ne peut pas aller plus loin en l'absence d'éléments plus précis des pieds et des mains.
Car si vous grimpez, vous avez aussi la saisie.
Il y aura tout un travail à faire sur la saisie dans les arbres.
Plus récemment, la découverte de Malapa avec les Australopithèques sediba, 2 millions d'années.
On est bien plus jeune.
Mais ce qui est important, c'est que sediba a des caractères sur le crâne qui sont à la fois Australopithèque et un peu Homo.
Mais dans ce membre supérieur, il y a toujours des caractères d'adaptation au grimper.
Ça a été décrit par les auteurs, j'ai vu le matériel, je suis convaincue.
On a là un autre style de bipédie.
Le bassin est beaucoup plus ferme, bipède j'allais dire, que les autres.
Mais il a encore des adaptations à la bipédie.
Ils vivent en grotte.
Utilise-t-on des figuiers pour sortir des grottes ?
Des lianes de figuiers.
Possible.
Là c'est tout un travail à faire de comparaison.
Enfin, je vais vous montrer...
Ça va.
Les bipédies...
Les plus anciens hominidés puisqu'on descend maintenant à 6 millions d'années avec les découvertes que nous avons faites au Kenya dans cette région magnifique des collines Tugen près du bassin du lac Baringo.
Juste un petit point de détail.
Même si vous n'êtes pas géologues, c'est magnifique.
Vous lisez toutes les couches.
Il suffit de regarder pour savoir où vous êtes, c'est extraordinaire.
C'est vraiment magnifique.
Très bien calibré par les datations puisqu'on a des laves en bas, au sommet.
Et on a plusieurs niveaux à l'intérieur et du paléomagnétisme possible.
Donc, mesures internes par le paléomagnétisme.
On a trois niveaux à hominidés dont les plus riches sont celui de Kapsomin et de Cheboite.
La plupart de ces matériels a été trouvée à Kapsomin d'où proviennent d'ailleurs les deux plus grands fémurs.
La locomotion d'Orrorin a été très discutée.
Quand on l'a annoncée, un collègue américain a tout de suite donné des interviews en disant : "Je jure que c'est du chimpanzé."
Puis, quatre ans après, il fait un papier sur l'origine de la bipédie.
Que cite-t-il comme plus ancien bipède ?
Notre travail.
Mais là il n'a pas fait de conférence de presse.
Ça fait partie du petit jeu franco-américain.
Ce qui est important, je ne vais pas tout détailler, mais c'est important.
Vous voyez un chimpanzé à peu près de même taille qu'Orrorin, cassé de la même manière.
En fait, il a été bouffé comme Orrorin.
Ici, il y a un col très court chez le chimpanzé.
Alors qu'il est très long chez l'homme.
Ici, il y a une très grande fosse qui n'existe pas chez l'homme.
Chez l'homme, c'est très peu profond.
Enfin, si vous regardez la longueur de l'os, vous voyez qu'ici on n'a pas encore atteint l'ouverture du fémur vers le genou.
Alors qu'ici on y est déjà.
Ça veut donc dire que le fémur d'Orrorin à taille équivalente à celle d'un chimpanzé est déjà plus long.
Dans l'histoire de la bipédie, un des caractères importants c'est l'allongement du membre inférieur et notamment, un des premiers éléments, c'est l'allongement du fémur.
Donc, ça c'était très réconfortant.
Il y a d'autres caractères, musculaires, etc.
Je ne vais pas en parler, ça serait trop long.
Après, on a fait les scans.
Quand on les a faits, on s'est aperçu que la base du col ici est très épaisse en cortical et très fine au sommet.
Ça nous a rappelé un travail fait par des collègues américains, des biomécaniciens, travaillant sur le chimpanzé, l'homme et Lucy.
Ils ont montré qu'à la base du col, chez l'homme et chez Lucy il y avait renforcement de la corticale, elle était épaisse, alors qu'elle était beaucoup plus réduite au sommet.
Chez le chimpanzé, presque pareil sur tout le pourtour.
Ça nous confirmait qu'il y avait un support du poids sur le fémur qui était transmis au niveau du col.
C'est important car quand vous vieillissez, que votre col perd sa corticale, vous avez une perte liée à l'ostéoporose.
Il suffit que vous vous cogniez pour casser votre col.
Cette chose-là est importante au niveau de la locomotion.
C'est un peu comme quand vous faites un pont.
Ce n'est jamais une table de pont avec des piliers.
Vous avez des renforcements de pilier.
Et ces renforcements de pilier, c'est la corticale que l'on voit dans le col fémoral.
C'est la même chose.
À côté de ça, on a une phalange du pouce, la dernière, qui vous paraît peut-être peu de chose.
La voici comparée à un chimpanzé.
Ce n'est pas du tout la même chose.
La phalange du pouce est très humaine.
Les caractères qu'on voit sur cette phalange, certains collègues qui travaillaient là-dessus nous disent : "Finalement, les caractères de la phalange..."
Ils ont décrit ces caractères chez des Australopithèques en disant : "Ces caractères sont liés à la manipulation d'outils."
Quand on a vu ça, on s'est dit : "Il y a 6 millions d'années, les outils on connaît pas.
Ça va faire désordre dans la famille."
Avec Dominique Gommery, un jeune collègue, on a repris toute l'étude de la phalange sur des dizaines de primates, primates hominoïdes, Cercopithèques, etc.
On a montré que ces caractères ne sont pas liés à la manipulation d'outils.
Ils sont liés à la saisie de précision, la saisie fine.
Si vous imaginez un animal comme Orrorin qui est bipède certes, mais dont l'humérus et une autre phalange de la main montrent qu'il était en partie dans les arbres, cette phalange est importante car comme il est déjà plus gros qu'un chimpanzé, et en proportion différentielle, différent aussi dans ses proportions de Lucy, il ne grimpe pas de la même manière.
Il doit certainement devoir assurer ses saisies lors du grimper dans les arbres.
Je pense comme un certain nombre de mes collègues, on l'a signé ainsi, c'est passé comme ça, qu'en fait cette saisie fine qu'on voit avec la bipédie, elle a été conservée et c'est ce qui donnera la faculté à manipuler des outils ultérieurement.
Quand vous manipulez, vous avez besoin aussi de manipulation fine, de saisie fine.
C'est certainement une préadaptation, une exaptation comme on dit, pour les outils ultérieurement.
Là c'est certainement un grimper avec saisie fine.
Pour qu'il grimpe, il doit y avoir des arbres.
On n'a aucun problème.
La faune est dominée par les colobes.
On a des crânes, plein de mâchoires, pas des colobes modernes.
On a des Galagidés, des petits bushbabies.
On a aussi des chauves-souris frugivores.
Il n'y a pas de soucis, il y a de l'arbre.
On a des civettes arboricoles.
À côté de ça, on a beaucoup de bêtes qui vivent dans les fourrés comme les impalas.
On a du chevrotain d'eau qui vit dans des milieux relativement humides.
On a aussi des girafes de forêt.
C'est donc un milieu humide.
Toutefois, les plantes nous donnent deux images.
Cette feuille ici très allongée avec une pointe d'égoutture très longue nous dit qu'il y avait de la pluie, qu'elle égouttait beaucoup.
Donc, il y avait des arbres.
Et celles-ci ici nous disent que c'était une forêt sempervirente sèche.
Une forêt verte toute l'année, mais un peu plus sèche.
Ceci étant, ce n'est pas gênant car on sait que les gisements où a été trouvé Orrorin sont près d'un lac.
Il se peut que les niveaux près du lac soient plus humides que ceux plus éloignés.
En tout cas, il y a de la forêt relativement dense pour avoir des chevrotains d'eau, des chauves-souris frugivores et des colobes.
Enfin, on a trouvé dans l'environnement beaucoup de calcaire.
Aujourd'hui, c'est sur les bords du lac Bogoria, à 40 km des gisements, que l'on voit ces grands geysers dans des eaux alcalines qui vont déposer de l'eau.
Celle-ci sèche et dépose le calcaire compris dedans.
Du coup, on explique très bien les os fossilisés dans du calcaire des gisements à Orrorin.
Un milieu qui ressemble un peu à Bogoria avec des montagnes moins hautes car la tectonique de 3 à 2 millions d'années n'avait pas joué.
Et une marge forestière bien plus intense pour du lac.
Ça donnerait une bonne image de l'environnement.
Maintenant, d'autres bipèdes.
D'autres bipèdes peut-être avec Toumaï.
Je ne vais pas m'étendre dessus mais la seule pierre d'achoppement pour moi, c'est le coup du foramen magnum car un travail récent a remesuré la distance de manière plus précise entre la base du foramen et la bicarotidienne.
Cette distance rapportée à la longueur du crâne, montre que sur un échantillon très large, plus d'une centaine d'hommes, à peu près 120 chimpanzés, on s'aperçoit qu'il y a un recouvrement des deux lignes de variation.
Ça veut dire qu'il faut être prudent avec les caractères quand on n'a pas de population fossile mais seulement un crâne.
Ça montre autre chose.
Des collègues allemands et suisses-allemands avaient montré dans les années 1960 que quand le crâne croît, lorsque les parties postérieures croissent, les os pariétaux, temporaux, il a tendance lors de la croissance à repousser le foramen vers l'avant.
Ce qui fait que la position du foramen est liée à la locomotion mais aussi à l'accroissement du cerveau, au développement du cerveau.
D'où la difficulté de pouvoir traiter de ce caractère avec un crâne isolé.
Autre chose encore plus troublante...
Voilà un homme, voilà un gorille.
Chez le gorille le foramen est à l'arrière.
Chez les Australopithèques, il est plus vers l'avant que chez l'homme.
Cependant, les Australopithèques ne sont pas plus bipèdes que l'homme.
Là, il y a vraiment quelque chose à travailler de manière fine pour savoir exactement quels sont les tenants et les aboutissants.
Pardon, dernière chose ici.
Ardipithecus kadabba, un Ardipithèque assez ancien, sa bipédie serait démontrée par une phalange de pied.
Et on dit que cette phalange ressemble à celle de Lucy.
Comme elle y ressemble, il serait bipède.
Problème, cette phalange est très incurvée comme chez Lucy.
Comme Lucy grimpait aux arbres et que la courbure de cette phalange peut laisser penser qu'elle grimpait aux arbres, on ne sait pas si ça s'applique en totalité ou juste pour le grimper.
On est prudents avec ce caractère.
Enfin, l'Ardipithecus ramidus, vous l'avez vu sous toutes ses coutures.
On a fait beaucoup de publicité dans les journaux et vous remarquerez que le squelette est là.
On en a fait un beau bipède.
Une chose tout de même.
Vous voyez le fémur ?
C'est un gros bout d'os assez robuste.
Quand il a été reconstitué, on en a fait un os allongé comme chez l'homme, très grêle.
Je ne suis pas du tout d'accord avec cette reconstitution.
Deuxième chose, on vous a fait des membres supérieurs très humains : l'épaule, le bras.
Ils ne sont pas conservés.
Enfin, on vous a fait une colonne vertébrale à quatre courbures mais on n'a que deux vertèbres.
Je ne sais pas faire quatre courbures avec deux vertèbres.
Tout ça pour dire que je pense que ce n'est pas tout à fait abouti et que cet être n'est pas bipède comme on voudrait le faire dire.
Quand on voit la morphologie de son pied, je pense qu'on a peut-être ici un des ancêtres des chimpanzés.
Mais c'est très hérétique dans le domaine.
Mais je vous le livre comme je l'ai.
Ceci étant, quand on regarde la main...
Voilà la phalange du pouce de l'Ardipithèque.
Voici Orrorin, voici le chimpanzé.
C'est pas du tout un pouce avec des saisies de type humain.
Donc, pour moi, ça fait partie d'une vulgarisation, d'une grande médiatisation mais il faudra certainement pouvoir travailler sur ce matériel car ça va nous apporter beaucoup de choses.
Enfin, une autre bipédie, celle de l'Oréopithèque.
L'Oréopithèque fut trouvé dans les années 1958 exactement.
On connaissait le genre depuis la fin du XIXe siècle puisque Geoffroy Saint-Hilaire l'avait travaillé.
Un squelette est tombé, je ne dirais pas du ciel, mais d'une plaque de lignite dans une mine où on exploitait le charbon en Toscane.
Ce squelette a la faculté d'avoir un bassin court et élargi, un membre supérieur très long et des fémurs qui ne sont pas du tout des fémurs d'hominidé.
J'ai vécu, dans ma jeunesse de chercheur, des réunions très violentes entre ceux qui disaient : "Il est complètement arboricole", "Non, il est terrestre."
Ça n'arrêtait pas.
Et puis la ré-étude d'un pied qui a été trouvé récemment, enfin qui était connu mais étudié dans les années 2000, a montré...
Voici le pied d'Oréopithèque, un pied humain et un pied de chimpanzé.
Il a montré que l'axe du calcanéum a un axe droit comme chez l'homme et pas du tout incliné comme chez le chimpanzé.
L'axe du pied qui passe par le deuxième doigt, comme chez l'homme, est parallèle.
Alors que chez le chimpanzé il y a une divergence.
Chimpanzé, il y a une courbure au pied.
Il marche sur le côté.
Là, il y a une stabilisation proche de celle de l'homme.
Mais ce n'est pas une morphologie humaine.
On suppose que sa bipédie était de ce style.
Je ne vais pas y arriver, je ne suis pas un bon bipède avec les mains.
C'est une bipédie en forme de mortaise, quelque chose de très particulier.
Mais chose intéressante, l'Oréopithèque vivait sur une île car la Toscane était une île.
Et les prédateurs de l'époque étaient des animaux piscivores.
Donc, ils n'ont pas mangé les singes.
Visiblement, il a pu remplir toutes les niches écologiques vacantes à la fois dans les arbres et au sol.
Son oreille interne qui a été travaillée il y a quelques années montre des rapprochements avec celles des grands singes arboricoles.
Il passait certainement une grande partie de son temps dans les arbres.
Mais la morphologie de son bassin comme du pied montre qu'il pouvait aussi être au sol.
Mais ce n'est pas une bipédie de type humain.
Il n'y a pas de voûte plantaire, pas de double arche et le gros orteil est très divergent.
On est dans un autre système de bipédie.
Un petit récapitulatif pour terminer, pour vous montrer ce qu'on connaît des squelettes dans le passé.
À 20 millions d'années, on a eu la première trace d'une vertèbre lombaire qui nous prouve un tronc redressé.
C'est avec l'Ougandapithèque.
Dans la littérature, vous la trouverez rapportée à Morotopithèque.
Ceci étant, ça ne peut pas être associé au matériel car c'est un jeune alors que l'autre bête est un adulte.
On ne peut pas les mettre ensemble.
Et on sait qu'il y avait sur ce site un deuxième genre qui est certainement le genre Ougandapithèque car il y a eu une confusion entre Morotopithèque et Afropithèque.
C'est un peu de la cuisine interne.
Les Afropithèques ne sont pas du tout grimpeurs.
Ce sont des animaux quadrupèdes arboricoles.
Ce n'est pas la même chose.
En tout cas, première trace d'un tronc redressé vers 20 millions d'années.
Grimper prouvé.
On a l'épaule, le tibia, des fémurs, des métatarses, des métacarpes, des phalanges, pas de souci.
Vers 18 millions d'années, on a des bêtes qui sont...
Une, très ancienne d'Égypte, c'est la seule connue en Égypte.
C'est un animal qui, visiblement, est arboricole, mais on ne peut pas en dire plus.
À la même époque au Kenya, on a un quadrupède arboricole, le Proconsul.
Puis, vers 15 millions d'années, on a, au Kenya toujours, un animal appelé le Nacholapithèque qui est à la fois quadrupède arboricole grimpeur, mais il faisait des ponts avec ses membres supérieurs comme on peut le voir dans la morphologie de l'épaule.
Enfin, vers 12 millions d'années, on a l'Otavipithèque de Namibie qui a des membres qui semblent, dans leur morphologie, rappeler des singes sud-américains.
Des animaux arboricoles qui font beaucoup de choses avec leurs membres supérieurs pour se hisser, etc.
Mais il a un atlas qui n'est pas distinguable de celui d'un bonobo.
On a vraiment des schémas très bizarres qu'on ne peut pas exploiter complètement car on n'a que ça pour le squelette.
C'est très limité.
Enfin, en Europe, si on regarde ce que l'on connaît dans des niveaux...
Ça c'est le Proconsul africain pour comparaison.
On a toute la série des Dryopithèques qui vont être assez proches de ce qu'on connaît chez les orangs-outans.
Et on a tous les Sivapithèques asiatiques qui sont des animaux plutôt arboricoles mais aussi probablement proches des orangs-outans tout en étant partiellement terrestres comme le montre, par exemple, sur l'humérus, la stabilisation du coude très marquée ici.
Enfin, on a des Dryopithèques arboricoles.
On l'a vu sur l'humérus et on le voit très bien sur le fémur aussi.
À côté de ces bêtes isolées...
L'Oréopithèque vous l'avez vu.
On a l'Hispanopithèque qui est très arboricole.
Des mains très longues, très crochues j'allais dire.
Des membres supérieurs très longs par rapport aux membres inférieurs.
On a le Pirolapithèque qui est aussi un animal très arboricole mais qui marche sur les paumes des mains et a des phalanges raccourcies, pas du tout des phalanges comme on va trouver chez les grimpeurs classiques.
On a toute une série de locomotions possibles mais on n'a pas là-dedans d'animaux terrestres à 100 %.
On a principalement des animaux arboricoles.
Donc, l'arboricolie semble être importante dans nos origines.
Je vous replace tout ça un peu dans le temps.
Voici ici les hominoïdes du miocène inférieur en Afrique.
Puis ils passent en Eurasie.
Puis ils s'éteignent d'Eurasie pour repasser en Afrique, pour venir en Afrique ou peut-être rester en Afrique selon les cas.
C'est là où on va trouver les premiers hominidés avec Orrorin, Toumaï peut-être, Ardipithèque peut-être.
Et les premiers chimpanzés et gorilles.
Tout ça est dû à un problème climatique.
Vers 20 millions d'années, l'Afrique est complètement tropicale.
Quand la calotte antarctique se met en place, des zones climatiques remontent vers le nord et les grands singes peuvent passer vers le nord.
Sachant que la tectonique va aider car l'Afrique va télescoper l'Eurasie.
C'est pour ça qu'on retrouve plein d'animaux en France, en Allemagne, de grands singes.
Vers 10 millions d'années environ, 8 millions d'années, la calotte arctique se met en place et elle va rééquilibrer ces ceintures et on va se retrouver dans la position actuelle.
Ça veut dire que l'origine de l'homme se fait certainement dans un milieu tropical.
Mais le lieu de l'origine de cet homme, de cet hominidé et de sa locomotion, c'est dans une zone intertropicale en train de bouger, de descendre vers le sud.
À l'heure actuelle, on ne peut pas vous dire où exactement.
Enfin, pour terminer, je voudrais vous préciser deux choses.
L'homme ne descend pas du singe, vous en étiez convaincus je pense.
Et la bipédie de type humain ne descend pas d'une bipédie chimpanzé.
Ça me fait râler car on voit toujours cette image du chimpanzé, de l'Australopithèque et de l'homme, et on a l'impression que le chimpanzé va se redresser pour donner l'homme.
C'est complètement faux.
Nous avons un ancêtre commun.
Le chimpanzé est parti sur sa voie, les hominidés sur leur voie.
Donc, je continue à travailler dans le miocène.
Enfin, beaucoup d'idées préconçues.
Là ce sont des reconstitutions des Ramapithèques dans les années 1970-1980 où on mettait des êtres debout avec des têtes de singe.
C'est clairement l'idée préconçue d'un certain nombre de chercheurs.
Ce qui nous a valu beaucoup de débats avec les créationnistes je pense.
À force de donner ces images dans les médias, on les reprend en pleine figure.
Ça c'est la reconstitution de l'Ardipithèque qui me rappelle étrangement la petite femelle de "La Planète des singes".
Donc, faites attention quand vous voyez des photos car dans l'imagerie populaire...
Actuellement on vit dans l'image et on ne retient que l'image et pas le discours, ce qui est dommage.
Pour terminer, je voudrais vous présenter cette photo qui a été donnée lors d'un colloque en Italie sur la préhistoire.
Pour la première fois, c'était en 1996, on voit...
Je n'étais pas d'accord avec ça car ils ont pris un chimpanzé.
C'est pas très grave.
C'était l'idée d'un ancêtre arboricole.
Mais ils l'ont mis à quatre pattes.
C'était inutile.
Quand le tronc est redressé quand vous venez au sol, vous avez deux options.
Vous vous mettez à quatre ou à deux pattes.
Avec le tronc redressé, il est plus économique de rester sur deux pattes.
En fait, je suis assez en phase avec ce que racontent certains de mes collègues biomécaniciens britanniques, un ancêtre arboricole assez généraliste qui va évoluer vers des possibilités extrêmement diversifiées en fonction du groupe.
Les hommes d'un côté, chimpanzés, gorilles, orangs-outans.
En fait nos locomotions ont évolué en parallèle en fonction des milieux certainement.
La dernière leçon, c'est nos grands singes qui vous la donnent.
Certainement pas ça, certainement pas ça, plutôt quelque chose d'un peu arboricole.
Voilà, merci.

La bipédie : des effets sur l’anatomie

Christine Tardieu, directeur de recherche, CNRS, Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN).

"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"L'équilibre, un sens renversant"
"La bipédie : des effets sur l'anatomie"
"Avec Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
Laboratoire d'anatomie comparée du Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN)."
Avec le soutien de Pour la science

Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Notre propos, aujourd'hui, c'est : la bipédie, quels effets sur l'anatomie ?
Vous imaginez bien que je vais vous parler d'anatomie du squelette en premier.
Du squelette vu de face ici, vu de profil.
Comme le thème de ces conférences porte sur l'équilibre, sachez déjà par cette image que c'est la vue de profil, on dit la vue sagittale du corps, qui va prêter le plus à des questions d'équilibre pour notre bipédie.
Ici, nous campons un peu le décor.
Nous appartenons à l'ordre des primates.
Tous les primates sont des arboricoles, sauf nous.
Vous voyez ici le macaque, un quadrupède indifférencié qui est dans les arbres.
Vous reconnaissez ensuite le gorille qui est devenu secondairement terrestre en lien avec des contraintes de poids très élevé.
Ici, vous voyez un chimpanzé qui grimpe aux arbres, qui se suspend, qui peut être bipède au sol.
Voici notre gorille.
Et avec l'orang-outan et le gibbon, ces primates forment le groupe que vous connaissez bien des grands singes.
Au sein des grands singes, le chimpanzé est notre plus proche parent.
Comme on va faire des comparaisons entre le squelette de l'homme et celui de primates, ce sera pour beaucoup des squelettes de grands singes, de chimpanzés et de gorilles en particulier.
Nous, nous ne sommes que bipèdes alors que tous les primates ont un répertoire locomoteur assez varié où ils peuvent associer le grimper, la suspension, et ils sont presque tous occasionnellement bipèdes, pas du tout bipèdes fréquents, mais occasionnellement bipèdes.
Vous voyez aussi sur cette image que le bassin et les membres inférieurs sont recouverts en transparence de la musculature.
Il est vrai que ça n'a pas beaucoup de sens de ne parler que du squelette si on ne parle pas de la musculature qui est associée car les muscles mobilisent le squelette.
Dans mon exposé, je ne parlerai pas beaucoup de muscles, vous pourrez me poser des questions après, j'ai des images complémentaires.
Nous sommes les seuls à être exclusivement terrestres et bipèdes de façon permanente.
Pour parler de l'adaptation de notre squelette à la bipédie, on peut parler de deux processus qui ont été à l'œuvre, que j'appelle d'une part l'œuvre d'hier.
L'œuvre d'hier, la part de l'héritage : comment, en tant qu'espèce, nous sommes devenus bipèdes.
C'est le temps long de l'évolution.
Nous sommes dans le cadre de l'évolution darwinienne, c'est des millions d'années d'évolution.
Et en deuxième processus, il faut parler de l'œuvre d'aujourd'hui.
Comment le petit d'homme, quand il se met debout et apprend à marcher, fait face à un défi très fort, celui de l'équilibre bipède.
Pour ce faire, il doit remodeler son squelette.
Tout d'abord : l'héritage de la sélection naturelle ?
Qu'ont fait nos gènes ?
On va voir qu'il y a 4 modifications essentielles qui se sont produites.
En premier, regardez en haut, la première modification concerne le port de la tête.
Vous voyez que pour avoir le regard horizontal, ici, macaque, gorille et homme n'ont pas un positionnement du crâne sur la colonne cervicale qui est semblable.
Premièrement, le port de la tête.
Ensuite, on parlera beaucoup du bassin parce que le bassin est une pièce essentielle pour se tenir debout et il a été beaucoup modifié de façon très subtile.
Quand on parle du bassin, de façon associée, on parlera de façon assez subtile des courbures vertébrales aussi et du rachis.
On verra que bassin et cage thoracique ont été modifiés de façon un peu parallèle par la sélection naturelle.
On parlera du pied, bien sûr.
Et enfin, en quatrième partie, on parlera des proportions corporelles.
Vous voyez sur cette image qu'entre le macaque, qui a des membres inférieurs et postérieurs à peu près égaux, et le gorille qui a des bras gigantesques nous, nous sommes encore bien différents, avec nos grandes jambes.
Tout d'abord, le port de la tête.
Comment se place l'attache du crâne sur la colonne vertébrale ?
Vous voyez que la colonne cervicale du gorille est penchée, que la nôtre est plutôt en rectitude.
En fait, l'attache du crâne sur la colonne cervicale se situe au niveau de ce qu'on appelle le trou occipital.
Il y a deux condyles occipitaux sur lesquels s'équilibre la première vertèbre cervicale, et ce trou occipital, chez le gorille, est en position postérieure sur le crâne et beaucoup plus antérieure chez nous.
Nous avons une articulation crânio-vertébrale en position antérieure sur le crâne, ce qui fait que notre crâne est en équilibre sur la colonne cervicale.
Vous voyez en bas que les muscles nucaux du gorille sont très puissants, en lien avec cette face prognathe.
Alors que chez nous, la colonne cervicale n'est pas droite, elle est un peu courbe, mais elle permet au crâne d'être en équilibre sur cette colonne et nous avons perdu ce prognathisme vers l'avant.
Nous allons voir maintenant comment ce caractère se manifeste en passant du stade fœtal au stade adulte et c'est fort intéressant.
Si vous prenez le crâne d'un chimpanzé et d'un homme, petits, à l'état fœtal, le trou occipital est en position intérieure.
Et, au cours de la croissance, à l'état adulte, on observe que le trou occipital a migré postérieurement chez le chimpanzé alors que chez nous, il est resté en position inférieure.
On dit chez nous que c'est la rétention, la conservation d'un caractère fœtal, alors qu'il y a eu migration postérieure du trou occipital chez le chimpanzé et chez tous les grands singes, chez tous les primates et beaucoup de mammifères.
Ici, vous voyez en vue inférieure, toujours chimpanzé et hommes aux extrémités, au milieu, il y a 2 crânes : un australopithèque et un Homo erectus, qui vous montrent cette position différente du trou occipital qui s'intériorise de plus en plus.
De nouveau, en haut, vous avez le chimpanzé et l'homme, avec une capacité crânienne.
Pour simplifier, un chimpanzé n'a que 400 cm cubes de capacité crânienne, alors que nous, hommes, nous en avons en moyenne 1 400.
On voit donc que ce caractère de positionnement du trou occipital est tout à fait tributaire également du prognathisme de la face et de l'amplitude du volume cérébral.
Deuxième caractère : le bassin.
Vous allez bien suivre l'anatomie du bassin, c'est important pour ce qui va suivre et pour comprendre fonctionnellement ce qui se passe.
Vous reconnaissez, en haut, en bleu, le plateau sacré.
La colonne vertébrale, la colonne lombaire s'articule avec ce plateau sacré.
Le plateau sacré fait le sommet de l'os du sacrum, qui est, à l'état adulte, la partie rigide de notre colonne vertébrale.
Et le sacrum s'articule avec le bassin par l'articulation sacro-iliaque, que vous voyez des deux côtés.
C'est une articulation très peu mobile.
Au cours de l'accouchement, il y a une certaine souplesse qui permet des mouvements de nutation et contre-nutation.
Sinon, vous connaissez peut-être le nom de l'ilion, cette partie du bassin qu'on appelle les ailes iliaques.
Et devant, vous avez le pubis.
Bien sûr, vous connaissez l'articulation de la hanche qui reçoit la tête fémorale.
On appelle cette cavité le cotyle.
Ce qui différencie le bassin d'un grand singe et d'un homme, c'est cette distance sacro-iliaque et coxo-fémorale.
J'appelle toujours la hanche la coxo-fémorale, si c'est pas trop barbare.
Entre l'articulation sacro-iliaque et les hanches, cette distance est grande chez les grands singes mais réduite chez nous.
On peut parler chez les grands singes d'un bassin en tension.
Quand on est suspendu dans les branches, il ne sert à rien d'avoir une petite distance entre sacro-iliaque et coxo-fémorale.
Par contre, en position bipède, cette distance très grande serait soumise à des efforts de cisaillement terribles.
Chez nous, cette distance a été minimisée.
Retenez ce nom de distance entre sacrum et cotyle.
Pour simplifier, nous avons un bassin court.
En même temps, on dit que le bassin est comme un panier qui contient les viscères.
Il peut contenir plus facilement les viscères, alors que les grands singes ont les viscères devant ou en dessous, quand ils sont quadrupèdes.
De façon parallèle avec le bassin, la cage thoracique du chimpanzé, des grands singes est en forme de cône, alors que nous, nous avons une cage thoracique en forme de cylindre.
Vous voyez que cette forme de cylindre est associée à la libération d'un espace pour la mobilité d'une colonne lombaire.
Ce qui est mal visible sur ce dessin, il y a une incurvation vers l'avant des ailes iliaques, qui épousent la forme de la cage thoracique qui est en cylindre.
Tandis que les grands singes n'ont pas de taille, en particulier chez l'orang-outan.
La cage thoracique est quasiment posée sur les ailes iliaques.
La colonne lombaire est comme emprisonnée, elle n'a pas de capacité de mobilité.
Nous sommes toujours dans le deuxièmement, mais le bassin n'est plus vu de face mais de profil.
On va se familiariser avec cette vue.
Vous voyez à la fois un hémi-bassin.
On a enlevé une partie du bassin, ce qui vous permet de voir...
On voit le plateau sacré.
Plus tard, on va voir que le plateau sacré, suivant le positionnement, peut s'incliner plus ou moins, on parlera de pente sacrée.
Voyez la courbure du sacrum, bien sûr, et ici, c'est tout simplement l'articulation sacro-iliaque qu'on ne voit jamais à nu et qui là est mise à nu.
Vous voyez au-dessus comment les courbures cervicale, lombaire et sacrée constituent un caractère très important de la bipédie, puisque ces courbures permettent d'amortir le choc.
On va voir que c'est beaucoup la morphologie du bassin qui a permis le déploiement de ces courbures.
Vous ne voyez pas la hanche, le cotyle, mais vous la devinez.
Le cotyle est là, ne l'oubliez pas.
À l'inverse, ici, vous avez un gorille, vous avez seulement une courbure unique dorsolombaire et vous voyez encore cette proximité entre les dernières côtes et les ilions, et combien la colonne lombaire est complètement emprisonnée.
On va voir en quoi consiste cette association fonctionnelle très intéressante entre bassin et colonne vertébrale.
Je me lance dans quelque chose...
Ce que je vous ai déjà dit avant, c'était connu dans le domaine de l'évolution et ce n'était pas l'objet de recherches actuelles.
Tandis que ce que je vous présente maintenant, c'est des choses que j'ai eu la chance de travailler avec des cliniciens.
Le profil que je vous montre là du bassin, avec cet angle un peu savant qui s'appelle l'angle d'incidence sacrée, il a été découvert par Geneviève Duval-Beaupère autour des années 93.
Elle travaillait à l'hôpital de Garches.
C'est un paramètre très important qui a été découvert qui permet de comprendre et de soigner les pathologies de la colonne vertébrale, scolioses, etc.
Je vous explique mieux en quoi consiste cet angle et vous devinez déjà, puisqu'on voit ici en transparence cotyle mais aussi sacrum, que c'est très rare.
Quand vous voyez un bassin, vous voyez pas le sacrum.
Cet angle peut être très petit ou très grand, mais chez l'homme, il est plutôt d'une forte ampleur.
Il a de la variabilité.
Et quel est son rôle ?
Sur cette image qui représente des vrais sujets, j'ai mis à gauche un sujet avec une incidence élevée, presque 60 degrés.
Lorsque vous avez eu un angle d'incidence élevé, vous avez une pente sacrée forte, une courbure lombaire forte et une courbure dorsale forte.
Quand vous avez une incidence plus petite, 38, ici, vous avez une pente sacrée plus faible, une courbe lombaire plus faible et dorsale plus faible.
On peut dire que cet angle d'incidence sacrée contrôle le degré des courbures vertébrales.
En fait, je ne vous montre pas ici des graphiques de corrélation, mais en travaillant sur cet angle chez des gens normaux, des sujets normaux et des sujets pathologiques, dans un équilibre normal, il y a une corrélation très forte entre l'incidence, la pente sacrée et la courbure lombaire.
Un peu moins forte avec la courbure dorsale puisque des paramètres qui viennent de la tête interfèrent.
Donc retenons combien l'incidence est importante.
Maintenant, nous allons la voir sur un bassin en réel.
Vous reconnaissez l'axe qui unit les deux cotyles, les deux hanches.
Ce segment vert, on va l'appeler la distance sacro-cotyloïde, qui joint le milieu du plateau sacré et le milieu de cet axe bi-cotyloïdien.
Et l'incidence, c'est cet angle, à partir du plateau sacré, vous avez en vert la distance sacro-cotyloïde, vous avez ici une perpendiculaire au plateau sacré.
En fait, il faut la transparence pour le voir.
Là, je l'ai dessiné.
Sachez que ce paramètre est très intéressant parce qu'il est propre à chaque sujet.
Il est anatomique et il ne varie pas selon la position du sujet : si vous vous penchez, si vous vous redressez, ce paramètre est anatomique et non pas positionnel.
J'ai beaucoup travaillé et publié avec les cliniciens.
Là, on avait un très grand échantillon d'adultes et d'enfants et chez les adultes, la moyenne de l'incidence, c'est 54 degrés, entre 52 et 54 degrés.
Mais les extrêmes peuvent être très grands : 35-75.
Ça, c'était absolument inconnu dans le domaine de l'anatomie comparée et de la paléontologie.
Il fallait des cliniciens et des vues radiologiques en transparence pour, après des années, découvrir cet angle.
Comparons avec nos primates non humains.
Vous pouvez presque deviner que ce bassin très haut qu'on voyait, l'angle d'incidence y est beaucoup plus faible.
Ici, je tiens un orang-outan de nos collections, l'angle n'est que de 33 degrés.
Ici, c'est un chimpanzé en radio, 30 degrés.
Ici, ce sont deux macaques, 25 et 26 degrés.
On peut dire que chez tous les primates non humains, l'incidence ne dépasse jamais 40 degrés.
Elle peut même être infiniment plus faible.
Vous allez petit à petit comprendre qu'une incidence très faible est très néfaste pour avoir un équilibre érigé stable.
Cette image est un schéma qui essaie de vous expliquer ce qui s'est passé dans l'évolution.
C'est très schématique, puisqu'en bleu, je représente un bassin de singe, très haut, et en rose, c'est notre bassin.
Et de profil, je place le sacrum.
Ça, on va dire que c'est un gorille avec 30 degrés.
50, c'est un homme.
Et ça, poussé à l'extrême, 80, c'est un humain...
Ça dépasse pas 75.
C'est pour vous faire comprendre qu'au cours de l'évolution, la distance en vert, sacro-cotyloïde, a diminué en même temps que l'angle d'incidence augmentait.
Et ce schéma montre que le sacrum a reculé par rapport aux hanches grâce à cette augmentation de l'incidence.
Peut-être déjà, vous avez l'intuition que sur un sujet qui aurait une incidence de 30 degrés, le gorille, vous le mettez en position érigée, vous voyez combien c'est instable.
Le poids du tronc vers les membres inférieurs se transmet comme en ligne droite, comme un bâton tout droit.
Alors que si vous avez 50-80 degrés, on va dire que le bassin donne une assise à la colonne vertébrale et au déploiement des courbures.
C'est difficile à comprendre mais j'espère que sur cette image, vous en avez l'intuition.
Ici, une autre image qui vous montre l'incidence chez un gorille et chez un homme.
Chez ce gorille, elle est très faible.
Vraiment très faible.
Voyez comme il est impossible pour ce gorille s'il se redresse...
Il restera quelques instants debout.
J'ai des photos de gorille qui se tient sur un homme debout, un temps.
Après, il se reportera avec ses grands bras devant parce qu'il a une stabilité extrêmement faible.
Alors que chez nous, on a acquis au cours de l'évolution un bassin qui donne une bonne assise, une bonne assiette, aux courbures de notre colonne vertébrale pour qu'elles puissent se déployer.
Vous voyez ici que ce grand angle d'incidence permet le déploiement de la courbure lombaire, et, par la suite, la dorsale.
Il s'est créé au cours de l'évolution un lien fonctionnel entre courbure vertébrale et bassin qui a énormément contribué à améliorer l'équilibre du tronc sur les membres inférieurs.
On reverra cette balance plus tard mais voilà une notion d'équilibre déjà importante qui apparaît.
Troisième caractère qui a été acquis par la sélection naturelle, sélectionné, c'est notre pied.
Nous avons un pied d'appui et de propulsion qui a perdu sa préhensilité.
Vous voyez ici le pied d'un chimpanzé qui saisit la branche.
Nous, nous avons perdu la pince du pouce.
On dit l'hallux, pour le pouce du pied.
On a perdu cette pince.
Vous voyez ici le squelette du pied d'un orang-outan qui saisit la branche avec ses métatarsiens et ses phalanges, très longues, chez lui, il a un tout petit pouce.
Et là, c'est une vue générale du pied de tous les primates pour vous montrer que, que ce soient les primates qu'on appelle les prosimiens, vous connaissez peut-être les primates de Madagascar, etc., vous voyez comme le pouce est abducté, déjà.
Chez les singes du Nouveau Monde, les singes d'Amérique, à queue préhensile, le pouce est toujours abducté.
De même chez les singes de l'ancien monde.
De même chez les grands singes.
Il n'y a que nous, hommes, qui ayons perdu cette abduction, cette pince du pouce, cette abduction du pouce.
Ici, en vue plus grande, un orang-outan.
C'est seulement l'aspect externe du pied.
Vous voyez son pouce qui est très petit, c'est quasiment l'évolution à l'opposé de la nôtre.
Le chimpanzé, le gorille des plaines, l'homme, et au milieu, il va peut-être vous surprendre, le gorille des montagnes.
Vous me poserez peut-être des questions sur ce sujet-là, vous devez être peut-être intrigués par cette proximité de forme entre le pied externe de l'homme et le pied externe de Gorilla beringei beringei, gorille des montagnes.
Retournons aux modifications de notre pied.
Vous voyez ici, sur un pied humain, les phalanges, les métatarsiens, et tout ça, qu'on appelle le tarse, les os du tarse, c'est ici l'astragale, le calcanéum, celui-là s'appelle le naviculaire.
Mais ici, on a un os qui va nous intéresser.
C'est le premier cunéiforme.
Il y en a un deuxième et un troisième.
Parce que l'articulation très importante dont on va parler, qui fait la pince du pied préhensile, qui faisait la pince du pied préhensile, c'est l'articulation cunéo-métatarsienne entre le premier cuné et le premier métatarsien.
La voilà de façon comparative chez un homme et chez un chimpanzé.
C'est donc cette articulation qui permet la mobilité du pouce.
En plus grand, chez un chimpanzé, vous voyez ici un métatarsien qui présente une surface concave et le cunéiforme qui présente une surface convexe et qui permet ces mouvements d'abduction du premier doigt.
Et nous, nous avons acquis des surfaces subplanes, assez variables mais subplanes.
Brigitte Senut vous a peut-être montré le fossile d'Homo habilis, qu'on appelle OH-8, découvert en Tanzanie, à Olduvai, 1,8 million d'années.
On voit clairement que les surfaces articulaires de la cunéo-métatarsienne sont aplaties.
Donc, un bon point pour dire que c'est un pied qui a un caractère humain.
Mais ce n'est pas si simple car il y a d'autres caractères sur ce pied qui ne sont pas humains.
Je tenais à vous montrer une image avec des muscles sur le pied parce qu'il faut quelquefois lutter contre des personnes qui ne veulent pas croire que l'origine de notre pied est préhensile.
J'avais cumulé beaucoup d'arguments pour ça.
Je trouvais ça joli de montrer cette image-là.
Les muscles adducteurs transverse et oblique, ici transverse et ici oblique, ce sont chez les singes des muscles très grands, en éventail, qui couvrent une grande partie de cette pince et qui partent du métatarse du premier doigt et vont sur chacun des doigts jusqu'au cinquième.
Nous qui n'avons aucun besoin de préhensilité puisque nous avons un pied d'appui et de propulsion, on a ces deux muscles, pas aussi développés que chez les singes, mais vous voyez ici les obliques et ici le transverse.
Il est vrai que le transverse est assez relictuel.
Maintenant, sur les modifications du pied, il est important de voir que l'acquisition de notre pied humain s'est faite par des changements de proportions des éléments de notre pied.
Et ici, on représente un troisième doigt, comme l'exemple d'un des doigts latéraux.
Chez les singes, on met toujours le pouce à part et on représente toujours le 3e doigt comme exemplaire.
Vous voyez ici les proportions très différentes du tarse.
Vous voyez combien le tarse est court chez les chimpanzés, grandit un peu chez le gorille, chez l'enfant, il est un peu grand, et chez l'adulte, il est beaucoup plus grand.
Nous avons acquis un tarse très grand, ça sert pendant la propulsion, c'est le bras de levier des muscles, pour propulser le pied.
Et à l'inverse, on a connu une très grande diminution de longueur des doigts latéraux.
Sur cette image, on ne le voit pas autant que vous le verrez plus tard.
Mais une des caractéristiques de notre pied, c'est qu'on a acquis des orteils minuscules.
À l'inverse, concernant le premier doigt, qui est représenté ici à côté du troisième, on a un doigt robuste et long et on a connu au contraire un renforcement du premier doigt par rapport aux autres orteils.
J'aime bien montrer cette image, parce que moi-même, je trouve qu'elle est très instructive pour comprendre comment procède l'évolution.
Vous voyez ici deux fœtus.
À droite, le fœtus d'un homme, à gauche, le fœtus d'un singe platyrhinien du Nouveau Monde, le singe hurleur, celui qui peut hurler avec une caisse de résonance sous la bouche.
Vous voyez que les deux pieds, à ce stade fœtal, sont assez proches.
Qu'est-ce qui se passe au cours de la croissance ?
Il y a chez le singe hurleur un très grand allongement des phalanges des doigts latéraux, là, c'est vraiment les phalanges, alors que chez nous, on a une réduction extraordinaire des doigts latéraux.
En fait, moi-même, j'ai été beaucoup éclairée par ces images parce que la perte de la pince préhensile, certes, elle est beaucoup conditionnée par la perte des surfaces articulaires concaves ou convexes de la cunéo-métatarsienne.
Mais il y a aussi une question de proportion : la pince suppose une fente entre les doigts et 1 et 2.
Je me demandais comment cette fente était perdue.
J'ai beaucoup cherché comment ça marche.
Et c'est au bout de beaucoup de temps que j'ai mieux compris que, par ce qu'on appelle des allométries de croissance, par des différences de croissance des différents éléments, peut-être d'autre chose que du pied, on peut aboutir à des morphologies qu'on ne s'expliquait pas.
L'astuce, je vous ai pas dit, mais vous avez vu que la mise à l'échelle est très subtile.
C'est qu'on a réduit la distance entre le calcanéum et le premier métatarsien.
Elle est égale.
Si on avait mis au départ les pieds dans une autre proportion, on n'aurait pas pu montrer ça.
Quatrième caractère, et dernier : on a acquis des proportions corporelles adaptées à la bipédie dans la mesure où le macaque, que vous avez vu plus tôt en squelette, a des membres antérieurs et postérieurs à peu près de même taille.
Ici, vous voyez le gibbon avec ses bras gigantesques, bras très longs de l'orang-outan, pareillement.
Du chimpanzé, un peu moins.
Mais membres inférieurs courts.
Chez ce gorille très petit, vous voyez un début, il aura plus tard une disproportion entre les antérieurs et les postérieurs bien plus grande.
Tandis que nous, nous avons acquis des membres inférieurs longs et des bras courts.
Et au cours de la croissance, on observe que si on prend une hauteur assise semblable pour le nouveau-né et l'adulte, notre membre inférieur croît énormément alors que notre bras croît beaucoup moins.
Et on voit bien comment des membres inférieurs longs sont très bénéfiques, avantageux pour courir, parce que nous sommes devenus des coureurs.
Alors que nos bras, pour ce que nous en faisons, nous ne les utilisons ni pour grimper ni pour nous balancer dans les arbres, ils n'ont pas besoin d'être longs.
Donc ces 4 modifications étaient des avantages qui amélioraient la performance du déplacement, de la marche de nos ancêtres, dans le milieu où ils évoluaient.
Brigitte a dû vous en parler, le milieu est-africain, un peu sud-africain de certains fossiles à partir de 3 millions d'années, connaissait un fort assèchement qui faisait place à une savane herbeuse de plus en plus ouverte.
Donc ici, les arguments darwiniens qu'on peut apporter, c'est qu'en passant d'un milieu plus couvert à un milieu plus ouvert, avec des cours d'eau, il pouvait être avantageux pour les hominidés pour se nourrir, pour échapper aux prédateurs, de marcher vite, de courir.
Il faut se mettre en situation.
C'est une question de survie, de trouver sa nourriture.
Ça veut dire qu'à cette époque, cette façon de marcher, de marcher vite puis de courir a été bénéfique pour atteindre de la nourriture que d'autres ne pouvaient pas atteindre.
Maintenant, deuxième volet tout différent.
On parle du deuxième processus, qui est ce qui se passe aujourd'hui.
En gros, que fait la gravité ?
En grand raccourci.
Car le petit d'homme, quand il se met debout, il doit affronter le défi de l'équilibre bipède qui est un défi fort parce que les lois de l'équilibre bipède sont très contraignantes.
Donc il va modifier son squelette.
Pour mieux comprendre ce qui va suivre, je vous ai mis des images qui montrent le squelette d'un nouveau-né à la radio.
Ce qui est en blanc, c'est osseux.
Ce qui est en gris, c'est cartilagineux.
Donc le squelette est encore tout à fait cartilagineux, pour beaucoup, et donc très déformable, plastique.
Ici, je vous fais remarquer que le sacrum, vous avez vu qu'il était tout à fait soudé chez l'adulte, alors qu'au niveau fœtal, ce sont encore des vertèbres séparées et tout à fait souples.
Le sacrum n'acquerra sa courbure qu'au terme de la fin de l'apprentissage de la marche.
Il va se courber plus ou moins suivant la mise en charge de l'enfant.
Et ici, regardez bien.
Ce qu'on appelle le fémur, c'est le fût du fémur.
On appelle ça la diaphyse, le fût de l'os.
C'est totalement ossifié, cette partie-là.
Je vous montre en dessous les épiphyses.
La diaphyse, c'est "dia" en grec, "à travers", l'épiphyse est au-dessus.
Vous avez l'épiphyse proximale ici, la tête fémorale.
Ici, l'épiphyse distale, l'épiphyse du genou.
Ça, c'est totalement cartilagineux avec un petit noyau osseux qui apparaît là.
Je vous souligne, par ces traits pointillés, les zones de croissance de l'os.
Regardez bien ici.
Quand l'os croît, des phénomènes mécaniques peuvent se produire au cours de la croissance.
On va voir que c'est très important.
L'enfant, suivant la façon dont il va mettre en charge son squelette en se redressant, va modifier son ossement du fémur grâce à ces cartilages de croissance.
L'adduction des membres inférieurs, vous le voyez sur l'image, le nouveau-né à des membres très écartés et l'adduction, le rapprochement des genoux, est un phénomène important qui va se passer au cours de l'apprentissage de la marche, ainsi que la formation des courbures vertébrales.
Chez le nouveau-né, il n'y a aucune courbure.
L'acquisition de ces courbures, avec l'adduction des membres inférieurs constituent des modifications fonctionnelles totalement associées à l'apprentissage de la marche de l'enfant.
On va voir comment.
Cette adduction des membres inférieurs, vous allez le voir ici par un caractère, le fémur du nouveau-né est parfaitement rectiligne et droit.
Vous le voyez ici sur cette radio et vous le voyez ici sur un fémur de nouveau-né en réel, alors que chez l'adulte, il a acquis un angle d'obliquité très fort.
Au cours de la croissance, l'angle d'obliquité fémorale s'ouvre et en même temps, l'angle entre le col du fémur et la diaphyse, l'angle cervico-diaphysaire se ferme.
Comment s'ouvre-t-il ?
Regardons d'abord.
L'enfant est à 4 pattes, ici, il est à 6 mois.
Vous voyez l'abduction.
"Ad", je me rapproche, et "ab", je m'écarte.
L'abduction très forte de mon petit-fils quand il avait 6 mois.
Et ici, 8 mois, vous voyez que les genoux sont encore en position...
Pas du tout genoux rapprochés.
Ça tâtonne.
Et les genoux, chez cette jeune fille qui est adulte maintenant, sont totalement rapprochés.
Qu'est-ce qui se joue ?
Comment ça se passe ?
De cette position genoux écartés à genoux rapprochés, voilà la transition d'un point de vue osseux, morphologique.
Vous voyez donc les fémurs du nouveau-né, et ici, vous avez la diaphyse, seulement le fût de l'os, d'un enfant nouveau-né de 6 mois, de 3 ans, de 5 ans, de 7 ans.
Vous voyez que l'angle d'obliquité a beaucoup augmenté : 0, 1, 5, 9, 9.
Et comment se forme cet angle ?
Cet angle se forme, sur la zone de croissance, par une apposition d'os plus forte du côté interne qui forme l'angle.
C'est purement mécanique.
On va l'expliquer après.
J'ai donc étudié avec Geneviève Duval-Beaupère, dont je vous ai parlé.
Elle m'avait confié très tôt des radiographies d'enfants non-marchants.
C'est une fille de 8 ans.
Vous voyez que l'angle d'obliquité ne s'est pas ouvert et que l'angle cervico-diaphysaire ne s'est pas fermé.
Le modèle mécanique qui explique comment se forme cet angle d'obliquité, j'espère que je vous l'explique à peu près clairement...
Ici, en A, l'enfant marche encore à 4 pattes.
La résultante du poids qui s'applique sur la zone de croissance du fémur se situe au milieu de ce cartilage de croissance.
Quand l'enfant se met à marcher, il est en simple appui.
Ça veut dire que tout le poids du corps est d'un seul côté.
En simple appui, il applique une charge beaucoup plus forte et du coup, la compression est plus forte du côté interne de la zone de croissance.
Et cette compression plus forte du côté interne du cartilage fait que l'os répond par une croissance plus forte du côté plus comprimé.
Et vous voyez l'angle qui se forme.
L'obliquité fémorale est un caractère que j'appelle épigénétique, totalement dépendant de l'environnement, ici, la gravité.
Et il se forme mécaniquement.
L'enfant non-marchant ne l'acquiert pas.
Ici, vous voyez l'homme avec son genou étendu et adducté.
L'obliquité va de 8 à 10 degrés en moyenne.
Les extrêmes, de 5 à 15.
Et chez le chimpanzé, le fémur est parfaitement droit.
Chez Lucy, je voulais vous souligner ça, il y a une obliquité très forte du fémur liée à un bassin...
Vous le voyez ici, son bassin, Brigitte Senut vous en a peut-être parlé, est déjà bas, elle a déjà un bassin bas.
Donc premier argument très fort de la bipédie.
Et en plus, elle a ce caractère qui montre que chez elle aussi, ce caractère était un caractère épigénétique très avantageux, on va voir pourquoi.
Les petits enfants australopithèques se mettaient debout beaucoup plus précocement que les enfants humains, puisqu'ils étaient matures beaucoup plus tôt que nous.
Comme un chimpanzé, à 12 ans, ils étaient déjà largement matures.
Ils se forgeaient eux-mêmes leur propre obliquité par leur action propre.
Là, peut-être que vous avez compris, déjà, en quoi c'est avantageux d'avoir un angle d'obliquité.
C'est que, par rapport aux grands singes ou aux primates qui marchent genoux écartés, quand vous êtes dans cette position, en simple appui, si vous levez la jambe, la projection du centre de gravité tombe à peu près sur l'articulation de la hanche et de la cheville, ce qui est économique, mais si vous marchez comme ça, c'est extrêmement dispendieux.
Vous voyez la différence.
C'est très économique de marcher les genoux rapprochés alors que la même marche comme ça est extrêmement dispendieuse.
Maintenant, deuxième point de ce qui est acquis épigénétiquement, la formation des courbures vertébrales.
Vous savez que la courbure cervicale se forme quand l'enfant apprend à redresser la tête, quand il est encore fort jeune.
Intéressons-nous à la courbure lombaire.
Vous imaginez bien que là, l'enfant n'a pas de courbure lombaire.
C'est plus tardivement qu'il acquiert la courbure lombaire.
Ça va être en association avec la morphologie de profil du bassin.
Je vous ai parlé tout à l'heure de l'incidence associée aux courbures, vous allez comprendre maintenant qu'au cours de la croissance, c'est lié.
J'ai travaillé sur des bassins d'adultes, de nouveau-nés et d'enfants.
Vous voyez ici comment cet angle d'incidence du bassin est faible chez les nouveau-nés.
Chez les nouveau-nés, il peut être de 0 à 30 ou un peu plus.
Chez les enfants, ici, 40, et 54 chez les adultes.
Donc on a une augmentation de l'angle d'incidence sacrée des nouveau-nés aux adultes.
On peut dire que cette augmentation, c'est la mise en charge de l'enfant qui fait qu'il augmente son angle d'incidence.
Et vous devinez que ça se joue dans la souplesse des sacro-iliaques.
Les sacro-iliaques qui sont de chaque côté du sacrum, ces articulations sont en partie mobiles et cartilagineuses, et c'est autour de ça que le sacrum bascule sur les ailes iliaques.
Le sacrum, qui est très haut placé, bascule sur les ailes iliaques.
Au cours de la croissance de l'enfant, on peut dire que c'est un caractère épigénétique.
Alors que je vous avais dit qu'entre les grands singes et l'homme, c'est quelque chose qui avait été lié à la sélection naturelle.
La courbure lombaire se forme en même temps que l'angle d'incidence augmente.
Le défi pour l'enfant est d'atteindre un équilibre de profil économique au cours de la croissance.
Quelles sont les conditions d'un équilibre économique du tronc sur les membres inférieurs ?
Il faut déjà savoir où se situe la ligne de gravité du tronc.
L'enjeu, c'est l'équilibre du tronc sur les membres inférieurs.
Et dans l'équilibre sagittal, vous vous représentez bien avec les balances, ici, combien la position de la gravité, si elle est devant derrière les vertèbres, exige une force musculaire de résistance pour assurer la stabilité mécanique.
La force musculaire peut être devant ou derrière, suivant où passe la gravité.
Et toujours à Garches, Madame Duval-Beaupère a travaillé sur 50 sujets normaux avec un appareillage qui s'appelait la barycentrométrie et elle a pu calculer où se trouvait le centre de gravité du tronc.
Non seulement où se trouvait le centre de gravité du tronc, mais aussi le placer sur les radios de ses sujets.
Le corps était débité en tranches et à chaque fois, on pouvait situer la gravité.
Le résultat montre que le centre de gravité du tronc est en regard de D9, de la dorsale 9.
On s'y attendait, on le devine.
La gravité au niveau de la courbure dorsale est antérieure à la courbure dorsale.
Donc en équilibration, ce sont les muscles dorsaux spinaux qui interviennent.
Mais, très important, au niveau de la courbure lombaire, la gravité, dans une situation économique, passe derrière la courbure lombaire et ce sont nos muscles abdominaux qui doivent intervenir pour contrer la gravité.
Et également, surprise, beaucoup de gens disent que c'est devant ou sur les hanches, non, c'est derrière les hanches.
On a des ligaments extrêmement puissants à l'avant de l'articulation des hanches, le ligament ilio-fémoral, qui servent de résistance.
Ça, c'est typique d'un équilibre économique.
Il y a énormément de situations pathologiques qui font mal au dos.
Vous voyez combien c'est utilisé en clinique, ce caractère et cette association des courbures au bassin et à l'angle d'incidence.
Comment se fait le redressement du tronc chez l'enfant ?
Quelles sont les actions musculaires en jeu ?
L'extension fémorale, en vert, ici, est effectuée par les muscles fessiers qui permettent le redressement du bassin.
Les muscles fessiers, derrière, comme des élastiques, permettent au bassin de se redresser verticalement.
Ensuite, les muscles qu'on appelle érecteurs du tronc, les élastiques qui sont là, permettent l'apparition de la lordose lombaire.
Et l'incurvation du sacrum est due aux ligaments qu'on appelle sacro-sciatiques.
Ça, c'est l'épine sciatique du bassin.
Ces ligaments, vous les voyez en jaune.
Ces ligaments sacro-sciatiques retiennent la partie inférieure du sacrum et contribuent à son incurvation.
Le sacrum est très souvent très incurvé.
Maintenant, on essaie de reconstituer une mécanique pelvienne de la verticalisation avec l'action conjuguée de la gravité et des muscles, avec ce jeu de balance, et aussi de la croissance.
C'est parce qu'il y a croissance qu'il y a potentiel de changement.
Quand l'enfant est encore petit, avec un centre de gravité antérieur, on est là.
Qu'est-ce qui se passe après ?
D'abord cette extension du fémur dont on a parlé, ensuite, augmentation de la pointe sacrée et de l'incidence, de l'angle d'incidence, qui est associée à la formation de la courbure lombaire, qui permet un recul du centre de gravité très important derrière les lombaires et derrière les têtes fémorales.
Et face à la gravité, tout en grandissant et en apprenant à marcher, l'enfant remodèle son squelette par son action propre.
En conclusion, je pourrais dire que la sélection naturelle a adapté notre système squelettique à la bipédie.
On pourrait dire que le squelette du nouveau-né est celui d'un bipède potentiel et que le redressement et l'apprentissage de la marche le transforment en un bipède effectif.
La sélection a opéré pendant des millions d'années et a permis des changements fondamentaux.
Et la gravité, elle, agit sur une petite échelle de temps mais ce sont des changements indispensables qui permettent que le système fonctionne, que cela marche.
Comme le livre que j'ai écrit permet de bien conclure sur cette distinction entre l'œuvre d'hier et d'aujourd'hui, je vous le remontre.
L'adaptation à la bipédie est le résultat de deux processus bien différents : l'œuvre d'hier, ce que j'ai appelé la part de l'héritage, comment, en tant qu'espèce, nous sommes devenus bipèdes, et le rôle de l'apprentissage de l'enfant qui est fondamental.
C'est un apprentissage qui est répété inexorablement par le petit d'homme et qui est indispensable.
Et pour terminer, je prendrai le mot d'un grand biologiste, Peter Medawar, il est mort en 1987.
Il disait : "La génétique propose, l'épigénétique dispose."
J'ai terminé.
Avez-vous des questions ?
Auditeur 1.
-Oui, très intéressant.
Je pense aux chaussures, n'est-ce pas un phénomène épigénétique ?
Tout à fait malvenu.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Évidemment, que c'est de l'épigénétique.
Parce que dans l'évolution, la chaussure est venue extrêmement tardivement.
Mais c'est vrai qu'elle modifie nos pieds, en partie épigénétiquement, tout à fait.
Par exemple, quelquefois, néfastement, pour les orteils avec des durillons de frottement sur les chaussures.
Marchez pieds nus.
On vous entend pas, Monsieur.
Auditeur 1.
-En marchant dans le Sahara avec des trucs plats, il y a eu des conséquences désagréables, des pieds plats.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je ne suis pas spécialiste de ça.
Mais il me semble qu'il y a des gens qui marchent pieds nus et qui gardent une arche, le pied à la naissance, la voûte du pied, est plus ou moins prononcée selon les sujets mais il y a des gens qui marchent pieds nus qui ont un pied qui ne s'affaisse pas.
De même, on disait que les hallux valgus, ce n'étaient que les femmes qui portent des chaussures à talons.
Il y a des hallux valgus chez les populations pieds nus.
C'est tout à fait faux.
Ça potentialise, les chaussures à talons, mais c'est pas du tout...
Auditeur 1.
-Sinon, le fait d'avoir les genoux en dedans, valgus, varus, je ne sais plus, c'est une question qui n'a rien à voir avec...
Je sais pas comment poser ma question.
C'est pas naturel, d'avoir des problèmes comme ça.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-En fait, pendant toute une période, l'enfant va osciller, et les parents s'inquiètent que leur enfant ait les genoux trop écartés ou trop rapprochés.
Je dis pas que c'est comme un pendule, mais presque.
L'enfant tâtonne, tâtonne, et c'est pas étonnant.
Vous avez remarqué que chaque enfant a une mise en charge qui lui est propre suivant qu'il a porté des couches très longtemps ou pas, suivant qu'il s'est mis debout...
La mise en charge de chaque enfant est différente.
Il peut marcher beaucoup à 4 pattes, d'autres très peu.
En fait, la variabilité de notre squelette est très grande.
Quand on prend des bassins, des fémurs, c'est très grand.
Il y a une variabilité qui est génétique, qui est déjà présente chez le nouveau-né, et il y a une variabilité qui est simplement due à des façons différentes de mettre en charge.
Et quand vous parlez de personnes qui auraient les genoux trop rapprochés, par exemple, quand on positionne les petits enfants en position de la grenouille, c'est très mauvais.
Vous voyez ce que je veux dire, la position de la grenouille ?
Quand les enfants sont à genoux, comme ça, assis, en même temps qu'ils adoptent cette position, leur col fémoral s'antéverse fortement puisque, comme c'est cartilagineux, il y a de la souplesse.
C'est pas soudé.
Ils antéversent trop leurs cols fémoraux, et après, à 30 ans, il y aura des problèmes aux hanches.
Mais les personnes qui ont les genoux trop rapprochés, il y a une amplitude de variation qui est parfaitement normale.
Dans la salle, il doit y avoir beaucoup de gens qui ont les genoux rapprochés, d'autres, moins rapprochés.
Et tout le monde va très bien.
Quand c'est trop, alors là, c'est vrai que, comment dire...
J'aurais tendance à dire qu'au moment de l'apprentissage de la marche, il y a un moment où il faut être vigilant pour voir des choses et les corriger.
Mais un varus trop grand...
Il y a une influence très forte de ce qui se passe sur le fémur qui va se répercuter sur le tibia.
Il y a des enfants, effectivement, qui compensent.
Les anomalies les plus graves, c'est si un col fémoral est très antéversé, on connaît mieux ça.
Je vous ai beaucoup parlé de l'angle entre la diaphyse et le col, l'angle cervico-diaphysaire, mais il y a aussi un angle qui se modifie au cours de la croissance.
Le nouveau-né, quand il naît, il a un angle d'antéversion du col très grand parce qu'au cours de la croissance fœtale, la position fœtale, mécaniquement, oblige le col fémoral, dans la position très fléchie du fœtus dans l'utérus de la maman, flexion de la hanche et du genou, mécaniquement, le col est très antéversé.
Au cours de l'apprentissage de la marche, l'enfant, par un mécanisme inverse, doit fermer son angle.
Je connais mieux les méfaits quand le col ne se referme pas.
Il se referme quand l'enfant apprend à étendre totalement sa hanche.
Il y a une influence des ligaments très puissants antérieurs aux hanches, le ligament ilio-fémoral, qui, sur une hanche encore souple, va corriger ce qui s'est fait au cours de la croissance fœtale.
En gros, à la naissance, il y a 35 degrés d'antéversion et ça va se réduire à 15.
Il y a des enfants qui gardent une antéversion très forte.
J'ai travaillé avec des cliniciens et ces enfants-là ont les rotules qui ne sont pas en face, qui ne sont pas faciales, et ensuite, c'est le tibia qui compense avec des pieds qui peuvent se mettre comme ça ou comme ça.
Mais, comment dire...
J'ai le sentiment qu'au cours de la croissance, si on est attentif à la façon dont croît l'enfant, maintenant, l'orthopédie pédiatrique sait très bien corriger beaucoup de choses.
Je sais pas si je réponds à votre question.
Vous parliez de varus et de valgus.
Auditeur 1.
-Avec mes petits-enfants, je me demandais si on avait raison de leur mettre des petites chaussures trop tôt.
En sommes, on est mal éduqués.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Si, il y a des choses très claires, par exemple, il faut surtout pas mettre un petit enfant dans l'appareil où il peut marcher plus tôt.
Il y a un mot.
Un youpala, voilà.
Surtout pas un youpala.
C'est très simple à comprendre.
Si vous mettez en charge l'enfant sur des zones de croissance qui ne sont pas mûres, encore, pour des raisons...
Les zones de croissance ne sont pas prêtes à recevoir une charge forte si elles ne sont pas matures, pour des raisons d'irrigation sanguines, des raisons multiples.
Si on fait ça, l'enfant peut abîmer ses zones de croissance des os longs et de partout.
Il faut surtout pas faire ça.
Il faut pas permettre à un enfant de s'amuser dans un youpala en croyant que c'est bon pour lui.
Auditeur 1.
-Vous en parlez, dans ce livre ?
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Du youpala ?
Je suis pas sûre que j'en parle.
Auditeur 1.
-Je dis ça parce que j'ai des petits-neveux à venir.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je crois pas que j'en parle dans le livre.
Mais je parle de beaucoup d'autres choses.
Quand j'ai écrit ce livre, Odile Jacob, mon éditrice très sympathique, m'a dit à la première remise de manuscrit : "C'est très bien mais on en veut plus, plus sur vous et plus sur l'anatomie, le sujet."
Et je ne voulais rajouter que des choses qui m'intéressaient.
Et au milieu du livre, il y a un chapitre qui s'appelle "Bipèdes au soleil et ensuite".
J'explique comment on a perdu nos poils.
C'est tout à fait d'autres choses qui sont dans le livre également parce qu'Odile Jacob m'a amenée à m'intéresser à la période entre le moment où on est devenus bipèdes et le moment où le volume de notre cerveau a augmenté.
Un laps de temps extrêmement long s'est passé.
J'étais pas spécialiste de ça mais ça m'intéressait.
Je savais qu'on avait perdu nos poils, mais quand, comment, etc.
Effectivement, on est bipèdes, mais on est dans des milieux extrêmement chauds et il faut pouvoir lutter contre la chaleur pour refroidir notre cerveau.
C'est vrai qu'on a perdu nos poils, je raconte ça, et on a aussi changé de menu.
Ce qui va le plus vous surprendre, on est un peu loin de la bipédie, c'est que l'augmentation du volume du cerveau, on croit toujours...
Je raisonnais et tous les étudiants raisonnaient comme ça par le passé, l'augmentation du volume du cerveau n'est due qu'à une espèce de quête d'être plus intelligents, un dialogue entre la main et le cerveau.
Il y a une part qui est vraie mais il a été montré qu'il y a une corrélation inverse entre le volume du cerveau et le volume des intestins.
En gros, notre cerveau a crû quand on changé de régime alimentaire, en passant à un régime alimentaire fait de feuilles...
Les grands singes ont d'énormes intestins, mangent énormément de feuilles.
Or, nous, on a changé de menu.
Vers les 3 millions d'années et un peu moins, on est devenus chasseurs, on était capables de courir on s'est mis à manger de la viande.
C'était une économie très grande parce que le cerveau, pour croître, il a besoin de beaucoup d'énergie et l'énergie était prise par le système de la digestion.
Je trouve ça très intéressant de montrer qu'un organe si noble que le cerveau a dû sa croissance, aussi, à des processus beaucoup plus élémentaires qui étaient la diminution des intestins.
Changer de menu en ayant un menu de plus grande qualité.
Mais retournons à la bipédie.
Auditeur 1.
-Merci.
Auditrice 1.
-Pour revenir un peu, après le nouveau-né puis le jeune enfant, on passe à la vieillesse et là, j'ai vraiment l'impression qu'on n'est pas faits pour la bipédie au regard du nombre de pathologies du genou, du pied, etc.
Est-ce que les singes ont de l'arthrose ?
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Oui, consolez-vous, plein, plein.
Ah oui.
Lucy, elle mourait vers 30 ans.
Donc c'est sûr que la vieillesse...
Tous les animaux ont de l'arthrose.
Dans notre laboratoire d'anatomie comparée, que vous regardiez gibbons, orangs-outans...
Le gibbon est très intéressant.
On se dit qu'il a cette locomotion, suspendu dans les arbres, extrêmement jolie, une suspension pendulaire très efficace.
Quand on regarde des ossements de gibbons dans les collections, il y a des cassures, ils tombent, ils se cassent la figure.
Chaque adaptation, il n'y a rien de parfait, a ses points forts et ses points faibles.
Nous, d'être devenus bipèdes, en vieillissant, les chances d'avoir une pathologie de la colonne vertébrale sont très grandes.
Vous comprenez pourquoi.
Quel défi, d'oser ériger cette colonne vertébrale alors qu'à 4 pattes, on est plus tranquilles.
Mais l'arthrose, il y en a également, ne vous en faites pas, ostéoporose, arthrose, il n'y a pas que chez nous.
Mais c'est sûr que les maux de dos...
Mais si vous vous faites soigner en faisant attention à votre incidence, c'est pas tous les médecins...
C'est assez récent, c'est très important.
Les personnes qui ont un angle d'incidence qui n'est pas en bonne corrélation avec la courbure lombaire, les cliniciens vont faire en sorte que la courbure lombaire devienne en harmonie.
Ce qui se passe dans la vieillesse, c'est que les disques vertébraux dorsaux s'écrasent un peu donc on a tendance à partir en avant.
Toute la gravité du tronc s'antériorise.
J'ai pas les images ici.
Si j'avais su que vous alliez me poser cette question...
En s'antériorisant le sujet va avoir...
Ça dépend de ses capacités, mais in fine, la personne âgée va reporter ses mains sur quelque chose parce qu'elle n'est plus capable de faire des efforts très grands des muscles dorsaux et des muscles postérieurs, extenseurs, ici.
Souvent, les personnes âgées, je l'ai appris avec les cliniciens, ont un flexum de hanche.
Ça veut dire que la personne se tient légèrement fléchie des hanches, n'est pas capable d'étendre comme ça et ça lui donne une amplitude trop faible.
Donc à la fin, la personne âgée qui a mal au dos trouve que c'est moins fatigant de marcher les genoux fléchis.
En fait, le flexum de hanches, c'est une raideur des muscles antérieurs de la hanche qui sont fléchisseurs.
Au lieu d'être très extensibles, ils deviennent raides.
C'est l'inverse de ce qui permet à l'enfant, quand il apprend l'extension totale...
Ça, c'est une pathologie des personnes âgées.
Auditeur 2.
-Bonsoir.
Quelque chose que je n'ai pas compris, pourquoi le singe ne se redresse pas ?
Je m'explique : vous avez montré que c'était la pesanteur qui amenait la croissance des os permettant le rapprochement des jambes, des genoux l'un par rapport à l'autre et qu'il y avait par ailleurs la formation de différentes courbures dans le dos.
Ce que vous avez appelé l'angle d'incidence, il est autour de 20 et quelques degrés chez les singes et de 54 degrés en moyenne chez l'être humain.
Et chez le bébé, chez le nouveau-né, de 28 degrés.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-C'est variable, chez le nouveau-né.
Auditeur 2.
-Alors pourquoi le singe ne passe pas de 28 à 54 ?
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Il en a rien à faire, c'est pas son affaire, d'être bipède.
Il faut bien se représenter que ces singes sont adaptés à la vie arboricole, sont occasionnellement bipèdes.
Il est bipède au sol de façon occasionnelle, à sa façon, très bien pour lui.
Et c'est pas, comment dire...
J'ai étudié des singes chimpanzés qu'on voit marcher bipèdes au sol.
Ils marchent pas du tout comme nous.
Les médecins avec lesquels je travaillais disaient : "Ils ont une pathologie, ils ont une camptocormie parce qu'ils sont fléchis des hanches et des genoux."
Mais c'est pas pathologique, ils sont adaptés à vivre dans les arbres et ils sont beaucoup plus polyvalents que nous.
On n'est capables que d'être au sol et d'être bipèdes.
Eux ont une polyvalence très grande et quand ils sont au sol, ils utilisent leur répertoire.
Dans les singes que je voyais marcher assez vite, ils se servaient de leurs bras comme balanciers pour s'équilibrer.
Ils utilisent leur répertoire d'arboricoles dans leur marche bipède.
Ils ont une capacité de rotation de la hanche qu'on n'a pas du tout.
J'ai pas avec moi les images.
Mais c'est tout à fait une erreur de perspective de se demander pourquoi le singe ne le fait pas.
C'est pas son adaptation, sa nourriture est dans les arbres, il vient au sol.
Il n'a aucun avantage, profit, dans son adaptation, à devenir un bipède plus compétent.
Auditeur 2.
-Le bébé n'a pas non plus de motivation.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Si, parce que quand il est nouveau-né, il a déjà eu toutes les modifications de la sélection naturelle qui sont déjà beaucoup de choses.
Il a un bassin bas.
Il a un trou occipital en position inférieure qu'il va garder, il a un pied qui est déjà d'appui et de propulsion, il a beaucoup de modifications.
Ce que j'ai rajouté, je l'ai pas présenté là, mais depuis que j'ai fait mon livre, j'ai progressé.
Si vous réfléchissez bien, la sélection naturelle a fait des choses que ne peut pas produire la gravité, et la gravité a fait des choses que ne peut pas produire la sélection naturelle.
Réfléchissez à mon angle d'obliquité.
Vous pensez aux mères enceintes qui attendent un bébé.
Le bébé prend beaucoup de place, il est énormément fléchi, il est en position...
S'il fallait en plus avoir un fémur oblique, vous voyez la place que ça prendrait.
La sélection naturelle a très bien fait les choses et je ne vous ai pas présenté un complément que j'ai compris que récemment.
La zone de croissance du fémur où l'angle va se former, vous comprenez qu'il faut qu'elle soit plane, pour que ça marche.
Il faut qu'elle soit plane, sinon, l'effet mécanique marcherait pas.
Or, chez tous les primates non humains, cette zone n'est pas plane, il y a un encastrement entre l'épiphyse et la diaphyse.
Il y a un encastrement très fort avec des sillons et des creux.
Et pourquoi ça ?
Comme ils vivent dans les arbres, tous les primates ont cet encastrement pour éviter le décollement de l'épiphyse, de la diaphyse au cours de la croissance dans le contexte d'une vie arboricole.
C'est très joli, mais à 3 millions d'années, j'ai, avec Lucy, des fémurs immatures d'un jeune subadulte où l'épiphyse n'est pas fermée.
Je n'ai que la diaphyse et je vois que la suture est déjà simplifiée.
La zone est plane.
Pour moi, la sélection naturelle a fait le boulot d'aplanir mais surtout, elle fait pas l'angle.
Parce que si l'angle avait été inclus dans le génome depuis Lucy, je m'étais posé la question...
Vous voyez la difficulté à accoucher.
Vous voyez l'embarras, dans l'utérus, d'avoir un fémur oblique en plus du fait que le fémur, c'est comme ça.
Et pareil, vous voyez in utero 4 courbures de colonne vertébrale à contenir dans l'utérus ?
C'est pas possible.
Donc la sélection naturelle a agi sur le bassin et sur sa forme, et le grand angle d'incidence qu'on a à la naissance, plus grand que chez les primates non humains, et qui va s'accroître, c'est lui qui permet le déploiement des courbures.
Et, par contre, la gravité aurait été incapable de transformer le bassin haut en un bassin bas.
C'est dur.
J'ai appris récemment que le bassin du nouveau-né, qui est bas, en grandissant, la zone qui sépare les articulations sacro-iliaques des hanches, cette zone va croître très peu jusqu'à 10 ans et après, elle s'arrête de croître.
Tandis que chez les grands singes, cette zone va beaucoup croître.
Dans l'évolution, il y a beaucoup de choses importantes qui se passent par des allométries de croissance, sur la proportion des membres, des éléments du pied, et là, sur le bassin.
C'étaient des mutations gigantesques.
On n'est pas assez compétents pour connaître, en génétique, quelle mutation a fait que le bassin a pu changer de forme.
Sans doute ont été avantagés des individus...
Je sais pas si ça vous intéresse, mais imaginez que du temps de Lucy, naissent des enfants avec une incidence plus grande que d'autres, un nouveau-né qui, au lieu d'avoir une petite incidence à 0, en a déjà une à 30.
J'ai imaginé mais j'ai pas encore publié.
C'est extrêmement avantageux.
Le petit d'homme qui se met debout, s'il a une petite incidence, les humains actuels qui ont une petite incidence auront très vite mal au dos et une instabilité sagittale.
J'ai des collègues, on le sait, qui ont une petite incidence, de profil, vous pouvez le deviner, et c'est plus dur pour eux de ne pas avoir mal au dos.
Si, du temps de Lucy, vous avez une incidence très grande, la sélection naturelle va favoriser ces populations parce qu'elles marcheront mieux, parce qu'elles se reproduiront plus.
Auditrice 2.
-Merci.
À propos de l'érection de la colonne vertébrale, vous avez cité les muscles postérieurs, les spinaux et les abdominaux.
J'étais étonnée que vous ne citiez pas les psoas.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-J'ai pas parlé du psoas, qui est un muscle important.
Auditrice 2.
-On a parlé de la vieillesse, ça fait quand même partie des choses qui sont faibles et qui participent à la mauvaise position qui s'installe.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-La faiblesse des muscles ?
Auditrice 2.
-Des psoas en particulier, dans notre culture, qui sont très négligés.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Vous avez raison d'en souligner l'importance.
Mais j'ai d'autres choses qui concernent les muscles que je peux vous montrer, mais là, je vous ai montré que cliniquement, les cliniciens avec lesquels je travaille depuis toujours m'ont dit que dans une position économique, en position debout, on a mobilisé les spinaux, les abdominaux et l'ilio-fémoral.
Mais c'est vrai que le rôle du psoas iliaque est très grand, mais au point de vue paléontologique, on n'a rien à dire là-dessus.
Je sais pas dire comment c'était.
Mais il a un très grand rôle par rapport à la courbure lombaire.
Auditrice 2.
-C'est-à-dire que certaines personnes considèrent que les abdominaux ont un rôle complémentaire et que le psoas, qui peut se contracter de façon excentrique, a un rôle extrêmement important pour soutenir la colonne lombaire.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je vois ce que vous voulez dire.
Je crois pas avoir l'image qui me permettrait...
Auditrice 2.
-C'était juste un étonnement que vous ne l'ayez pas cité.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Oui, écoutez, il faut compléter.
Le psoas iliaque est un muscle très important dans la bipédie.
J'avais retenu l'inconvénient...
Comment dire...
Quand les muscles antérieurs sont trop rétractés, qu'on fait des abdominaux au sol et que la courbure lombaire, au lieu de la plaquer, ce qu'il faut faire pour faire des abdominaux correctement, la raideur des fléchisseurs de hanches et peut-être aussi le psoas iliaque pouvaient intervenir dans ces conditions-là.
Mais j'ai une image que je n'ai pas là et qui ne me permet pas d'en dire plus.
Mais si vous voulez que j'en parle, j'avais quelques images de muscles.
Mais je réponds aux questions, je mets mes muscles en position...
J'aime bien celle-ci, que je vous ai pas montrée, pour les abdominaux.
Les abdominaux ont quand même un bras de levier très long et efficace par rapport au problème de la gravité.
La gravité qui passe derrière, ici, le bras de levier des abdominaux est fantastique pour corriger, pour équilibrer la gravité.
Est-ce que je vous montre des muscles ?
Ça, c'est homme-femme.
Vous m'avez pas demandé si c'était pareil, le bassin, pour les hommes et pour les femmes.
Il y a eu une sélection sur le bassin où la bipédie était en conflit avec la fonction de la parturition.
Parce qu'avec le bassin que nous avons acquis pour être bipèdes, pour faire passer la tête d'un bébé, c'était beaucoup plus dur.
C'est vrai qu'entre le bassin d'un homme et celui d'une femme, la différence la plus forte, c'est surtout la taille du détroit pelvien, ici, et aussi ce qu'on appelle l'angle sous-pubien, le V pubien, qui est très grand chez les femmes et beaucoup plus petit chez les hommes.
Il y a eu une sélection qui fait...
J'ai plein de bassins, dans mon bureau.
Il y en a où je vois clairement que c'est une femme ou un homme, quelquefois, c'est plus dur.
Voilà les muscles...
Les muscles sont les mêmes, mais il y a des migrations d'insertion musculaire, des importances plus grandes de certains muscles, et sur la musculature comparée du gorille et de l'homme, on a un quadriceps qui est assez costaud mais eux encore plus.
Ils sont tout le temps en position fléchie, donc ils ont tout le temps les quadriceps sollicités.
Vous voyez que le triceps sural, les jumeaux, nous, on a une partie tendineuse très développée alors qu'eux ont de la chair jusqu'en bas.
Vous allez me dire que le gorille est plus terrestre, moins arboricole, mais tous les primates ont un muscle ici qui n'est pas tendineux puisqu'ils s'en servent avec le pied dans les arbres pour les mouvements.
Nous, c'est lié à un mouvement de marche pendulaire, toujours le même, on n'a pas besoin...
La musculature est concentrée assez en haut du mollet.
On est les seuls à avoir le grand fessier.
Nous avons un grand fessier alors que le gorille...
Dans mon laboratoire, quand j'étais jeune chercheur, on avait disséqué un gorille et ses fessiers.
Petit et moyen fessiers, ils ont à peu près la même chose que nous.
Ça, c'est le moyen fessier, le petit fessier, mais le grand fessier, ils n'ont pas ça.
Ils ont un fémoro-coccygien.
L'enjeu, c'est que nous, ce muscle-là aide à l'extension de la cuisse.
Il est inséré très haut sur le bassin.
Tandis qu'eux ont un muscle qui commence très bas sur le fémur et qui remonte pas plus haut que le sacrum.
En fait, les fesses, le galbe des fesses, c'est vraiment propre à nous.
Qu'est-ce qu'il y aurait encore ?
Parmi les ischio-jambiers postérieurs de la jambe, il y a le biceps fémoral.
Ce muscle dont je parle est placé ici.
J'aime bien cette image qui montre comment...
On prend un orang, on prend un gibbon, un nouveau-né et un homme, et on montre comment les insertions distales, vers le bas de ce muscle, se sont modifiées en lien avec le fait que nous avons acquis des mouvements d'extension totale du genou.
Vous voyez ce muscle, ici, chez l'orang, il y a un long biceps, un court biceps, deux insertions bien distinctes et très bas sur le tibia.
Chez le gibbon, qui étend plus sa jambe, on a un tendon commun entre les deux et l'insertion est plus haute.
Chez le nouveau-né, on a un tendon commun et nous, quasiment tout a migré sur la tubérosité tibiale...
Attendez, non.
Ça, c'est la tubérosité du tibia et tout est, on est à l'externe, sur le tibia et sur le haut du péroné.
On est sur la tête de la fibula.
Ça, c'est des modifications musculaires qui sont des migrations des insertions musculaires.
C'est assez facile à faire et c'est très commun.
Est-ce que vous avez d'autres questions ?
Auditrice 3.
-Oui.
J'avais une question...
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je suis perdue, vous êtes où ?
Auditrice 3.
-Pour revenir sur les différences entre l'homme et le chimpanzé, il y a un muscle qui est biarticulaire que l'homme est le seul à posséder, le triceps sural, qui s'insère sur les condyles et qui passe par la cheville.
Je me demandais si vous saviez quand ce muscle biarticulaire est apparu dans la lignée humaine.
Il confère un avantage dans la performance de la bipédie humaine.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Pour moi, le triceps est présent chez les grands singes aussi.
Vous m'étonnez, là.
Auditrice 3.
-Il est présent, mais il n'est pas biarticulaire.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Il me semble que si.
Parce qu'en fait, c'est le creux poplité et l'insertion de ces muscles.
J'ai pas disséqué cette partie-là mais pour moi, les insertions des gastrocnémiens, des jumeaux, chez chimpanzés, gorilles et tout ça, sont aussi biarticulaires.
Vous m'étonnez un petit peu.
J'ai pas la compétence pointue là-dessus.
Auditrice 3.
-J'avais cherché pas mal de documentation là-dessus et j'avais trouvé que l'homme était le seul, il avait l'exclusivité d'avoir ce muscle qui était biarticulaire.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je ne comprendrais pas que les gastrocnémiens remontent si haut.
On les a vus chez le gorille, ils remontent très haut.
Ça me paraît peu probable.
À quoi ça servirait, d'avoir des gastrocnémiens si hauts s'ils n'enjambaient pas...
Vous voyez, chez l'homme, c'est là.
Et ici, c'est aussi sur les condyles.
Ça va sur les condyles, mais le creux poplité, je le vois ici.
Sur quoi vous l'avez lu ?
J'ai vu des dissections de gorilles et il me semble bien...
Auditrice 3.
-J'en ai parlé avec des chirurgiens qui sont chercheurs, notamment en anthropologie, et qui ont justement fait une étude sur les gastrocnémiens et sur les conséquences que ça avait sur l'avant-pied et sur la performance de la bipédie.
J'avais parlé avec eux de cette exclusivité de l'homme à posséder ce muscle-là biarticulaire et que les autres primates ne l'aient pas.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Ils parlaient des grands singes ?
Je suis quasiment sûre, le grand singe, ça remonte tout en haut.
Est-ce qu'ils parlaient d'autres primates que j'aurais pas étudiés ?
Auditrice 3.
-On a beaucoup parlé de la lignée humaine, et on se demandait quand était apparu ce muscle biarticulaire.
En tout cas, on savait que les Australopithèques, a priori, ne l'avaient pas.
C'était apparu plutôt dans le genre Homo, mais quand ?
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je suis un peu embarrassée parce que j'ai beaucoup étudié le genou de Lucy, j'ai fait ma thèse sur le genou, et Lucy, justement, elle a, très visible, des empreintes magnifiques, j'ai pu montrer des choses extraordinaires.
Elle me montrait quelque chose qui révélait qu'elle ne possédait pas l'extension totale du genoux.
Je pouvais dire ça par les arguments qui venaient de la rotule, et aussi, justement, là où le muscle poplité s'insère, le muscle poplité qui est extra-articulaire laisse un sillon, et ce sillon avait une forme qui montrait que Lucy n'utilisait probablement pas l'extension totale du genou.
Mais je suis un peu désarmée face à ce que vous dites.
Ça m'étonne énormément.
Ce muscle, le biceps fémoral, dans mon laboratoire, il y a les grassets, c'est l'anatomie de ces muscles chez tous les mammifères, tous les animaux.
Et on l'aurait appris, moi, j'ai cherché à savoir ce qui, dans la musculature, était différent chez l'homme.
Et en fait, ça, je suis étonnée, mais si vous me citez des chirurgiens extrêmement sûrs d'eux...
Ou alors, ce serait plutôt les insertions...
Ce qui se pourrait, comme ils sont toujours en flexion très forte, c'est évident que nous, toute la zone postérieure du genou s'est modifiée avec renforcement des coques condyliennes.
Donc l'anatomie comparée des deux n'est pas semblable.
Mais que l'insertion ait été sur le tibia, si vous le dites, ça m'étonne beaucoup, mais...
Auditrice 3.
-OK, merci.
Auditeur 3.
-Concernant l'aphorisme que vous avez cité sur l'épigénétique et la génétique, je voulais savoir si vous n'aviez pas de doutes sur l'ordre des propositions.
Est-ce que c'est bien l'épigénétique...
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
- C'était "La génétique propose et l'épigénétique dispose."
Auditeur 3.
-Mais est-ce que ça serait pas, maintenant, parce qu'il y a un siècle que ça a été...
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Non, il l'a dit en 1987.
Peter Medawar, c'était un très grand biologiste immunologue.
C'est vrai qu'il était à une époque où l'épigénétique commençait à être découverte.
Depuis, il y a des avancées.
Auditeur 3.
-On ne peut pas retourner la proposition aujourd'hui.
Parce qu'en fait, l'épigénétique est en relation directe avec l'influence de l'environnement et va proposer aux génomes d'intégrer des choses durables.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Entre "propose" et "dispose", il y a bien...
Comme si la sélection naturelle mettait à disposition des choses sur lesquelles la gravité va agir.
Je ne vois pas du tout dans l'autre sens.
Ça n'aurait pas de sens.
Auditeur 4.
-Avec l'importance de la gravité, entre l'enfant et ce que devient l'homme, qu'est-ce qu'on va faire si on va sur les planètes où il faut tant de temps, avec des hommes qui doivent naître pendant le voyage ?
Il faudra les soumettre à la gravité.
Sinon, ils ne seront pas bipèdes.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Je connais, vous devez connaître aussi, les entraînements incroyables que subissent les cosmonautes qui vont être en situation d'apesanteur.
On a travaillé avec eux sur la gravité.
Mais je ne suis pas capable de vous donner la réponse.
C'est vrai qu'il y a plein de missions qui essaient de voir comment les plantes poussent en apesanteur, tout est à l'envers.
Mais si j'avais des petits-enfants qui naissaient en apesanteur, je serais inquiète au retour.
Modératrice.
-On en parlera le 24 mars, de l'équilibre et de l'apesanteur.
On a une séance consacrée à ça.
Auditrice 4.
-Bonsoir, vous n'avez pas parlé des appuis du pied sur le sol des singes et de l'homme.
J'aimerais savoir si vous avez étudié l'information des arches et de la voûte plantaire chez l'homme par rapport aux grands singes, l'appui ou non du calcanéum par terre.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Oui, en fait...
J'ai de belles images mais je les ai pas avec moi.
Je les ai pas avec moi ici.
Attendez.
Nous, notre voûte plantaire longitudinale et transversale, les chimpanzés, quand ils marchent, ils ont ce qu'on appelle une brisure de l'articulation tarsienne transverse.
"Midtarsal break", disent les Américains.
C'est-à-dire que là où nous, on a une voûte transversale et longitudinale, eux, ça se casse.
Mais eux aussi, ils marchent d'abord...
Ils frappent le calcanéum et ils vont sur la partie externe du pied mais ils cassent...
Je travaille pas mal là-dessus, je travaille sur le pied du fameux gorille des montagnes et ils ont une façon de marcher qui est conforme à l'anatomie de leurs pieds.
On va peut-être prendre une autre image.
Ah oui, j'ai pas l'image.
C'est pas terrible.
Mais vous voyez, eux, tous les os du tarse, chaque os est un peu différent des nôtres, l'astragale, le calcanéum, etc.
Mais entre les os du tarse, ils ont beaucoup de mouvements possibles qui montrent qu'alors que nous, on a des os du tarse qui permettent de faire un pied qui a, dans la propulsion, une zone, une arche bien solide, qui reste constante dans les positions mutuelles des os, eux, ils ont énormément de jeu entre les différents os.
Et qu'est-ce qu'ils ont, encore ?
Auditrice 4.
-Est-ce que ça veut dire que dans l'appui, il y a une voûte ou pas ?
Quand ils sont en appui sur le sol.
Vous parlez de la propulsion, mais quand ils ne sont pas en propulsion ?
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Quand ils sont dans les arbres, ils accrochent les pieds comme ça, comme vous le voyez, celui-là, ici.
Auditrice 4.
-Je parlais de par terre.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Vous voulez dire quand ils sont au sol sans marcher ?
Si, ils cassent l'articulation.
Ils cassent l'articulation.
Auditrice 4.
-Ça veut dire qu'ils n'ont pas de voûte.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-Non.
Mais comme, occasionnellement, dans les arbres...
Non, ils n'ont pas de voûte structurelle dans leur pied.
Non.
Auditrice 4.
-Merci.
Christine Tardieu, paléontologue, directrice de recherche au CNRS.
-En fait, on voit, quand on prend un film, que le talon, là où nous, quand on marche, on voit la voûte apparaître, eux, on voit, même avec l'extérieur du pied, que ça casse.
J'ai des images comparées, on voit que ça casse.
Modératrice.
-Bon, on va se donner rendez-vous la semaine prochaine.
On verra ce qui se passe dans le cerveau pour maintenir cet équilibre si durement acquis.
Et pour ceux qui le souhaitent, Mme Tardieu vous propose de prolonger l'échange et de dédicacer son livre juste à l'entrée de la salle.
Merci pour votre présence et, j'espère, à la semaine prochaine.

L’équilibre : un défi cérébral

 Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, Laboratoire de neurosciences intégratives et adaptatives, Université Aix-Marseille.

"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"L'équilibre : un sens renversant
Cycle de conférences
L'équilibre : un défi cérébral"
avec Christophe Lopez, Neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS,Laboratoire de neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
Avec le soutien de Pour la science

-Bonsoir à tous.
Merci pour cette gentille introduction, merci pour l'invitation à venir participer à ce cycle.
C'est opportun, nous sommes dans la semaine du cerveau, un événement national.
On va essayer de donner un éclairage plutôt cérébral aux mécanismes développés au cours de l'évolution pour contrôler notre posture, notre équilibre.
Voilà un petit cerveau.
L'idée que je voulais vous donner, c'est qu'on allait parler de cerveau, puisque dans les 2 conférences précédentes qui ont porté sur l'apparition de la bipédie chez l'homme, les 2 conférencières vous ont parlé des modifications de l'anatomie humaine, du squelette, qui ont accompagné cette bipédie.
Si on compare le squelette de l'homme et le squelette des primates non humains, on voit que c'est différent et que la bipédie est caractérisée par des adaptations, notamment le raccourcissement des bras, plus courts que les jambes et qui ne servent pas à la locomotion.
La colonne vertébrale vient s'insérer en dessous du crâne et elle a maintenant plusieurs courbures.
On observe également une modification de la forme du bassin, qui s'est raccourci, qui a changé de forme pour assurer cette posture bipède.
Cette posture bipède, en comparaison d'une posture quadrupède, est évidemment très instable.
Le support est beaucoup plus réduit.
Le défi de maintenir cet équilibre bipède, ça va consister à maintenir la projection verticale du centre de gravité humain qui est à peu près au niveau du bassin dans une surface d'appui au sol, le polygone de sustentation ou la surface de sustentation.
Ça correspond à la surface d'appui des pieds au sol.
Chez l'homme, qui est bipède, cette surface est réduite par rapport à la surface chez un quadrupède.
Le défi de la posture bipède chez l'homme, ça va consister à développer des synergies sensorimotrices qui vont avoir pour but de ramener ce centre de gravité au-dessus de ce polygone de sustentation.
Ce qui n'est pas évident, on va le voir, parce que chez l'homme, on s'amuse à modifier notre posture.
On est capables de tenir en équilibre sur un pied.
Dans le sport, on développe des postures qui sont de véritables défis.
Donc, ce polygone de sustentation est extrêmement réduit dans ces situations-là.
Ou bien on développe des capacités telles que marcher sur des prothèses.
Aujourd'hui, j'aimerais montrer comment l'évolution a permis de développer un ensemble de capteurs sensoriels qui vont nous permettre de coder l'orientation et les mouvements du corps dans l'espace, et comment l'évolution a également créé des structures cérébrales qui ont l'air d'être spécialisées dans le codage de cette orientation des mouvements du corps dans l'espace.
Le titre de la conférence, "L'équilibre, un défi cérébral", ce n'est pas moi qui l'ai trouvé, mais c'est très opportun.
C'est un véritable défi cérébral.
Pourquoi c'est un défi cérébral, de maintenir notre équilibre bipède ?
C'est parce qu'il s'agit d'arriver à coder l'orientation du corps dans l'espace, le mouvement du corps dans l'espace, alors qu'il n'existe pas un stimulus d'orientation dans l'espace et qu'il n'existe pas un capteur sensoriel d'orientation dans l'espace.
Si on veut coder par exemple la couleur, il y a un stimulus de la couleur, c'est une onde lumineuse avec une certaine longueur d'onde.
On a un capteur sensoriel pour ça, des photorécepteurs dans la rétine.
Pour maintenir l'équilibre, on n'a pas un stimulus.
Qu'est-ce qui nous donne un sens de l'orientation ?
Imaginez devoir maintenir votre équilibre dans cette situation difficile, debout sur une barque en train de flotter.
Comment vous allez extraire des informations sensorielles de l'espace qui vont vous servir à référencer votre posture ?
Vous pouvez utiliser les informations visuelles.
Si vous basculez votre corps, vous allez avoir un glissement relatif de l'image sur votre rétine.
Ça donne une information sur votre mouvement.
Mais si vous fermez les yeux, sur cette barque, vous êtes quand même capable de maintenir votre posture.
Si la barque oscille, vous avez une modification des pressions qui s'exercent sous la plante de vos pieds.
C'est une information qui va vous servir à coder votre orientation.
Il y a des informations qui paraissent moins directes, comme le retour d'effort.
Si vous êtes en train d'appliquer des forces sur ces 2 rames, les forces que vous exercez vont varier en fonction de votre posture, et via l'effort musculaire et l'étirement des muscles, vous aurez une information posturale.
On est capables d'extraire de façon indirecte plein d'informations.
Si vous écoutez le clapotis de l'eau, c'est une information auditive qui vient d'en bas et donne une orientation sur l'information du corps relativement à l'environnement : où sont le haut et le bas.
Toutes ces informations ensemble parviennent au cerveau et donnent des informations plus ou moins congruentes sur l'orientation du corps dans l'espace, son mouvement dans l'espace.
Le cerveau utilise toutes les informations sensorielles disponibles.
Cette idée, c'est pas nouveau.
L'idée que le mouvement n'est pas codé par un seul sens, on la retrouve chez Aristote, déjà : "Il ne peut pas y avoir un sens spécial pour les choses communes à tous les sens."
Mouvement, repos, ce n'est pas codé par un sens mais par l'ensemble des sens.
Il a tout de suite compris l'intérêt du fait que le mouvement soit codé par plusieurs sens et que "si nous pouvons par plusieurs sens percevoir les choses communes, c'est afin que nos perceptions soient plus sûres et plus exactes".
On va pouvoir lever des ambiguïtés concernant l'orientation du corps dans l'espace parce qu'on tire l'information de plusieurs sens.
Si on traduit ça en termes neuroscientifiques plus actuels, on peut dire que le sens de l'espace, c'est un sens multisensoriel.
On utilise plusieurs informations.
Si c'est multisensoriel, ça veut dire que ce sens de l'espace, c'est une interprétation.
Si on a tous plusieurs informations sensorielles pour orienter notre corps dans l'espace, on tire un résultat final.
C'est la somme, on va voir que c'est pas la somme mathématique de ces signaux, c'est un peu plus complexe que ça.
On va prendre ensemble tous ces signaux et on a une seule perception à la fois.
Et nous n'avons pas tous le même sens de l'espace.
Pourquoi ?
Parce qu'on va tous s'ancrer différemment sur des sensibilités, des signaux différents.
Ce sens de l'espace est personnel.
Vous et moi, on n'a pas le même sens de l'espace.
Je vous propose de passer en revue ces différents capteurs sensoriels qui tous ensemble contribuent au sens du mouvement, de l'espace.
En France, c'est Alain Berthoz et son laboratoire au Collège de France qui ont contribué au développement de la physiologie du sens du mouvement.
Pour citer un premier sens qui semble crucial pour coder le mouvement, c'est la vision, cruciale parce qu'à la fois le mouvement peut être codé et l'orientation peut être codée.
Tout d'abord, le mouvement peut être codé, les photorécepteurs vont coder le glissement des images sur la rétine.
On a des voies sensorielles qui sont spécialisées dans le codage du glissement des images sur la rétine.
On a une information visuelle de mouvement.
Si vous êtes face à un train qui démarre lentement, vous pouvez avoir l'impression que c'est vous qui bougez.
Si vous êtes assis dans votre voiture et qu'à côté un bus démarre lentement, vous pouvez être surpris d'appuyer sur le frein parce que vous avez l'impression que c'est votre voiture qui avance.
Ce mouvement visuel autour de vous qui se fait lentement crée des illusions de mouvement.
C'est le signe que ces informations visuelles de mouvement lentes sont codées dans des structures cérébrales qui donnent une perception du mouvement du corps propre.
J'insiste sur le fait que c'est un mouvement relatif.
C'est le mouvement relatif du corps par rapport à l'environnement ou de l'environnement par rapport au corps.
On va revenir sur le codage relatif.
J'ai sélectionné un exemple qui date des années 70, de l'équipe de David Lee, qui était en Écosse, qui a essayé de manipuler ces informations visuelles de mouvement pour déterminer leur rôle dans le contrôle postural.
Ils ont eu une idée originale et farfelue néanmoins, qui était de placer des enfants dans une pièce qui était mobile.
C'est une pièce qui a 3 murs et un plafond et l'ensemble est suspendu par des câbles, si bien qu'il est possible de déplacer toute la pièce autour de l'enfant.
L'enfant se situe sur un plancher qui ne bouge pas.
Ses parents sont en face de lui.
Voilà ce qui se passait.
Ils ont déplacé lentement la pièce autour de l'enfant.
Et ils ont réussi à faire chuter les enfants, ce n'était pas le but, mais les enfants étaient tellement sensibles à l'information visuelle de mouvement que leur posture était réorientée et qu'ils chutaient.
Comment l'expliquer ?
Imaginez que l'ensemble de la pièce se déplace vers l'arrière.
Ça crée chez les enfants un sentiment de déplacement de leur corps vers l'avant.
Dans la vie, quand je déplace mon corps vers l'avant, les images que je vois glissent vers l'arrière.
Si, lorsque je suis immobile, les images glissent vers l'arrière, j'ai le sentiment de basculer vers l'avant, et le cerveau, en réaction, va entraîner une compensation posturale.
C'est ce que vous voyez, une chute vers l'arrière.
Ça a montré que les enfants, tôt après avoir appris à marcher, sont extrêmement ancrés sur ces références visuelles.
Cette influence diminue avec le temps.
Chez l'adulte, on est moins sensibles que les enfants à ces informations visuelles de mouvement.
On a beaucoup travaillé sur ce type d'environnement visuel qui tourne autour de participants chez des adultes dans le but de créer ces illusions de mouvement.
Voici un exemple de ce qui peut se passer si vous êtes face à ce type d'environnement visuel.
Là, vous voyez une personne de dos qui porte des lunettes qui restreignent son champ visuel à l'environnement qui tourne autour de son axe du regard.
On a placé dans son dos des marqueurs qui vont nous permettre de regarder l'équilibre de cette personne.
Vous voyez que l'environnement tourne ici dans le sens horaire.
Regardez le déplacement du corps.
Vous avez une augmentation des oscillations posturales face à cet environnement.
A la fin, vous voyez que l'axe corporel semble dévier dans le sens de déplacement de l'environnement visuel.
Donc on a, en réaction à ce déplacement de l'environnement visuel, des réactions posturales qui tendent à modifier l'orientation corporelle autour d'une position inclinée.
Lorsque l'environnement visuel se déplace, les sujets vont osciller entre une sensation mixte, vont avoir une sensation mixte de mouvement de leur corps propre dans l'espace, de mouvement de l'environnement visuel, et des illusions intermittentes entraînent ce type de déséquilibre.
Voilà pour le rôle des informations visuelles de mouvement dans l'équilibre.
Mais ces informations sont cruciales pour coder l'orientation du corps dans l'espace.
Ici, si je voulais coder l'orientation de mon corps dans l'espace, je pourrais aligner l'axe de mon corps avec des choses qui sont verticales dans la pièce.
L'angle de la porte, d'un mur, d'une fenêtre...
Toutes ces références visuelles vont également me servir pour orienter mon corps dans l'espace.
Néanmoins, ces informations peuvent biaiser, évidemment, ce sens de l'espace.
Je fais référence ici aux travaux d'un groupe canadien.
Ils ont eu l'idée de manipuler l'orientation de la pièce dans laquelle se trouvent les participants.
Ils ont créé un dispositif original, une pièce capable de tourner de 180 degrés ou de 90 degrés.
Imaginez que vous soyez dans cet auditorium, que vous me voyiez debout et que vous puissiez voir la pièce basculer, si bien que le plafond serait au sol et inversement.
C'est perturbant de passer une dizaine de minutes dans cette pièce.
Vous allez être immergés dans un environnement visuel qui va être plus ou moins basculé.
Ils ont d'abord testé des participants qui étaient debout dans cette pièce-là, et lorsque l'ensemble de la pièce était dans une position habituelle, si on leur demandait où était le bas, tous pointaient vers le bas.
Tous les cadres de référence sont alignés : le cadre visuel, le cadre corporel, la gravité, l'ensemble est aligné.
Il n'y a pas d'ambigüité : pour tous, le bas, c'est vers les pieds, dans le sens de la gravité et dans le sens indiqué par l'environnement visuel.
En revanche, lorsqu'ils vont inverser l'environnement visuel par rapport aux sujets, on voit que le pourcentage de sujets qui vont coder la direction du bas par rapport au corps ou à la gravité diminue.
Des participants vont coder le bas comme étant le bas indiqué uniquement par l'information visuelle.
D'autres vont avoir des perceptions intermédiaires.
L'idée, c'est que dès qu'on présente des informations sensorielles en conflit, tout le monde ne se comporte pas de la même façon.
C'est ce que je disais lorsque j'essayais d'amener cette notion qu'on n'a pas tous le même sens de l'espace.
Dès qu'on introduit un conflit entre les informations apparaissent des stratégies sensorielles avec des personnes qui vont s'ancrer sur une information sensorielle ou sur une autre.
Ces différences entre les participants sont encore plus flagrantes si on teste les gens en inversant, ils sont à l'envers dans la pièce.
On manipule également l'orientation de la pièce.
Tous les participants ne se comportent pas de la même façon.
On voit apparaître des stratégies individuelles.
Pourquoi ?
C'est ce que je vous disais.
Le codage de l'information visuelle est ambigu puisque c'est l'orientation du corps relativement à l'environnement, donc il n'y a pas un codage absolu du corps dans l'espace.
J'aimerais vous parler d'un deuxième type d'information sensorielle qui paraît crucial pour coder le sens de l'espace : la proprioception musculaire et articulaire.
C'est un sens qu'on connaît moins, un sens un peu moins conscient, moins intuitif.
Si Aristote avait raison en disant que le sens du mouvement n'est pas codé que par un seul type de récepteur sensoriel, il avait tort en énumérant les capteurs sensoriels.
Il disait qu'il n'y avait que 5 sens.
En réalité, il y a beaucoup d'autres sens très importants.
Le sens proprioceptif musculaire n'est pas mentionné dans les 5 sens d'Aristote mais joue un rôle crucial dans le contrôle de notre posture.
Ce sens-là naît de récepteurs qui sont cachés en profondeur dans les muscles, en parallèle des fibres musculaires, et ils peuvent coder l'étirement musculaire.
On trouve également des récepteurs sensibles à la position des membres dans les capsules articulaires, dans les tendons, dans les ligaments.
Je ne rentre pas dans le détail.
C'est important, ce sens-là, mais ça permet seulement de coder la position relative d'un membre par rapport à un autre.
La position du poignet relativement à l'avant-bras, de l'avant-bras relativement au bras, du bras relativement à l'épaule, etc.
Vous avez un système relatif, c'est la position d'un segment relativement à un autre.
Une autre information sensorielle liée à ce type de codage, ce sont les informations tactiles.
Elles sont également cruciales pour maintenir notre équilibre.
Sous la plante de nos pieds, on a vraiment un système de codage des forces.
Si je bascule mon corps vers ma droite, il y a plus de pression qui s'exerce sous la sole plantaire de mon pied droit que sur la gauche et j'en extrais l'information que mon corps est penché sur la droite.
À nouveau, c'est un système sensoriel qui permet un codage relatif.
Si j'ai une modification de la pression qui s'exerce sous la plante de mes pieds, ça peut être parce que je me suis basculé sur le support ou parce que le support a bougé sous mon pied.
C'est un type de récepteur sensoriel qui permet un codage relatif de la position du corps, pas un codage absolu.
On peut créer des illusions de mouvement justement parce que c'est un codage relatif.
Je cite ici des travaux d'Anne Kavounoudias, dans notre laboratoire à Marseille.
Un participant a une main posée sur un tambour.
Ce tambour a une surface qui peut tourner sous la main du participant.
Il y a 2 façons d'interpréter ce type d'entrée sensorielle.
Soit votre main est stable et quelque chose tourne dessous, soit, c'est ce que font la plupart des participants, vous avez le sentiment que votre main glisse sur la surface.
C'est un signal, à nouveau, qui est ambigu, et c'est dû à ce codage relatif du corps par rapport au support.
Maintenant, j'aimerais parler d'un type d'information sensorielle qui paraît encore plus caché, ce sont les informations intéroceptives.
Je ne sais pas si vous êtes familiers de ce type d'informations.
Ce qu'on désigne par les informations intéroceptives, ce sont des signaux internes au corps qui sont liés aux viscères, par exemple aux vaisseaux sanguins.
La plupart du temps, ce sont des signaux totalement inconscients.
Si on vous demande...
Si vous ne faites pas de sport, on vous demande de déterminer à quel moment vous avez des battements cardiaques, la plupart du temps, vous, et moi aussi, sommes très mauvais pour faire ça.
On n'a pas cette conscience.
De la même façon, on n'a pas la conscience des contractions lentes de l'estomac, des intestins, etc.
Mais des capteurs envoient des signaux au cerveau sur ces mouvements-là.
Pourquoi tous ces récepteurs sont importants pour la posture ?
Parce que dans votre corps, il y a plein de fluides, il y a du sang, plein d'autres fluides, au niveau des reins, de la vessie, etc.
Lorsque vous bougez, ces fluides ont une certaine inertie et se déplacent dans votre corps.
Même si on n'en a pas conscience, ces fluides vont modifier le codage de mécanorécepteurs au niveau de la paroi des vaisseaux sanguins, dans les reins.
On est capables d'intégrer ces signaux pour coder l'orientation de notre corps dans l'espace.
C'est dû aux déplacements du volume de ces liquides qui sont soumis à l'attraction gravitaire.
Voici une anecdote montrant que c'est important.
L'équipe de Marion Trousselard avait eu l'idée de faire manger 500 g de pâtes aux participants, c'est assez important.
Ça va charger l'estomac.
Et ceux qui avaient mangé 500 g de pâtes étaient meilleurs pour juger de leur posture dans l'espace que ceux qui n'avaient pas mangé.
On est capables d'extraire de ce poids une information importante pour s'orienter dans l'espace.
C'est vraiment le type de signal sensoriel dont on n'a pas du tout connaissance.
C'est vraiment à la marge de la conscience.
Pour terminer, j'aimerais parler d'un système sensoriel qui joue un rôle crucial dans l'équilibre et le sens de l'espace, c'est le système vestibulaire.
Je termine par ce système vestibulaire parce qu'il a une particularité importante : ce système sensoriel va permettre un codage absolu des mouvements du corps dans l'espace et non pas un codage relatif des mouvements du corps dans l'espace.
Ce système, et Alain Berthoz l'a bien montré, fonctionne sans point d'ancrage.
L'origine du codage du mouvement, c'est le récepteur lui-même.
Ce récepteur est situé dans l'oreille interne.
Il fonctionne sans point d'ancrage, ça veut dire que si vous avez un chat en train de chuter, pas de contact avec le support, pas d'informations tactiles, s'il chute dans le noir, pas d'informations visuelles.
Néanmoins, le chat est capable de rétablir son équilibre parce qu'il va coder cette accélération nette du corps dans l'espace.
Il y a un codage absolu du mouvement du corps dans l'espace rendu possible par ce type de capteurs.
Je vais vous en dire un peu plus.
Ce type de récepteurs sensoriels, les récepteurs vestibulaires, on les trouve dans l'oreille interne.
L'oreille interne, c'est un réseau de cavités qui sont creusées dans la partie la plus dure de l'os temporal.
La partie avant, c'est la cochlée, qui sert à l'audition, et la partie arrière, c'est ce vestibule à proprement parler.
La forme de ces cavités est tellement complexe qu'on parle de labyrinthe pour désigner cette structure réceptrice.
On parle du système labyrinthique.
Regardez en bas la complexité de ce système.
J'ai illustré ici le développement embryonnaire de ce système.
C'est chez le poulet, mais c'est très similaire chez l'homme.
Ça part d'une structure globulaire et il y a une complexification de ce système avec l'apparition de 3 canaux qui ont des orientations particulières et de différentes chambres qui contiennent des récepteurs sensoriels.
Voilà pourquoi on parle de labyrinthe.
La structure de ce système, on la connaît depuis longtemps.
Depuis le 17e siècle, des travaux d'anatomie ont bien décrit la structure du labyrinthe.
En revanche, attribuer des fonctions d'équilibre à ce système labyrinthique, c'est assez récent.
Une personne qui a beaucoup joué là-dedans, en France, c'est Pierre Flourens.
Ce médecin français a beaucoup travaillé sur l'anatomie et la physiologie.
Il était professeur au Collège de France.
En faisant des destructions mécaniques de l'oreille interne chez différents animaux, il s'est rendu compte qu'il y avait des pertes auditives, mais il y avait également un retentissement important sur l'équilibre de l'animal.
Les pigeons qui avaient reçu une destruction de leur oreille interne ne maintenaient plus l'équilibre de leur tête, il y avait un basculement total.
Il a même décrit les premières bases de la plasticité cérébrale.
C'était la capacité de ces animaux à récupérer au cours du temps leur équilibre, à compenser cette perte vestibulaire.
Maintenant, on connaît bien les fonctions de ces systèmes vestibulaires.
2 grandes catégories de récepteurs vont être importantes pour coder les mouvements.
La première, c'est les canaux semi-circulaires.
Il y avait 3 canaux creusés dans l'os temporal, 3 canaux semi-circulaires, et leur particularité, c'est que ce sont des capteurs d'accélération angulaire.
L'accélération angulaire, ça veut dire que si vous tournez votre corps dans l'espace, dès que vous accélérez, vous avez un codage fait par ces canaux semi-circulaires.
Il y en a 3 dans chaque oreille.
Ils sont orientés à peu près dans des plans orthogonaux, donc on va pouvoir coder les mouvements dans les 3 plans principaux de l'espace.
Ça veut dire des rotations horaires, antihoraires dans le plan horizontal, comme ça, des rotations horaires, antihoraires dans le plan frontal et des rotations avant, arrière dans le plan sagittal, et toutes les combinaisons de rotations entre ces plans.
Je veux pas rentrer dans la description de la physiologie de ces canaux, mais ces canaux sont remplis d'un liquide qui a une certaine viscosité et lorsque nous bougeons la tête, ce liquide a une inertie qui va avoir tendance à s'opposer au mouvement de la tête.
Lorsque ce liquide se déplace dans l'oreille interne, il active des cellules réceptrices, des cellules ciliées, et cela donne un sentiment de mouvement.
C'est une jolie invention de la nature, de l'évolution, ce système très simple mais très complexe à la fois.
Pourquoi c'est simple et complexe ?
C'est simple parce que la nature a simplifié le codage à 3 plans, c'est extrêmement malin, et vous allez voir que cette solution a été retenue chez toutes les espèces de vertébrés.
C'est assez intéressant.
Chez tous les vertébrés supérieurs, il y a 3 canaux semi-circulaires, comme chez l'homme.
C'est très similaire, l'anatomie, même si ce sont des animaux qui ont des capacités de mouvement très différentes des nôtres.
Les poissons, les batraciens ont des canaux orientés comme les nôtres, c'est très similaire.
Chez les vertébrés plus inférieurs, des poissons plus primitifs, on n'a pas de canaux horizontaux, que des canaux verticaux, mais le codage est très similaire.
Ce codage du mouvement des accélérations angulaires dans les canaux semi-circulaires, ça existe chez plusieurs espèces d'invertébrés : les crabes, les pieuvres, les calamars ont un système très similaire, ils codent le mouvement comme nous.
C'est un système préservé au cours de l'évolution.
Il y a une convergence évolutive dans la mesure où, dans des groupes d'animaux qui sont très différents et qui ont des mouvements très différents, on a la même solution de codage de l'accélération angulaire.
Je passe au deuxième type de récepteurs sensoriels qui sont présents dans l'oreille interne.
C'est le système otolithique.
Ce système otolithique va être sensible aux accélérations linéaires.
C'est ce que vous avez lorsque vous êtes dans le train, que le train accélère vers l'avant.
Un ascenseur qui monte ou descend, c'est une accélération linéaire.
C'est la particularité du système otolithique.
L'autre particularité, c'est que ce système va coder une accélération linéaire qui est en permanence autour de nous.
C'est l'accélération de la gravité.
La gravité terrestre est une accélération linéaire et elle a, sur ce système otolithique, les mêmes conséquences qu'être accéléré dans le train.
C'est un signal dont nous n'avons pas conscience.
Cette accélération gravitaire est en permanence autour de nous.
Ce système, comment code-t-il les mouvements ?
Vous avez, entre les canaux semi-circulaires, à leur base, 2 chambres qui vont coder plutôt les accélérations horizontales ou les accélérations verticales.
Dans les 2 chambres, le principe est le même : vous avez des cellules réceptrices, en violet, des cellules ciliées, au-dessus desquelles vous avez une masse gélatineuse.
Au-dessus de cette masse gélatineuse, vous trouvez une couche de cristaux, de petits cailloux, des petits cristaux de carbonate de calcium.
Leur particularité, c'est qu'ils sont très denses.
Ils vont amener de l'inertie à cette masse gélatineuse.
Quel est le principe ?
Imaginez...
que dans l'oreille, il y ait une accélération de la gauche vers la droite.
Si vous avez une telle accélération, l'ensemble de cette structure va bouger, mais néanmoins, du fait de l'inertie de ces cristaux au-dessus de la masse gélatineuse, il va y avoir un mouvement en direction opposée de cette masse gélatineuse par rapport aux cellules ciliées.
Donc vous imaginez un déplacement de la base, et ce qu'il y a au-dessus va bouger dans la direction opposée.
Cela va entraîner un mouvement de ces cils qui va permettre de coder cette accélération linéaire.
C'est de cette façon que nous codons des forces d'inertie lorsque le train avance.
En réalité, ce que l'on code en permanence, ce sont les forces résultantes des forces inertielles et de la gravité, puisque la gravité est en permanence ici.
On a vu les 2 types de codages qui existent dans l'oreille interne : le codage des accélérations angulaires dans les canaux semi-circulaires et le codage des accélérations linéaires dans le système otolithique.
Et également le codage de l'accélération gravitaire dans ce système.
Quelle est la fonction de ces systèmes dans le contrôle postural ?
C'est fascinant de se rendre compte que la gravité qui est en permanence présente autour de nous va, via le système vestibulaire, entretenir l'activité des muscles corporels.
On a une activité tonique dans les muscles en permanence pour ne pas s'effondrer sous l'action de la gravité.
Si je n'avais pas ce tonus, l'accélération de la gravité m'aspirerait sur le sol, je m'effondrerais.
Donc on a un certain nombre de muscles qui sont antigravitaires, les muscles qui nous empêchent de nous effondrer sur le sol.
Par exemple, les muscles soléaires, qui sont au niveau des mollets, empêchent de tomber vers l'avant sous l'effet de la gravité.
Si, à la surface des muscles, vous enregistrez l'activité, on peut le faire à la surface de la peau, l'activité musculaire, ces muscles soléaires qui sont ici, antigravitaires, ont un tonus en permanence.
Même les muscles masséter, qui permettent de relever la mâchoire, sont des muscles antigravitaires.
Si vous dormez, vous avez la bouche qui s'ouvre.
Ce sont des muscles qui s'opposent à l'effet de la gravité sur certains segments corporels.
Par exemple, la mandibule.
Qu'est-ce qui se passe si on fait le même type d'enregistrement chez des personnes qu'on a envoyées dans l'espace ?
Les astronautes sont en microgravité.
Il n'y a plus de force gravitaire qui s'exerce sur les récepteurs vestibulaires.
Au niveau des muscles, on observe une absence de ce tonus postural.
On a une perte de l'entrée gravitaire sur ces muscles-là.
C'est une donnée cruciale, ça signifie que l'ensemble de notre activité musculaire est vraiment contrôlée en permanence par cette gravité.
Toutes nos activités sensorimotrices sont en permanence contraintes par cette accélération gravitaire même si nous n'en avons pas conscience.
J'aimerais vous montrer ce qui se passe, justement, si on change ces forces gravitationnelles.
Ce sont des travaux de notre équipe conduits par Valentine Bouet.
Vous avez ici un rat qui a été renversé.
On le lâche dans l'obscurité et on regarde combien de temps il lui faut pour s'équilibrer.
Rassurez-vous, il est pas lâché sur le carrelage mais sur un matelas.
Avec une caméra à très haute résolution, on peut voir que 80 millisecondes après avoir lâché ce rat, le rat s'est retourné, ses 4 pattes sont en extension, il est prêt à se réceptionner au sol.
C'est extrêmement rapide comme réflexe : il s'est retourné dans le noir, il n'y a pas de rôle des informations visuelles.
J'aimerais vous montrer ce qui se passe si on change ce vecteur gravitaire.
Ce qu'a fait l'équipe de Valentine Bouet, c'est élever des rats dans une centrifugeuse.
Ils sont nés dans cet environnement.
Grâce à une force centrifuge qui se combine avec la gravité, la centrifugeuse crée une hypergravité.
Ces rats sont élevés dans un environnement qui est 2 fois la gravité terrestre.
Ils sont nés là-dedans.
Leur environnement normal, c'est ça.
C'est l'hypergravité.
Qu'est-ce qui se passe quand on les passe de l'environnement hypergravitaire à notre environnement ?
Comme quand on envoie des cosmonautes dans l'espace, ils sont en microgravité, avec deux fois moins de gravité qu'habituellement.
Si on fait le même test chez ces rats, on voit qu'il leur faut plus de temps, 160 millisecondes en moyenne, pour se réceptionner.
Ça veut dire que l'ensemble des synergies posturales, l'ensemble des réflexes posturaux qui nous amènent à nous équilibrer, ont été contraints par l'environnement gravitaire dans lequel on est né.
L'ensemble des structures cérébrales, des structures nerveuses qui contrôlent le mouvement, la posture et l'équilibre, sont contraintes en permanence depuis notre plus tendre enfance et même au cours du développement embryonnaire.
Le fœtus est soumis à l'accélération de la gravité.
Depuis toujours, on est soumis à cet environnement et ça a contraint le développement de toutes ces fonctions sensorimotrices.
Voici les conséquences d'une perte vestibulaire.
Qu'est-ce qui se passe si on perd les informations vestibulaires ?
Voici les conséquences d'une perte vestibulaire d'un seul côté.
Cette dame a perdu ses informations vestibulaires du côté droit.
Regardez, ce système vestibulaire contrôle toute l'architecture de la musculature de la tête et du cou.
On voit qu'elle bascule sa tête vers le côté droit.
Elle a un basculement de la tête.
Ce système vestibulaire va contrôler les muscles du segment céphalique.
Si on lui demande de placer une barre verticale et de l'aligner avec ce qu'est la gravité, avec l'axe gravitaire, elle la bascule.
La perception de l'orientation de la verticalité est biaisée, c'est basculé d'un côté.
La position de ses yeux a également changé.
La position des yeux est contrôlée par les muscles extra-oculaires.
Vous voyez peut-être que cet œil-là s'est abaissé et cet œil-là s'est élevé.
Il y a un strabisme vertical.
Le tonus des muscles qui contrôlent le mouvement des yeux, c'est également contrôlé par le système vestibulaire.
Une perte vestibulaire, au début, en tout cas, va avoir ce type de conséquences.
Qu'en est-il du sens de l'équilibre chez des patients qui ont perdu les informations vestibulaires d'un côté ?
C'est une représentation des travaux conduits par Liliane Borel dans notre équipe à Marseille.
Ce sont des captures de mouvements de patients à qui on a demandé de faire des mouvements de flexion sur les genoux.
Si je fais ça, je fais des mouvements autour d'un axe vertical qui est axé sur la gravité terrestre.
Ces patients vont avoir tendance à faire des mouvements du corps qui vont être déviés vers le côté de la perte vestibulaire.
Ça veut dire que leur référence de verticalité entière est biaisée vers ce côté.
Il y a aussi un changement du tonus musculaire chez ces patients.
Il y a une conséquence importante de la perte vestibulaire sur le tonus musculaire.
On a passé en revue brièvement ces principaux systèmes sensoriels qui contribuent à l'équilibre chez l'homme.
Le système visuel, vestibulaire, la proprioception, l'intéroception, le toucher.
C'est complexe pour le cerveau d'établir un sens de l'orientation, un sens du mouvement.
On a tous ces signaux disponibles, ça paraît beaucoup.
Et puis il faut arriver à extraire une unité de perception.
Comment ça se fait ?
Je vais pas rentrer dans le détail.
Les travaux les plus actuels nous suggèrent que le cerveau fonctionne comme un statisticien.
C'est-à-dire que le cerveau, les neurones dans le cerveau, partent du principe que tous les signaux sensoriels sont incertains.
Ça signifie que ces capteurs et les neurones qui reçoivent les informations de ces capteurs traitent le signal sensoriel comme si c'était une probabilité.
Ça veut dire que le mouvement, c'est pas une valeur zéro, c'est pas "j'ai bougé" ou "je n'ai pas bougé", c'est une probabilité de mouvement.
Ça peut se représenter de la façon suivante.
C'est la probabilité que j'aie bougé.
C'est une valeur qui va entre 0 et 1.
Toutes les données actuelles suggèrent que le cerveau fonctionne en calculant des probabilités.
Il y a une probabilité qui est associée à chacun des capteurs.
Ici, j'ai pris un exemple simple.
2 capteurs : le capteur visuel a une certaine probabilité et le capteur vestibulaire a une autre probabilité.
Ces 2 probabilités vont se combiner.
La combinaison de ces probabilités dans le cerveau suit une règle mathématique qui a été décrite par Thomas Bayes, un mathématicien anglais.
C'est une règle connue dans les mathématiques.
Ce sont des règles de combinaison de probabilités.
Si on enregistre des neurones dans le cerveau du singe, on regarde comment un neurone répond à un mouvement de l'environnement visuel ou bien comment un neurone répond à une rotation de son corps, on voit que les réponses de ces neurones sont des réponses qui suivent ce type de codage et que la fusion des 2 types d'informations suit ce type de règle mathématique, ces calculs de probabilité.
La conséquence des calculs de probabilité, c'est que cette fusion va dépendre du poids que chaque personne accorde à une entrée sensorielle.
C'est dans ce sens que nous n'avons pas le même sens de l'espace.
Le poids que nous allons accorder à chacune de ces entrées sensorielles va varier d'une personne à une autre.
Ce type de modèle mathématique tient compte de ce genre de choses.
Voilà.
On a vu que toutes ces informations étaient prises en compte pour élaborer un sens de l'équilibre et qu'elles étaient combinées selon des règles probabilistes, selon des modèles bayésiens.
Maintenant, on va rentrer un peu plus dans l'anatomie du cerveau pour voir quelles régions cérébrales combinent ces informations pour faire émerger ce sens de l'équilibre.
Est-ce qu'on a un sens de l'équilibre conscient ?
Par exemple, dans quelle mesure vous arrivez à juger si votre corps est vertical ou s'il est orienté par rapport à l'accélération de la gravité ?
Ici, je présente des données du groupe de Dominic Pérennou, qui est à Grenoble.
Il a inventé un système astucieux.
Vous avez des participants assis sur cette chaise.
Ils sont restreints par des coussins sur les côtés.
Leurs yeux sont bandés.
Ils n'ont pas d'informations visuelles.
Avec cette grande roue, on peut tourner les participants dans un sens ou dans l'autre.
On leur demande d'indiquer lorsqu'ils pensent que leur corps est droit.
Si on teste des participants qui vont très bien, on est très bons pour faire ça.
À plus ou moins 2 degrés par rapport à la verticalité, on arrive à déterminer, à aligner notre corps avec la verticalité.
Toutefois, il y a des patients qui ont des lésions cérébrales et qui perdent cette capacité.
Voici un exemple.
Dominic Pérennou.
-Vous sentez le basculement à droite ?
Fermez les yeux fort, je vous ramène, et quand vous vous sentirez vertical, vous direz stop.
Quand vous vous sentirez vertical, vous direz stop.
Fermez bien les yeux.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS.
-Il a passé la verticale.
Dominic Pérennou.
-Dès que vous êtes droit, vous dites stop.
Participant à l'expérience.
-Stop.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS.
-Donc, vous avez vu, son sens de la verticalité, c'était clairement pas normal.
Cette personne se sent verticale alors qu'elle est en réalité basculée d'une trentaine de degrés sur sa gauche.
C'est un patient qui a eu un accident vasculaire cérébral dans son hémisphère cérébral droit.
Et il est possible, en utilisant des techniques de statistiques, d'analyser le recouvrement des régions cérébrales qui sont le plus fréquemment lésées lorsqu'on n'arrive pas à estimer correctement l'orientation de notre corps dans l'espace.
Ça permet d'identifier les régions du cerveau qui ont l'air d'être impliquées de façon cruciale dans ce sens de l'orientation.
Lorsqu'on fait ce type d'analyse statistique, ce qu'on a fait avec Dominic Pérennou et Julien Barra, on voit qu'il y a peu de régions cérébrales qui sont réellement impliquées dans ce sens de l'équilibre.
Ce sont des régions localisées au niveau de ce qu'on appelle l'insula, une petite région du cerveau en profondeur dans un sillon du cerveau.
C'est surtout cette région, l'insula, qui est impliquée dans le sens de l'équilibre.
L'autre chose sur laquelle je voulais insister, c'est que des troubles de la perception de la verticale posturale, ça n'arrive quasiment qu'après des accidents vasculaires cérébraux dans l'hémisphère droit.
Ça nous a amenés à proposer que l'hémisphère cérébral droit, c'était le cerveau postural de l'homme.
Puisque si des régions sont détruites dans l'hémisphère cérébral droit, certains patients peuvent perdre cette capacité à orienter leur corps dans l'espace.
C'est rarissime après des AVC, des accidents vasculaires cérébraux, dans l'hémisphère gauche.
Ensuite, on s'est demandé dans quelle mesure cette partie du cerveau qui a l'air cruciale pour juger si on est vertical reçoit des informations vestibulaires, ces signaux de l'oreille interne.
On a vu que si on localise les parties du cerveau qui reçoivent ces informations vestibulaires, elles sont localisées dans ce sillon latéral, dans ce cortex insulaire, c'est-à-dire dans des régions très proches de celles qui sont impliquées dans le jugement de l'orientation du corps.
On pense que ces informations vestibulaires alimentent ce réseau cérébral qui nous indique si notre corps est orienté verticalement ou pas.
Mais on n'a pas vraiment conscience que notre cerveau traite ces informations.
Quand on bouge, on n'a pas cette sensation de mouvement qui vient des informations vestibulaires.
On l'a lorsqu'on est malade, on a des vertiges, si on a bu trop d'alcool, on a une sorte de vertige dû à l'alcool, on a cette sensation vestibulaire si on est dans un ascenseur qui donne une accélération importante.
Mais dans la vie de tous les jours, on l'a pas réellement.
Néanmoins, beaucoup de régions du cerveau traitent ces informations vestibulaires.
On a pu le mettre en évidence en analysant le comportement de patients qui ont des crises d'épilepsie qui donnent des sensations vestibulaires, ces sensations de mouvement, de vertige, que la tête ou tout l'environnement autour de la personne tourne.
Lorsqu'on analyse les régions le plus souvent impliquées dans ces sensations, elles sont pas partout : elles sont localisées autour d'un sillon du cerveau, qu'on appelle le sillon latéral.
Elles sont essentiellement autour de ce sillon.
Je rentre un peu dans le détail.
Elles sont localisées dans le gyrus temporal supérieur et dans le lobe pariétal inférieur.
C'est surtout dans ces régions-là qu'on trouve des régions qui, si elles fonctionnent mal, donnent le sentiment conscient d'être en train de tourner qu'on n'a pas quand on est en train de tourner.
Comment on peut vraiment démontrer que le cerveau a un traitement conscient de ces informations vestibulaires ?
Une approche que nous avons utilisée consiste à analyser le comportement de patients qui ont des électrodes implantées dans leur cerveau.
Vous voyez ici ces petits traits horizontaux pointillés.
Ce sont des électrodes qui sont implantées jusqu'à certaines structures profondes du cerveau.
Pourquoi sont-elles implantées ?
Ce sont des électrodes implantées chez des patients qui souffrent d'épilepsies pharmacorésistantes.
Ce sont des patients qui sont candidats à une chirurgie dont le but est d'extraire le foyer de l'épilepsie.
Pour préparer la chirurgie, des électrodes sont implantées pour mieux localiser le foyer de l'épilepsie.
Ces électrodes permettent d'enregistrer l'activité électrique du cerveau.
Ça, c'est une première chose.
Ces électrodes permettent également de stimuler directement le cerveau en envoyant un petit courant électrique.
Le but, c'est de mieux comprendre, pour chaque patient, à quoi sert chacune des régions cérébrales sous chacune des électrodes.
Le but est de bien préparer la chirurgie.
Je vous montre l'exemple d'un patient qui reçoit une stimulation électrique dans ce cortex, l'insula, ce cortex insulaire.
Patient.
-1, 3...
4.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS.
-Il reçoit une stimulation haute fréquence sur plusieurs secondes.
Médecin.
-Vous sentez quelque chose ?
Patient.
-Un peu de...
Médecin.
-Un peu de vertiges ?
Ça tourne dans quel sens ?
Patient.
-Comme ça.
Médecin.
-Dans le sens horizontal.
C'est fini, maintenant ?
Patient.
-Oui, ça va.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS.
-Après, si on rentre dans le détail, si on le questionne, on voit que ce patient a vraiment une perception vestibulaire très précise.
Il est capable de dire qu'il a une sensation rotatoire qui est dans un plan donné, c'est le plan horizontal.
Vous vous souvenez qu'il y a un canal semi-circulaire horizontal qui code les mouvements dans ce plan-là.
Il est également capable de dire si ça tourne dans le sens horaire ou dans le sens antihoraire.
Donc, il a vraiment une perception assez précise, très consciente, de la structure de ce mouvement.
Ce qu'on a vu, c'est que lorsqu'on stimulait cette partie du cerveau, l'insula, il était possible de déclencher tout type de sensations vestibulaires.
Des sensations de rotation qui sont liées aux canaux semi-circulaires.
Des sensations de translation.
C'était par exemple le sentiment de flotter dans la pièce, le sentiment de chuter dans la pièce.
Ou bien des sensations plus complexes.
On a bien des représentations conscientes dans le cerveau de ces informations.
On a des représentations conscientes des informations olfactives, auditives, mais on a du mal, normalement, à extraire cette représentation consciente de l'information vestibulaire.
Néanmoins, elle existe, il y a des régions qui sont dédiées à ce type de traitement.
Ces régions-là, comme l'insula, ce sont des régions multisensorielles, ça veut dire des régions qui vont intégrer tout plein d'informations.
Si on stimule l'insula, ce qu'on a vu, c'est que oui, on enregistre des sensations vestibulaires.
Mais la majorité des sensations, ce sont des sensations somesthésiques, tactiles, comme des picotements, des fourmillements dans certaines parties du corps.
Des sensations viscérosensitives, des sensations viscérales au niveau de l'estomac, des intestins.
Ou des sensations auditives.
Donc, ces régions-là sont bien multisensorielles et vont combiner les informations intéroceptives, proprioceptives, tactiles, vestibulaires.
J'aimerais vous donner quelques exemples qui viennent de la clinique humaine, qui montrent que justement, des troubles des informations vestibulaires vont être capables de perturber l'intégration de ces signaux-là.
En fait, on a une idée de ce type d'influence depuis des travaux de Pierre Bonnier.
C'est un médecin français qui a fait beaucoup de descriptions de patients qui ont des maladies du système vestibulaire à la fin du 19e siècle, au début du 20e siècle.
Il disait qu'un de ses patients qui avait une maladie de l'oreille interne "sentait sa tête devenir énorme, immense, se perdant dans les airs.
Son corps disparaissait et tout son être était réduit à son seul visage."
Ça peut paraître étrange, il n'a pas une maladie neurologique ni psychiatrique, il a juste une maladie de l'oreille interne.
"Son vertige lui donnait la sensation qu'elle n'existait plus de corps."
La perception du corps avait l'air d'être modifiée, perturbée.
Voilà ici le cas d'un autre patient vertigineux.
"Il lui semblait qu'il était divisé en deux personnes, une qui n'avait pas varié d'attitude et une autre, nouvelle, à sa droite.
Finalement, les deux individualités somatiques se rapprochaient, elles fusionnaient et le vertige disparaissait."
C'est étonnant parce qu'on attribue à ce système vestibulaire un rôle dans le contrôle postural, mais on se rend compte que son rôle est bien plus important.
Son rôle est bien plus important parce qu'il est capable de structurer la perception que nous avons de notre corps.
Nous nous sommes développés sous la contrainte permanente de la gravité.
En permanence, ce système vestibulaire reçoit ce type d'informations.
Si les informations vestibulaires sont envoyées de façon erronée vers le cerveau parce que vous avez une maladie du système vestibulaire, on peut penser que ce type d'informations va désorganiser certaines perceptions de votre corps.
Certains patients qui souffrent de maladies du système vestibulaire peuvent rapporter ce type de sensations.
Ça a amené le psychiatre autrichien Paul Schilder à proposer la chose suivante : "Le corps n'est une unité, un tout, que tant qu'il n'y a pas d'irritation particulière dans le champ vestibulaire."
Ça résume bien ce qu'on a dit.
"Une irritation inhabituelle du nerf vestibulaire", ce nerf qui transmet les informations vestibulaires au cerveau, cette irritation "dissocie le modèle postural du corps".
On aurait bien une dissociation, une modulation, un changement de la perception corporelle, dans ce cas-là.
Qu'est-ce qu'on a comme éléments à l'appui de ce type d'hypothèses ?
Je reviens vers les descriptions cliniques de la neurologie.
Nous nous sommes beaucoup concentrés là-dessus avec l'équipe d'Olaf Blanke à l'école polytechnique à Lausanne.
Il s'agit de patients épileptiques, à nouveau, qui ont un trouble neurologique, qui rapportent pendant des crises d'épilepsie des sensations de sortie du corps.
Au cours des crises, les patients sont allongés dans le lit et vont avoir le sentiment d'être projetés à l'extérieur de leur corps.
Ils ne se sentent plus localisés dans le corps.
Et deuxièmement, certains des patients ont l'illusion de voir la pièce depuis cette position.
Quel est le lien avec le système vestibulaire ?
C'est que dans la quasi-totalité des sensations de sortie du corps d'origine neurologique, la dissociation apparente entre le soi et le corps s'accompagne d'illusions vestibulaires.
Sentiment d'élévation du corps, de flottement du corps, sensation d'être projeté à l'extérieur du corps.
Je vous donne l'exemple d'un enfant épileptique qu'on avait décrit avec Lucas Heydrich et Olaf Blanke à Genève.
Pendant sa crise d'épilepsie, cet enfant rapportait que c'était "une sensation de légèreté et de flottement qui était suivie par la sensation intense qu'il était projeté à l'extérieur des limites de son corps, à une position élevée dans la chambre, sous le plafond".
Il se sent flotter.
Il avait également l'impression de voir la pièce et sa mère depuis cette position.
Par contre, il n'avait pas la sensation de voir son propre corps.
C'est un enfant qui avait une crise d'épilepsie au niveau du cortex pariéto-temporal, dont je vous ai parlé tout à l'heure.
Ce cortex traite beaucoup les informations vestibulaires.
Et c'étaient des crises d'épilepsie qui étaient dues à une lésion ischémique de son cortex pariéto-temporal.
On retrouve bien, dans ce cas-là, cette association entre des sensations vestibulaires, "je me sens flotter, je me sens projeté dans l'espace et je perds la localisation du moi par rapport au corps".
Comment on peut expliquer ça ?
Avec l'équipe d'Olaf Blanke, notre interprétation, c'est que ce type de sensations, c'est une illusion créée par le cerveau, le résultat d'un conflit multisensoriel.
On a vu qu'il y avait plein de sens disponibles pour percevoir l'orientation de notre corps dans l'espace.
Si une structure cérébrale ne fonctionne plus correctement, parce qu'il y a une activité épileptique dans cette région...
Excusez-moi.
Dans ce cas, les différents signaux sensoriels qui arrivent dans cette région ne sont pas intégrés de façon congruente.
Il y a un conflit entre ces signaux sensoriels.
Et nous pensons qu'il y a en particulier un conflit entre les informations vestibulaires, les informations visuelles qui nous renseignent sur l'orientation du corps dans l'espace, et un conflit entre ces informations-là et les informations somesthésiques et tactiles qui nous renseignent sur la position de notre corps, comme être allongé.
Si toutes ces informations sensorielles ne sont pas congruentes, le cerveau doit bien créer une perception.
On doit bien avoir une perception d'être localisé quelque part.
Nous interprétons ce type de sortie du corps comme une illusion d'être localisé ailleurs.
C'est la meilleure solution créée par le cerveau pour expliquer l'ensemble des données disponibles.
Bien.
Ces illusions de sortie du corps sont essentiellement rencontrées après des épilepsies ou des lésions dans une région du cerveau qui est la jonction temporo-pariétale.
On en a parlé, c'est une région qui reçoit de façon importante des signaux sensoriels vestibulaires de l'oreille interne.
Est-ce qu'on peut tester scientifiquement, empiriquement, par des approches des neurosciences ou de la psychologie expérimentale, cette hypothèse que des conflits multisensoriels vont changer la perception de l'orientation du corps dans l'espace ?
Je vais vous parler de ça.
Ce type d'approche, c'est initié, déjà, par des travaux de la psychologie expérimentale de George Stratton, qui est un psychologue américain.
Il a eu l'idée, à la fin du 19e siècle, d'inventer un système de miroirs combinés.
C'est un système de 3 miroirs qu'il a fixés à sa tête.
Vous avez un miroir près des yeux, deux miroirs au-dessus de sa tête et l'ensemble est fixé.
Et si...
Si les miroirs étaient positionnés de cette façon, Stratton avait l'impression de voir son corps orienté horizontalement devant lui.
Il avait beaucoup de temps, à cette époque, et il a porté ce système pendant plusieurs jours.
Il s'est baladé dans la rue, etc., il l'a gardé en permanence.
Et au bout de certains jours, la perception de Stratton a changé.
Au bout de certains jours, Stratton nous décrit qu'il a l'impression qu'il est en train de flotter en l'air et qu'il est en train de regarder son corps depuis une position élevée.
Il nous dit que c'est comme s'il se voyait lui-même depuis une position au-dessus de sa tête.
Il y a un changement de la direction de sa perspective, la perspective visuo-spatiale.
Là, la perspective que j'ai du monde est horizontale, elle part de moi, elle va vers vous.
Lui, il a une perspective descendante, il a l'impression de regarder son corps depuis le haut.
C'est juste les conséquences d'une adaptation sensorimotrice qui a duré plusieurs jours.
On a suivi ce type d'idées avec le groupe d'Olaf Blanke.
C'est un travail fait par Christian Pfeiffer.
On a travaillé avec un robot qui a eu pour but de créer des conflits entre les informations tactiles et les informations visuelles.
Ça part de la même idée que Stratton.
Ce robot, c'est une sorte de planche avec des moteurs qui vont déplacer des petites boules.
Le participant est couché sur ce robot.
Lorsque le participant est couché sur ce robot, les moteurs sont actionnés et vous avez deux boules qui se déplacent.
Ces boules vont aller gratter le dos des participants.
Les participants vont sentir dans leur dos une stimulation tactile.
Voilà ce qu'ils ressentent.
Pendant qu'ils sont allongés, ils portent un casque de réalité virtuelle.
C'est une sorte de petit écran positionné face à la tête des participants.
Et dans ce casque de réalité virtuelle, on va leur montrer le corps d'une personne qu'ils ne connaissent pas, vue de dos.
Ils voient un corps comme ça.
Sur ce corps, il y a deux petits points rouges.
Ces deux points rouges vont se déplacer également.
Ils vont se déplacer en permanence et on va créer deux situations.
Dans une situation, les deux points rouges se déplacent de façon synchronisée avec les boules qui se déplacent dans le dos des participants.
Ça veut dire que les gens sont touchés à un certain endroit, ils voient le corps devant eux être touché en même temps exactement au même endroit.
C'est une condition synchronisée.
Une condition asynchrone, c'est le cas où ils sont touchés dans leur dos mais le corps qu'ils voient est touché à d'autres endroits, à un autre moment.
La première chose qu'on peut faire, c'est mesurer à quel point les participants s'identifient à ce corps, à quel point c'est comme si c'était leur propre corps, la question est formulée de cette façon.
Après des stimulations synchronisées, ici en vert, ce sentiment d'identification est bien plus important qu'après des stimulations asynchronisées.
Ce corps, c'est plus comme si c'était leur corps, ils s'identifient plus à ce corps après ces stimulations synchrones.
La deuxième chose, et c'est la plus intéressante, c'est qu'il y a deux types de perceptions de l'orientation du corps des participants.
J'ai perdu une image.
La moitié des participants, ils rapportent la chose suivante : ils sont allongés sur le dos et ils ont le sentiment de regarder un autre corps au-dessus d'eux.
En fait, c'est la réalité.
Ils sont allongés sur le dos et regardent un corps au-dessus d'eux.
L'autre moitié des participants a le sentiment inverse.
Je ne sais pas pourquoi l'image n'apparaît pas.
C'est très simple à décrire.
L'autre moitié a une sensation inverse, ils ont le sentiment de flotter dans la pièce...
et de regarder en bas vers le corps.
C'est assez fascinant parce que ces deux groupes de participants ont reçu exactement le même type de stimulations sensorielles tactiles et visuelles.
Néanmoins, l'interprétation qu'ils en font est radicalement différente.
Ceux-là sont allongés sur le dos et regardent de bas en haut, ceux-là ont l'impression de flotter et de regarder de haut en bas vers un corps.
Donc l'interprétation qu'ils font des signaux est totalement différente.
C'est ce qu'ils rapportent, mais on peut mesurer de façon un peu plus précise leur sentiment de localisation dans la pièce.
Donc on leur a demandé de tenir un petit ballon dans leur main droite.
On leur demande d'imaginer lâcher ce ballon et d'appuyer sur un bouton avec leur main gauche lorsqu'ils pensent que le ballon arrive au sol.
Vous comprenez l'idée.
Si vous avez l'impression que vous êtes élevé dans la pièce, il faut plus de temps pour que le ballon arrive au sol.
Si vous êtes proche du sol, il faudra moins de temps.
On a pu mesurer ce genre de choses dans ces deux groupes de participants et voilà ce qu'on observe.
Chez les participants de ce groupe, ceux qui ont l'impression d'être en train de flotter, chez les participants de ce groupe, il faut plus de temps pour imaginer que la balle atteigne le sol.
Ils ont bien l'impression de flotter dans la pièce et de se trouver dans une position plus élevée que le deuxième groupe.
Je rentre pas dans le détail, mais la synchronisation des stimulations a également des effets opposés dans les deux groupes dans la mesure où les gens qui sont allongés sur le dos, pendant la stimulation synchronisée, vont avoir l'impression de se sentir plus proches du corps au-dessus d'eux.
Ceux qui sont en train de flotter, pendant la stimulation synchrone, vont avoir le sentiment de descendre vers le corps qu'ils observent.
Je trouve que c'est une jolie démonstration que si on crée un conflit entre plusieurs informations, l'interprétation qui est faite par les participants est différente.
On n'a pas tous le même sens de l'espace.
Et deuxièmement, l'orientation, la localisation perçue du corps va changer d'une personne à l'autre.
Pour conclure, on a vu que le cerveau allait combiner de façon statistique, bayésienne, comme on dit, en utilisant les règles de Bayes, différents signaux sensoriels.
Les travaux d'électrophysiologie le montrent.
Nous n'avons pas tous le même sens de l'espace, dans la mesure où nous utilisons de façon différente ces signaux.
Nous ne mettrons pas le même poids sur chaque information pour contrôler notre équilibre.
Et l'avantage de cette redondance sensorielle, c'est que si la vie fait que nous allons avoir un déficit dans les modalités sensorielles, nous allons pouvoir compenser ce déficit grâce aux autres sens disponibles.
Et on peut évidemment s'entraîner à utiliser ces différentes modalités sensorielles dans le but de compenser une modalité qui serait déficiente.
Voilà, je vais pas vous en dire plus.
La recherche ne se fait pas seule, ne se fait pas sans argent non plus, donc je vais remercier les nombreuses personnes qui ont participé aux études que j'ai présentées dans notre équipe du CNRS à Marseille, et nos collaborateurs qui sont à Lausanne, à Genève, à Bern, à Lyon, à Saint-Étienne également.
Et je vous remercie beaucoup pour l'attention que vous avez portée à cette présentation.
Auditrice 1.
-Bonjour.
Je voudrais que vous me disiez ce qui se passe dans les vertiges de Ménière.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS.
-Ce qui se passe du point de vue des personnes ?
On peut préciser, pour les personnes qui ne savent pas ce que sont les vertiges de Ménière, que c'est une des nombreuses pathologies qui affectent le système vestibulaire dans l'oreille interne.
Il y en a de nombreuses.
La maladie de Ménière est une maladie qui se caractérise par des vertiges rotatoires qui arrivent par crises, qui sont très invalidants, des pertes auditives également et des acouphènes, des bourdonnements d'oreille.
Ces 3 symptômes combinés peuvent faire penser à une maladie de Ménière ou à d'autres choses, mais la maladie de Ménière se caractérise par ça.
L'origine de la maladie est assez obscure mais elle se caractérise par, on pense, une pression des liquides qui sont dans l'oreille interne.
Cette pression va fluctuer et va entraîner, lorsque la pression est trop importante, des crises vertigineuses extrêmement invalidantes dans la mesure où la personne va avoir des sensations rotatoires intenses qui peuvent l'amener à chuter et nécessiter qu'elle s'allonge, sinon elle ne peut pas tenir debout.
Auditrice 1.
-Comment se fait-il qu'en provoquant un mouvement accéléré, on rééquilibre les pressions ?
Puisque le traitement, c'est de faire basculer les gens à grande vitesse.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS.
-Ça, c'est une confusion avec une autre maladie de l'oreille interne qui est traitée par des mouvements rapides, si je comprends bien.
Auditrice 1.
-Les médecins appellent ça vertiges de Ménière.
A tort ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-La maladie de Ménière, c'est celle que je vous ai décrite, qui combine ces 3 symptômes.
Je pense que ce à quoi vous faites référence, ce sont des maladies qu'on appelle des canalolithiases, des cupulolithiases, qui entraînent des vertiges rotatoires, dont l'origine est différente de la maladie de Ménière et qui peuvent être soignées par des mouvements rapides de la tête prolongés.
Mais ce sont deux choses qui sont très différentes, même si, à tort, dans le langage courant, parfois les deux pathologies sont appelées de la même façon.
Mais ce sont deux choses très différentes qui ont des origines radicalement différentes et des traitements différents.
Auditrice 1.
-Donc la vraie maladie de Ménière est difficile à traiter, dans ces cas-là.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Elle est beaucoup plus difficile à traiter mais moins fréquente que la maladie que vous évoquez.
Auditrice 1.
-Il faut changer la dénomination chez les corps médical et paramédical.
Auditrice 2.
-La deuxième pathologie s'appelle un vertige paroxystique bénin.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Tout à fait.
Auditrice 2.
-Ce sont les gens qui, couramment, disent vertige de Ménière en mélangeant les deux.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Le terme de la deuxième pathologie à laquelle vous pensez, c'est un vertige paroxystique positionnel bénin, nom complexe, mais la maladie n'a rien à voir avec la maladie de Ménière.
Auditrice 3.
-Vous avez dit que le cerveau postural était dans l'hémisphère droit.
Mettez-vous ça en relation avec le fait qu'en général, on a un meilleur équilibre sur sa jambe gauche, à la danse, par exemple, même si la jambe gauche est plus faible que la jambe droite ?
La deuxième question, c'est : y a-t-il une différence d'équilibre entre hommes et femmes ?
Les hommes ont, par rapport à leur corps, des bras plus longs.
Par exemple, est-ce que vous, vous avez observé un meilleur équilibre chez les hommes ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Pour répondre à votre première question, je ne sais pas si on a un meilleur équilibre sur la jambe gauche que sur la droite.
Je ne sais pas.
C'est peut-être le cas.
Effectivement, l'hémisphère cérébral droit est censé contrôler l'aspect moteur de l'hémicorps gauche, ça pourrait être en lien.
Mais ça paraît être aussi...
Est-ce que tenir mieux sur la jambe gauche ou la jambe droite, c'est pas lié au fait d'avoir un pied directeur qui peut changer en fonction des droitiers ou gauchers ?
Les gens des sciences du sport pourraient nous éclairer là-dessus.
J'ai pas d'hypothèses sur ça en particulier.
Votre deuxième question, c'est si les hommes et les femmes diffèrent dans leur capacité d'équilibre.
En général, non, mais leur utilisation des informations sensorielles n'est pas la même.
L'utilisation des informations visuelles, pour l'équilibre postural, change.
Certaines expériences montrent que les femmes ont tendance à être plus dépendantes des informations visuelles que les hommes pour le contrôle postural ou pour juger si un objet est orienté verticalement, par exemple.
Il semble y avoir un ancrage un peu plus fort sur les références visuelles chez les femmes.
Mais tout ça est modulé par d'autres choses.
La pratique sportive change le poids qu'on va accorder aux différentes entrées sensorielles.
Si vous testez des danseurs de ballet, par exemple, qui sont très entraînés...
Je veux dire des danseurs professionnels.
Ils n'ont pas les mêmes stratégies sensorielles que nous, que moi, je fais pas de ballet.
Mais peut-être vous.
Ils sont par exemple moins dépendants des informations visuelles que la population qui n'est pas danseur de ballet.
Donc la perception de l'espace, l'utilisation des entrées sensorielles dépend de notre activité sensorimotrice au quotidien.
Et en particulier du fait qu'on va solliciter plutôt un canal ou un autre du fait de notre pratique professionnelle sportive.
Auditeur 1.
-Dans votre formule mathématique, il y avait à la fois la vision et le vestibule.
Quels sont les facteurs les plus importants quand les gens ont des problèmes d'équilibre ?
Est-ce que c'est la vision ou le vestibule ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Oui, la formule mathématique marche pour tous les sens.
Moi, j'ai choisi d'illustrer ce qui se passe si on confronte la vision et le vestibule.
On aurait pu utiliser la vision et le toucher.
Ça marcherait de la même façon.
En gros, si je comprends bien votre question, il s'agit de savoir si les personnes qui ont des troubles de l'équilibre utilisent plutôt une information sensorielle ou une autre ?
Auditeur 1.
-Si c'est la vision qui est la cause principale ou si c'est le vestibulaire.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Beaucoup de travaux ont porté sur des malades qui n'ont plus de système vestibulaire ou qui souffrent de vertiges d'origine vestibulaire.
On sait que l'information visuelle, chez eux, est une source de compensation prépondérante de leur déficit.
Ça veut dire qu'ils vont s'ancrer beaucoup sur ces références visuelles.
Je vous montrais au début l'exemple d'une personne qui était devant un environnement visuel qui se déplaçait.
Si vous mettez une personne qui va très bien devant, la personne bouge un peu.
Si vous mettez une personne qui n'a pas de système vestibulaire, vous pourriez la faire chuter parce qu'elle a un ancrage tel sur ces références visuelles qu'elle va être "emportée" par cette information visuelle parce qu'elle va interpréter le mouvement visuel comme un mouvement du corps propre.
C'est l'illusion du train, vous avez ce train qui démarre lentement et vous avez l'impression que c'est vous qui bougez.
Ça ne dure pas très longtemps.
Mais si les signaux vestibulaires ne viennent pas contrecarrer cette illusion, vous pouvez être emporté.
Ça bouge à côté de moi parce que c'est moi qui bouge.
J'ai moins de signaux sensoriels qui disent que je ne bouge pas.
Il est bien montré que l'ancrage sur les références visuelles est crucial si on perd ces signaux vestibulaires.
Auditrice 4.
-Je voudrais savoir si le mal de mer s'apparente à un trouble de l'équilibre, puisque tous les facteurs multisensoriels que vous avez décrits y sont présentés.
La vision, la statique au sol.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Le mal de mer, on pourrait en distinguer deux formes.
Le mal de mer où vous êtes dans votre cabine de bateau et, dans votre cabine de bateau, votre système vestibulaire vous dit que vous êtes en train de bouger, le bateau tangue, mais la cabine qui est devant vous bouge avec vous.
Votre système visuel vous dit que vous ne bougez pas.
C'est un conflit multisensoriel.
C'est un problème pour le cerveau, il y a 2 informations différentes.
Une information de mouvement et une information de non-mouvement.
Le mal au cœur, la nausée qui peut être déclenchée dans cette situation, ça a été décrit par certains comme une réaction physiologique normale à ce conflit-là.
C'est une façon de résoudre ce conflit, c'est un danger.
Le mal de mer qui est différent, vous pouvez l'avoir sur le pont du bateau.
Vous bougez et vous voyez que ça bouge autour de vous.
Ça, c'est un peu plus délicat à expliquer.
Mais ça arrive si le bateau bouge pas mal, en général.
Ce qu'on connaît bien, j'en ai pas du tout parlé, mais ce nerf vestibulaire qui emmène les informations vers le cerveau envoie beaucoup d'informations dans le tronc cérébral, dans des structures impliquées dans ce qu'on appelle le contrôle végétatif du corps.
Beaucoup de projections vont sur des noyaux qui sont impliqués dans le contrôle de la nausée, les centres du vomissement, etc.
Il y a une forte relation entre ce système vestibulaire et le système émotionnel.
Vous devenez pâle, la tension baisse, etc.
C'est dû à ces nombreuses projections vestibulaires sur ces noyaux vestibulaires qui vont contrôler le système végétatif.
On n'est pas tous égaux.
Je ne paierais pas pour aller sur un bateau, ça me donne mal au cœur.
D'autres vont payer pour aller dans des fêtes foraines stimuler ce système vestibulaire, alors que d'autres vont l'éviter.
On n'est pas tous égaux et on va pas tous aimer cette sollicitation vestibulaire de la même façon.
Notre système ne va pas interpréter et aimer de la même façon cette sollicitation vestibulaire.
Auditeur 2.
-Je suis là.
Je voudrais savoir, premièrement, comment on arrive à ne pas détruire les cellules du cerveau en introduisant des électrodes.
Ça, c'est une première chose.
Deuxièmement, en ce qui concerne le système otolithique, vous nous avez bien montré avec un schéma les petits cailloux au-dessus du gel qui repose sur les cils.
Donc, je suppose que c'était un peu schématisé, mais l'accélération, on la ressent aussi bien assis dans le train ou dans une voiture que quand on est couché.
Donc quand on est couché, tout ce schéma-là, il est...
Les cailloux ne sont plus sur le gel.
Mais on ressent quand même l'accélération.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-En fait, je n'ai pas eu le temps de le décrire, mais dans notre système vestibulaire, on a deux chambres, deux types de récepteurs sensoriels, qui contiennent ce genre de structures.
Dans une chambre, ces récepteurs sont orientés horizontalement.
C'est spécialisé dans la détection des accélérations linéaires horizontales.
Dans l'autre chambre, ils sont orientés verticalement.
Et eux sont spécialisés dans la détection des accélérations verticales.
Donc déjà, de base, dans une position donnée, ces deux systèmes sont orientés dans une position orthogonale et vont permettre de coder des mouvements dans des plans orthogonaux et n'importe quel type de combinaison.
En fait, dès qu'on réoriente la tête, ça change rien.
Si vous faites une accélération horizontale, ça marche, verticale, ça marche.
Mais n'importe quel type d'accélération qui serait dans une position intermédiaire de ces deux plans, ça fonctionnerait aussi.
Si vous êtes en position statique allongée, ça marche aussi parce que vous allez sentir la force de la gravité qui s'exerce sur cette membrane.
L'ensemble de la membrane va basculer du fait du poids de ces cristaux.
L'ensemble bascule sous l'effet de la gravité.
Donc, en permanence, vous envoyez un message d'inclinaison du corps à votre cerveau.
Ça, ça marche à tous les coups.
Auditeur 2.
-Le système, verticalement, c'est aussi à base de cristaux ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Oui, c'est pareil.
Auditeur 2.
-Normalement, les cristaux ont toujours tendance à aller vers le bas.
Horizontalement, je comprends bien, quand il y a un mouvement, bon.
Mais si c'est le même système et que vous êtes verticalement positionné, les cristaux vont vers le bas, donc les cils devraient avoir l'impression...
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Ça vous indique une position de repos, une position de base.
Autour de cette position, ça va bouger.
Si vous faites un mouvement de montée, ça bouge, si vous descendez, ça bouge aussi.
Autour de cette position de base, ça va bouger.
Auditeur 2.
-En ce qui concerne les électrodes, on arrive à les introduire...
Le cerveau, c'est des milliards de cellules.
En introduisant une aiguille, j'ai de la peine à comprendre qu'on ne détruise pas un morceau...
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-C'est des microélectrodes.
C'est très fin.
Oui, c'est invasif.
Ça veut dire, sur le trajet, j'imagine, je sais pas si quelqu'un a déjà quantifié ce genre de choses, qu'il doit y avoir destruction de quelques cellules, mais sans dommage aucun.
C'est extrêmement fin.
Extrêmement fin.
Par ailleurs, dans ce genre de cas, ce n'est pas implanté de façon massive dans la population, c'est très rare, le jeu en vaut la chandelle, comme on dit.
Auditrice 4.
-Ma question porte sur le vestibulaire aussi.
En fait, après une maladie, une personne peut avoir une perte d'équilibre sur la gauche, par exemple.
Est-ce qu'elle retrouve systématiquement, comme vous avez dit qu'ils avaient étudié et que le canard allait retrouver...
Est-ce que c'est systématique qu'on retrouve, ou pas ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Ça dépend de la maladie, en fait.
C'est difficile de répondre, on pourrait avoir plein de réponses en fonction du type de maladie.
Par exemple, dans le cas des destructions du système vestibulaire, si c'est une destruction qui n'est que d'un seul côté, les personnes compensent leur déficit au cours du temps en utilisant les informations de l'oreille qui marche bien et en utilisant les informations visuelles, les informations tactiles, etc.
S'il y a une destruction d'une oreille, même totale, vous n'avez plus du tout d'informations d'une oreille, vous allez compenser assez bien certains déficits en quelques mois.
Auditrice 4.
-En fait, je pense à la méningite.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Donc là, ça n'a plus rien à voir.
Auditrice 4.
-Pourtant, c'est la cause qui a provoqué le déséquilibre vestibulaire sur la gauche.
Alors est-ce que c'est la ponction lombaire ou est-ce que c'est la méningite ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Je n'en ai aucune idée, je ne peux pas répondre à votre question.
Auditrice 5.
-Moi, je reviendrai plutôt sur la sensation de flottement.
Je l'extrapolerais plutôt à une situation de sensation de flottement qui a lieu après des séances de relaxation Alpha ou de sophrologie.
Là, on est vraiment dans une situation de relaxation totale, il n'y a aucune réception de stimulus extérieur, etc.
Donc, est-ce qu'on est en raison de parler d'un certain conflit sensoriel qui provoquerait un déséquilibre vestibulaire ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-C'est une très bonne question, dans le sens où ça me permet de compléter ce que j'ai dit.
L'explication, le modèle du conflit multisensoriel, on l'utilise pour expliquer ce qui se passe dans le cas où quelque chose ne va pas bien dans le cerveau, une crise d'épilepsie.
Ça serait pas forcément le même modèle dans les situations que vous décrivez.
Des sensations de flottement du corps ou de décorporation, c'est fréquent chez des gens qui, neurologiquement, psychiatriquement, vont bien, même sans prendre de drogues.
Selon certaines études anglo-saxonnes, 5 % de la population générale ont une fois dans leur vie une illusion de sortie du corps, en dehors d'une crise d'épilepsie ou d'un trouble neurologique.
Même chez nous tous, les sensations de flottement, de chute libre, sont des sensations très fréquentes, par exemple au moment du réveil, de l'endormissement.
Je sais pas si certains ont ressenti ça.
C'est très répandu.
Ça fait partie de ces phases particulières du sommeil, de l'endormissement, du réveil, où il y a des hallucinations hypnagogiques, hypnopompiques, où il y a un changement de la perception corporelle.
Pourquoi ça arrive après des séances de méditation, au moment de l'endormissement ?
Les modèles neuroscientifiques sont assez flous pour expliquer ça.
Mais vraisemblablement, ça arrive dans des positions de repos.
Vous êtes allongé, il y a peu d'activité musculaire, le système vestibulaire n'est pas sollicité, à part l'activation de base de l'accélération gravitaire.
Et on pense quand même que c'est une situation où les entrées sensorielles sont atténuées.
Ces sensations de sortie du corps, leur fréquence chez les volontaires sains, c'est 80 % des cas quand vous êtes allongé sur le dos.
C'est rare que ce soit quand on est assis ou debout en train de bouger.
Je sais pas comment on l'explique.
On l'explique pas comme un conflit multisensoriel, effectivement.
Moi, j'ai pas l'explication, mais on note que ça arrive dans des situations où les systèmes sensoriels ont l'air d'être dans un état de sollicitation moindre.
À ma connaissance, pour l'instant, on n'a pas un modèle neuroscientifique qui permette d'expliquer ça, mais je suis d'accord pour dire que ça rentre pas dans le cadre d'un conflit multisensoriel.
Je sais pas si vous avez entendu la question du monsieur.
Je vous réponds après.
Auditeur 3.
-Toujours dans le cas de ceux qui se voient flotter dans l'espace, est-ce qu'ils voient leur corps de face ou bien de dos ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Ça, c'est effectivement pas quelque chose qui est systématique.
Mais dans les illusions de sortie du corps de type neurologique, parfois, les personnes ont l'impression de voir leur corps.
S'ils se voient, ils se voient de face.
Auditeur 3.
-Par exemple, s'ils ne connaissent pas la couleur du sol, comment ils vont la décrire ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-En fait, ce qu'ils ont l'impression de voir, c'est un peu comme la pièce, mais c'est pas exactement la pièce.
D'ailleurs, même l'apparence de leur corps, ça peut être eux-mêmes un peu plus jeunes ou un peu différents.
C'est pas comme ils sont à ce moment-là, c'est une forme d'eux-mêmes qui est pas exactement ce qu'ils sont à ce moment-là.
Auditeur 3.
-C'est juste une imagination.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoirede neurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Oui.
Je le considère comme ça, en tout cas.
Comme une reconstruction d'un point de vue, la reconstruction d'une perspective, c'est comme ça que je l'interprète.
Auditeur 4.
-Pour ce qui est du vertige commun, le vertige par rapport à un vide, le vertige des hauteurs, il n'y a pas de conflit parce que c'est juste un problème visuel, au niveau de l'oreille interne, il n'y a rien, c'est autre chose.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Il y a plusieurs hypothèses pour ça.
Je dois reconnaître que je ne suis pas à jour sur le modèle du vertige des hauteurs.
Il y a certaines interprétations qui sont liées à la fixation que vous faites.
La fixation proche versus lointaine d'objets.
Ça, c'est un des modèles.
C'est-à-dire que si vous regardez loin, vous fixez un objet très loin, vous avez une capacité à focaliser dessus.
Si vous regardez près, vous avez une autre capacité.
C'est des facteurs qui ont l'air d'influencer...
c'est pas un conflit multisensoriel, mais ça a l'air d'influencer le développement des vertiges des hauteurs.
Auditeur 4.
-Le regard est fixé sur un point ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-C'est lié à ça.
Pour certaines personnes, ça a été décrit.
Vraiment, je reconnais que je ne suis pas spécialiste de ces aspects-là.
On avait une question.
Je crois qu'on a une question de Monsieur.
Auditeur 5.
-Je m'excuse de vous avoir interrompu, mais comme c'était la suite d'une "near death experience", je crois, c'est un peu le même genre.
Sans aller trop loin.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-On peut préciser, peut-être, pour l'audience, que vous parlez de ce qu'on appelle les expériences de mort imminente.
Auditeur 5.
-Je cherchais le terme.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Il s'agit de patients, par exemple, qui ont eu un arrêt cardiaque prolongé, qui peuvent être réanimés et qui, après, rapportent certaines choses.
Un type de sensation des expériences de mort imminente, une des composantes, ce sont les sensations de sortie du corps.
Mais, à nouveau, c'est une condition médicale où la physiologie du corps et la physiologie cérébrale sont modifiées de façon durable.
Quelques minutes, par exemple.
Le cerveau est en état de souffrance.
Ça veut dire un manque d'apport en oxygène, en nutriments, etc.
Mais vous avez raison, l'illusion de sortie du corps, c'est une des composantes classiques rapportées par les gens qui rapportent une expérience de mort imminente.
Auditeur 5.
-J'avais une question plus importante.
Quand on a des vertiges, ça peut être soit quelque chose ici, les cellules ciliées, par exemple, de la même façon qu'on perd l'audition dans la cochlée.
Ou est-ce que c'est une suite d'AVC ou d'un truc dans ce genre-là ?
Ça peut être l'un ou l'autre, pour le diagnostic médical.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-C'est difficile, le diagnostic des vertiges.
Si c'est un vertige d'origine vestibulaire, ça peut être un problème qui va de la périphérie de l'oreille jusqu'au cerveau, c'est difficile de savoir.
Auditeur 5.
-Ça peut être uniquement là-dedans.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Ça peut être un problème d'oreille interne ou du nerf qui amène les informations, un problème dans le premier relais de ce nerf dans le tronc cérébral ou dans les différents relais qui amènent les informations depuis ce nerf jusqu'au cerveau, au cortex.
Il y a des causes très multiples.
Et encore, on ne parle que du système vestibulaire.
Il y a des causes multiples pour expliquer ça.
Les spécialistes ORL et les neurologues font leur travail en arrivant à décrypter si c'est une origine périphérique ou centrale, ça veut dire dans le cerveau.
Il existe des tests qui permettent d'arriver à déterminer l'origine du vertige dans la plupart des cas.
Auditrice 6.
-Justement, ma question est celle-ci : lorsqu'on est amblyope, qu'on n'y voit que d'un œil ou peu de l'autre, est-ce que ça peut pas procurer des vertiges ?
Je suis amblyope et j'ai quelques vertiges qui sont pas élucidés.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Je ne sais pas, je ne sais pas du tout.
Auditrice 6.
-J'ai toujours eu des vertiges, mais je m'en suis pas plainte.
Mais avec l'âge, je me demande si ça compte un peu.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Je ne sais pas du tout.
Auditeur 5.
-Une toute petite chose à propos du mal de mer.
Mon expérience, j'étais sur un pont de bateau où il y avait une tempête épouvantable, et c'est quand je suis rentré dans la cabine que l'eau du lavabo a fait comme ça.
Donc c'était uniquement visuel, c'est un petit détail qui m'amuse.
Auditrice 2.
-Je voulais vous demander s'il y avait une recherche sur le rôle du cervelet dans l'intégration des différentes sources d'information qui participent à l'équilibre.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Oui.
Je n'ai pas parlé de cette structure cérébrale, le cervelet.
Effectivement, c'est une structure qui joue un rôle majeur dans le traitement des informations vestibulaires, mais pas seulement.
C'est une structure qui intègre plein d'informations.
C'est une structure très complexe qui contient plus de neurones que les hémisphères cérébraux.
La première structure relais des informations vestibulaires dans le tronc cérébral, sa première source d'information, c'est le cervelet.
Ce cervelet va contrôler le traitement des informations vestibulaires.
C'est quelque chose de très important.
Actuellement, ce sont des thématiques de recherche qui sont malheureusement un peu en train de tomber en désuétude.
Mais la physiologie vestibulaire, dans les années 70, 80, 90, s'est beaucoup intéressée au cervelet.
À l'époque, beaucoup de travaux étaient faits chez l'animal avec des enregistrements de réponses électrophysiologiques dans le cervelet du singe, du chat.
C'est des études qui ont moins lieu actuellement.
Donc, c'est une recherche qui progresse moins ou moins vite.
Mais elle a eu beaucoup d'intérêt dans les années 60, 70, 80, 90.
En France, il y a eu beaucoup d'équipes à Lyon, à Paris, qui ont décrit ce type d'interactions visuo-vestibulaires dans le cervelet.
Donc, région cruciale pour cette intégration multisensorielle.
Auditeur 6.
-Vous nous avez montré l'importance des éléments neurophysiologiques dans la construction de l'image du corps.
Vous avez cité Schilder, or, il a montré qu'à côté des données physiologiques, il y avait une grande importance à accorder aux données sociologiques et aux données psychanalytiques de type freudien.
Sommes-nous condamnés à juxtaposer les points de vue physiologique, sociologique et psychanalytique, ou avez-vous, comme chercheur, la possibilité d'exercer une synthèse sur ces 3 points de vue ?
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Oui, oui.
C'est la tendance actuelle.
On essaye de combiner des approches variées.
On a une spécialité.
Moi, je suis plutôt connaisseur des neurosciences.
Mais j'essaie de lire ce qui se passe en psychologie expérimentale.
Je ne lis pas ce qui se passe dans le domaine de la psychanalyse, mais certains chercheurs font leur force, justement, de ce type de fusions.
À Paris, on a des chercheurs, à l'ENS, par exemple, des philosophes, notamment, qui sont spécialisés dans l'intégration de toutes ces données.
C'est des gens qui vont lire les philosophes, les psychiatres, les psychanalystes.
Ils vont fouiller les données des neurosciences et essayer de faire la synthèse de tout ça.
J'ai pas la prétention de faire ça.
Mais certains chercheurs arrivent à synthétiser ce genre de données.
Schilder est intéressant parce qu'il a réussi à compiler ce genre de choses-là.
Il a regroupé des données en neurologie de ses contemporains.
Et, lui-même, il avait cette attirance...
Bon, c'est pas qu'un psychanalyste mais c'est aussi un psychanalyste, donc il accorde une place importante à la structure libidineuse du corps, qu'il décrit bien, qui est en parallèle, justement, avec la physiologie.
Je suis pas sûr que lui non plus ait réussi à concilier ces approches-là.
C'est des parties bien séparées dans son ouvrage.
On a du mal à les accorder, lui-même a du mal à les accorder.
Une thématique émerge en ce moment.
Je suis très dubitatif par rapport à ça.
Ça s'appelle la neuropsychanalyse, qui essaie de combiner des approches, des données qui viennent de la psychanalyse ou des approches d'inspiration psychanalytique et des neurosciences plus contemporaines.
Il y a des groupes de recherche à Londres, par exemple, qui ont cette étiquette de neuropsychanalyse.
Ces gens ont une formation de neurosciences mais ils ont une ouverture d'esprit plus développée que la mienne sur la psychanalyse.
Auditeur 6.
-On le voit bien dans l'apprentissage de l'enfant à l'égard de certaines spécialités sportives.
Les données psychologiques interviennent de façon majeure.
La peur, les données relationnelles, l'angoisse devant une difficulté.
Et on se demande dans quelle mesure priment les données purement neurophysiologiques ou, au contraire, les données affectives.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Ça, c'est crucial.
C'est une ligne de recherche qui me plaît beaucoup.
Le contexte social, le contexte environnemental, dans quelle mesure ils changent l'interprétation des signaux sensoriels ?
Si on vous demande...
Chez le médecin, vous allez faire un test de posture, d'équilibre.
Dans quelle mesure le contexte social change cela ?
Évidemment, ça va le changer.
Vous avez 2-3 personnes autour de vous qui vous ont mis dans une situation stressante.
Ça va avoir une influence sur ce traitement de l'équilibre et le traitement des conflits sensoriels.
On a des approches de la psychologie expérimentale, qu'on appelle la psychologie sociale, d'ailleurs, qui montrent que le contexte social va changer votre façon d'intégrer deux informations sensorielles.
Par exemple, un conflit visuo-tactile.
L'environnement social va changer votre capacité à gérer ce conflit visuo-tactile.
Donc je suis d'accord, l'environnement social, les personnes qui sont autour de vous, ce que vous appelez l'environnement psychologique, ça va moduler la capacité du cerveau à gérer les conflits.
Auditeur 6.
-On peut penser que le schéma corporel d'un judoka est très différent de celui d'un danseur, d'un sauteur à la perche ou d'un joueur de rugby.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-On peut le penser, oui.
Médiatrice.
-Dernière question.
Auditeur 7.
-Je marche bien, je manque d'équilibre, on a examiné mes oreilles en détail, on n'a rien trouvé.
On a fait passer du courant dans les nerfs de mes jambes, on a trouvé que c'étaient eux qui ne transmettaient pas bien au cerveau les informations venant de la plante des pieds.
C'était pour ça que j'étais déséquilibré.
Ça n'avait rien à voir avec les oreilles.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-C'est pour ça que c'est difficile de trouver l'origine des problèmes de l'équilibre.
On a vu la variété des systèmes sensoriels impliqués.
Vous imaginez, vous allez chez le médecin et vous dites : "Je suis instable."
Enfin, par la posture.
Quelle est l'origine de l'instabilité ?
Ça peut être très multiple.
Ça peut venir d'un des capteurs sensoriels, d'une des voies nerveuses qui amènent le signal d'un de ces capteurs vers le cerveau.
J'ai peu parlé, malheureusement, des informations qui viennent de la plante des pieds.
On n'en a pas conscience, mais c'est quand même très important.
Il y a beaucoup d'expériences qui montrent qu'on pourrait manipuler, dégrader ou améliorer la posture en changeant cet influx plantaire.
Si vous augmentez l'influx plantaire avec des petits picots, ça change la posture.
Il y a des semelles avec des petits picots.
Vous avez un retour cutané plantaire augmenté.
Ça a tendance, surtout chez les gens avec des problèmes d'équilibre, à améliorer l'équilibre.
On utilise cette information, on n'en a pas vraiment conscience, pour moduler l'équilibre.
Une spécialité paramédicale, la podologie, est là pour justement aller manipuler ces informations plantaires pour améliorer l'équilibre des personnes qui sont instables.
Auditeur 7.
-Si j'essaie de me maintenir sur un pied, sur le pied droit, ça marche très bien.
Sur le pied gauche, c'est impossible.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-Ca va pas dans le sens de ce que disait Madame.
Auditeur 7.
-Sur le gauche, je reste 5 secondes, mais sur le droit, je peux rester 30 secondes.
Auditeur 8.
-Vous avez parlé du rôle de l'oreille pour pouvoir mesurer les accélérations, ça joue comme des accéléromètres, je voudrais savoir, surtout quand on est soumis à des accélérations assez fortes, le rôle des viscères.
Les viscères, il y a des muscles qui les tiennent.
On est obligé de contracter des muscles.
Les hommes, naturellement, sont soumis à des accélérations faibles.
Avec la vie moderne, on peut être soumis à des accélérations terribles.
Quel est le rôle que peuvent jouer les viscères si certains sens sont saturés ?
-Le rôle des viscères est important.
J'en ai parlé brièvement tout à l'heure lorsque j'ai parlé d'un sens qu'on appelle l'intéroception.
C'est ce sens qui vient des organes internes.
Et effectivement, on utilise des signaux qui viennent de récepteurs qui sont dans les parois des viscères.
Je vous disais que ces viscères sont remplis de liquides, soit du sang, des choses comme ça, soit des choses qu'on a ingérées, qu'on a bues, le bol alimentaire, etc.
Si vous êtes déplacé rapidement, il va y avoir une inertie qui s'exerce au niveau de la paroi des viscères du fait de ces liquides.
C'est ce que j'essayais de dire tout à l'heure.
On utilise cette information pour coder notre orientation dans l'espace.
C'est ce que j'essayais d'illustrer avec cette étude du groupe de Grenoble où les participants mangeaient 500 g de pâtes.
Ça remplit vos viscères et vous êtes meilleur pour juger votre orientation dans l'espace que si vous ne les aviez pas mangés.
On utilise cette démonstration.
Il y a eu plein de démonstrations de la physiologie qui montrent par exemple que les reins sont une source très importante d'informations intéroceptives pour contrôler notre sens de l'équilibre, en tout cas pour savoir comment on est orienté.
Des patients chez qui les reins ont été enlevés ont pas la même perception de l'espace, ils sont moins bons.
Parce qu'ils utilisent cette information pour coder l'orientation de leur corps dans l'espace.
À nouveau, c'est vraiment important, ça fait vraiment partie de signaux sensoriels dont on n'a pas du tout conscience.
C'est un traitement qui est fait par le cerveau à la marge de la conscience.
Néanmoins, ça existe.
Auditrice 7.
-Vous êtes en train de dire qu'on peut vivre sans reins ?
Ah, non.
Moi, j'ai une question à poser parce qu'on a devant nous un enfant sur une corde, en fait, c'était plutôt ça qui m'intéressait que mes déséquilibres.
Moi, je n'ai pas particulièrement de déséquilibre, mais par contre, ça, je n'ai jamais réussi à le faire.
Je voudrais savoir s'il y a des capacités particulières et ce qui est mis en jeu pour les gens qui ont cette capacité particulière à faire ce que fait cet enfant.
C'est une de mes questions.
La deuxième, c'est qu'il m'est, moi aussi, arrivé de sortir de mon corps à un moment où c'était un conflit clairement psychologique.
J'étais debout, il était question de mariage, j'étais avec mon éventuel futur mari.
Et je suis sortie légèrement au-dessus, j'étais debout.
Et au-dessus de moi...
Il y avait le physique qui faisait des choses, et au-dessus, j'étais dédoublée et je disais : "Tu fais tout ce qu'il faut pas faire pour que ça marche avec lui."
J'étais en train de faire tout le contraire.
C'est comme s'il y avait un conflit psychologique qui m'avait séparée en deux.
Ce sont mes deux questions.
Christophe Lopez, neurophysiologiste, chargé de recherche au CNRS, laboratoire deneurosciences intégratives et adaptatives université Aix-Marseille.
-OK.
Pour la première question, c'est vrai que je ne sais pas si des études ont porté...
Voilà un enfant capable de faire ça.
Est-ce le résultat d'un entraînement intensif et si tout le monde s'entraîne, il va y arriver ?
Ou bien y a-t-il une capacité particulière chez certaines personnes à faire ça, à utiliser de façon très efficace certains signaux sensoriels et à contrôler ça de façon très fine ?
On peut penser que certaines personnes sont meilleures.
Je connais pas d'études qui vont dans ce sens-là.
Mais mon intuition, ça serait que, comme pour plein d'habiletés, on n'est pas tous égaux et que les personnes qui sont meilleures pour utiliser l'information proprioceptive, en s'entraînant longtemps, vont arriver à faire ça.
J'imagine que cet enfant n'a pas réussi dès la première fois à rouler sur cette corde.
Ensuite, la deuxième question, le type de sensation de sortie du corps dont vous parlez, c'est en dehors du cadre des illusions de sortie du corps dont j'ai parlé, et moi, je me limite à l'étude de ce genre de phénomènes parce qu'on peut l'étudier de façon scientifique, c'est les illusions de sortie du corps déclenchées par quelque chose qui arrive dans le cerveau.
C'est-à-dire qu'on peut lier un événement à une cause et on peut étudier les bases physiologiques de cette cause.
C'est ce qui m'intéresse.
Le type d'illusion de sortie du corps dont vous parlez, je peux pas en dire grand-chose.
C'est en dehors du champ d'investigation qui est le nôtre.
Médiatrice.
-Merci beaucoup.
On va s'arrêter là pour ce soir, merci infiniment pour toutes ces informations.
Sous-titrage : MFP.